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Climat et classes moyennes : attention à la bombe sociale !
Article de Par Lisa Thomas-Darbois* • Le Point
Climat et classes moyennes : attention à la bombe sociale !© Chang Martin/Sipa Press
 

Le Premier ministre le revendique, il veut s'adresser « à tous ces Français, souvent de la classe moyenne, toujours au rendez-vous de leurs responsabilités, qui ne se plaignent pas alors qu'ils ont souvent le sentiment de subir ». Pour permettre à ces Français des classes moyennes de retrouver l'équilibre perdu, l'un des axes de travail prioritaires demeure la conduite de la transition environnementale.

Conscientes de l'impératif de relever le défi du changement climatique, les classes moyennes sont toutefois en proie à un arbitrage quotidien de leurs dépenses. Elles ne souhaitent ainsi que très modérément contribuer à l'effort collectif consenti pour y faire face. Seules 14 % d'entre elles conçoivent la nécessité de mettre en place des mesures rapides qui impliquent des sacrifices financiers de la part des Français pour faire face à l'urgence environnementale.


Les classes les plus populaires ou les plus aisées sont en revanche près de 20 % et 17 % à partager cet avis (données de l'enquête « Fractures françaises 2023 », Ipsos). De même, 41 % des classes moyennes dites « inférieures » pensent que les Français en font déjà suffisamment pour la cause climatique et que les entreprises et l'État doivent désormais agir. La situation est claire, la France de « l'entre-deux » ne consent plus à cet effort supplémentaire pour le bien commun.

Angle mort

Cette réalité, le gouvernement en a bien conscience et a entrepris un travail proactif pour améliorer l'acceptabilité de cette transition écologique. Il a pourtant commis deux erreurs. La première est celle des effets de seuils qui contraint, toujours et encore, les classes moyennes à porter majoritairement le coût de cette transition au détriment de leurs aspirations d'ascension sociale. La rénovation énergétique totale et performante de leur logement ? Une année de revenus. L'acquisition d'une voiture électrique ? Une année de revenus supplémentaire.

 

Si le plafond d'aides publiques dédiées au défi environnemental a augmenté de près de 160 % entre 2008 et 2023, la majorité des effets de seuils de ces aides demeure au niveau des classes moyennes. Le dispositif du « leasing social » sur les voitures électriques, auquel le gouvernement a mis fin, en est un exemple emblématique. Avec une éligibilité au dispositif plafonnée à un revenu fiscal de référence inférieur à 15 000 euros, la grande majorité d'entre elles  niveau de vie médian de 23 000 euros par an  n'en bénéficieront pas, ni cette année ni sans doute l'année prochaine. Une aide publique environnementale donc  de près de 1,5 milliard d'euros  qui ne s'adresse pas à cette France de l'angle mort.

Instabilité juridique

La seconde erreur est l'instabilité des dispositifs environnementaux en raison d'un manque d'évaluation préalable. Sensibles à la stabilité d'un statu quo juridique et d'un État providence qui protège, les classes moyennes ont besoin de pérennité et de repères fiables pour se projeter. Nous assistons malheureusement au phénomène inverse. Il en va ainsi des récentes annonces de réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE). Près de 140 000 logements de moins de 40 m2sortiront finalement de la classification de passoires thermiques.


En parcourant les 645 pages de l'étude d'impact du projet de loi « Climat et Résilience » de 2021, aucune mention n'est pourtant faite des conséquences sociales et financières de l'exclusion progressive de ces logements du champ locatif. Le revenu des propriétaires tout comme des locataires n'est pas pris en compte. L'état de tension des marchés locatifs dans les régions n'y figure pas davantage. Les réalités opérationnelles ne peuvent pas être des variables d'ajustements constatées a posteriori de la mise en oeuvre des mesures. Au risque que seule l'urgence l'emporte face au climatique.

Dépasser les lignes idéologiques

Pour éviter que le défi environnemental ne se transforme en bombe sociale, il nous faut intégrer l'ensemble des contraintes financières des classes moyennes dans notre réflexion. Nul ne saurait oublier le déclenchement de la crise des Gilets jaunes provoquée par une sous-estimation des contraintes de déplacement de 95 % des Français. Les choix méthodologiques d'éligibilité des aides doivent être bien pesés. Une aide publique de 1,5 milliard d'euros uniquement ciblée sur les 20 % des Français les plus modestes doit-elle être privilégiée à une approche plus large ? L'efficacité et le bien-fondé de l'action publique en sont-ils renforcés ?

 

Tout est légitime, tout est contestable, tout est discutable. Mais tout s'anticipe. À la manière de la Middle class task force déployée aux États-Unis sous la présidence de Barack Obama, évaluons et préparons l'impact des mesures environnementales, fiscales et sociales que nous souhaitons appliquer à ces « Français moyens ». Dépassons les lignes idéologiques statiques qui nourrissent le terreau fertile d'une écologie politisée. Réinvestissons l'action en faveur d'une France sociale et indivisible. Il en va de la préservation de nos classes moyennes, et par extension, de notre modèle républicain.

 

*Lisa Thomas-Darbois est directrice adjointe des études France à l'Institut Montaigne, autrice de la note de l'Institut Montaigne « Classes moyennes : l'équilibre perdu ? » (janvier 2024).



28/02/2024
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