3228-" Ce qui se passe au Liban est une tragédie" Amin Maalouf 3 posts

 Amin Maalouf : «Ce qui se passe au Liban est une immense tragédie»
  • par Anais Ginori, à Paris pour La Repubblica - septembre 2024 Republié par Jal Rossi
VU D’AILLEURS -
 
L’écrivain franco-libanais, secrétaire perpétuel de l'Académie française, déplore l’état d’une nation dans laquelle les appartenances ethniques et religieuses ne servent désormais qu'à attiser la violence.
 
«Je suis pessimiste, la guerre va se poursuivre et elle pourrait même s'étendre», observe l'écrivain franco-libanais Amin Maalouf, invité de la Conférence internationale pour la Paix organisée à Paris par la Communauté de Sant'Egidio. Né à Beyrouth en 1949, l'intellectuel élu il y a un an à la tête de la prestigieuse Académie française est l'un des premiers à avoir pressenti que le Liban, autrefois le creuset de cultures et de religions, était en train de sombrer dans le nationalisme religieux.
 
«Malheureusement, ce Liban multiconfessionnel est devenu un contre-modèle de coexistence identitaire», commente Maalouf, auteur du livre au titre prophétique, Les identités meurtrières, publié en 1999. Maintenant que les milices du Hezbollah ont pris le contrôle d'une partie de l'État libanais, l'écrivain nous confie sa douleur, face à une escalade qui semble désormais inéluctable.
 
La Repubblica. - Que pensez-vous de la situation au Liban ?
 
Amin Maalouf. - Ayant quitté ce pays il y a quarante-huit ans, il m'est difficile d'avoir la même perception qu'un Libanais vivant sur place et de connaître en détail la situation politique actuelle. Cependant, en voyant tout ce qui se passe, en étant en contact avec des gens que je connais et qui souffrent, je suis moi-même affecté sur le plan émotionnel.
 
Vous aviez pressenti la dérive du pays du Cèdre. Son rêve de coexistence a été balayé par une oligarchie corrompue et les milices du Hezbollah...
 
Le Liban aspirait à devenir un modèle de coexistence. Malheureusement, aujourd'hui, le pays est devenu tout le contraire de cet idéal. Nous avons assisté à une évolution lente, mais inexorable. Une dérive folle que personne n'a voulu ou pu arrêter. Alors que le projet initial était de construire une nation capable de dépasser les différentes appartenances ethniques ou religieuses, aujourd'hui, ces identités ne font qu'attiser les tensions et la violence. Ce qui se passe au Liban est une immense tragédie. Les Libanais ne sont pas les seuls à en souffrir. Face à ce pays qui risque de ne pas réussir à se relever de la guerre, le monde entier aussi se sent impuissant.
 
Est-ce également la faute d'une classe politique cynique et sans scrupules ?
 
Il est clair que la classe dirigeante a sa part de responsabilité. Mais il serait réducteur de rejeter toute la faute sur les seuls dirigeants actuels. Ce à quoi nous assistons résulte malheureusement de l'abandon progressif d'une culture de la paix dans de nombreuses sociétés du Moyen-Orient. Les citoyens sont certes les victimes, mais c'est aussi sur eux que nous devrons nous appuyer si nous voulons un jour renouer le dialogue. À la fin de la guerre froide, nous sommes passés d'un monde divisé par des lignes idéologiques à un monde divisé par des lignes identitaires. Il s'agit pour moi d'un élément clé pour comprendre la situation actuelle.
«Alors que le projet initial était de construire une nation capable de dépasser les différentes appartenances ethniques ou religieuses, aujourd'hui, ces identités ne font qu'attiser les tensions et la violence.» Amin Maalouf
 
La France, avec son héritage colonial controversé, est-elle hors-jeu pour tenter une médiation diplomatique ?
 
La France a mis beaucoup de moyens en œuvre, mais je pense que la situation est maintenant si critique qu'aucun pays ne peut y faire face seul. Une puissance moyenne ne pourra jamais arrêter cette escalade. La seule solution, s'il en y a une, serait que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU se mettent d'accord. Je reconnais qu'il s'agit là d'un rêve, mais je continue à porter cet idéal, car il n'a jamais été aussi urgent d'imaginer une nouvelle gouvernance mondiale, tant en ce qui concerne le Moyen-Orient que le conflit qui se profile entre les États-Unis et la Chine.
 
Vous avez fui le Liban après le début de la guerre civile en 1975...
 
 
Je sais ce que c'est de vivre dans un pays au bord de la guerre. Mais aujourd'hui, c'est une réalité que connaissent beaucoup d'individus. Si je venais d'Europe centrale, j'aurais les mêmes inquiétudes que les Libanais. Et il en serait de même si je vivais au Sahel ou au Soudan. Malheureusement, il me semble que l'incapacité à prévenir les conflits devient un problème mondial.
 
Êtes-vous pessimiste ?
 
 
Oui, honnêtement, je ne vois pas d'évolution positive à court terme. Mais il ne faut pas perdre espoir. C'est aussi pour cette raison que je suis heureux d'avoir participé à la Conférence de Sant'Egidio, dont l'objectif est précisément de repenser la paix. Aujourd'hui, ce terme semble désuet dans les discours des dirigeants politiques et est souvent assimilé à une forme de capitulation.
«Aujourd'hui, le terme vpaix" semble désuet dans les discours des dirigeants politiques et est souvent assimilé à une forme de capitulation.» Amin Maalouf
 
Qu’est-ce-à-dire ?
 
 
Il convient de préciser que la paix n'a rien à voir avec l'apaisement. La paix, ce n'est pas accepter la loi du plus fort. La paix est avant tout importante pour les victimes, pour les plus vulnérables, pour ceux qui ne trouvent leur protection que dans une forme de légalité internationale. Le problème réside dans le fait que beaucoup de dirigeants sont guidés par un nationalisme égoïste et une méfiance réciproque.
J'ai toujours cherché à comprendre les différents points de vue qui existent sur les événements historiques. Mon premier livre, Les Croisades vues par les Arabes, reflétait cette approche. Il est juste de critiquer et de combattre les idées que l'on ne partage pas, mais les Occidentaux ont tort de penser qu'il ne faut plus dialoguer avec les Chinois et les Russes, tout comme les Arabes ont tort de penser qu'il faut couper les ponts avec les Américains. Nous devons aussi entretenir des relations avec nos ennemis.�
  • Illustration : «Ce à quoi nous assistons résulte malheureusement de l'abandon progressif d'une culture de la paix dans de nombreuses sociétés du Moyen-Orient», estime Amin Maalouf. © JF PAGA - Grasset
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10/10/2024
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