Le premier à y avoir cru, le parrain de Franc-Tireur, c’est Denis Olivennes, cet amoureux de la presse. Lui et Jean-François Kahn étaient persuadés qu’il restait de la place pour un journal « modéré », donnant de la voix à ceux qui ne crient pas. Un pari que le groupe de presse CMI a osé. En janvier 2021, quand on m’a proposé d’inventer un nouveau titre et de le diriger, nous sortions de la pandémie. Nous avons parlé des « yakafocons », qui nous agaçaient, des extrêmes, qui nous inquiétaient… C’était le fil que je voulais tirer, mais j’ai d’abord décliné, plusieurs fois. Par peur de ne pouvoir tout faire, mon prochain film de cinéma et diriger un hebdo, ou par goût de trop bien faire, allez savoir. Un truc de fille. Comme je rêvais de lire ce nouveau journal, j’ai quand même accepté de contribuer à le fabriquer, à en tracer la ligne éditoriale, et de « conseiller » sa rédaction. Bref, j’étais embarquée. Et je prenais un plaisir fou à phosphorer aux côtés de mon camarade Raphaël Enthoven, monté à bord, débordant d’idées et d’audace. Ensemble nous avons cherché un ton et un titre (hésité entre Antidote et Ubik), imaginé des rubriques, réuni une bande de complices. Un journal papier, c’est avant tout un objet charnel. Fabrice Trillat, notre brillant directeur artistique, a sculpté cette formule unique, panaché de billets courts et de typos élégantes. Comment capter l’attention dans un monde saturé ? C’est la mission de la « titraille » et de notre chef d’édition, l’excellent POM : trouver des titres drôles et mordants.

Avant de paraître en kiosques, aux yeux du monde, nous avons fabriqué six numéros zéro, juste pour nous. À chaque tentative, nous échangions sur ce qui nous donnait envie de lire… ou de fuir. Dans la dernière ligne droite, notre ami Christophe Barbier a proposé de mettre son expérience au service du lancement. Avec Éric Decouty, chargé de coordonner la rédaction (aujourd’hui chapeautée par Valia Breitembruch), le duo devenait quatuor, et le titre paraissait enfin. Il a très vite rencontré un écho inouï, rassurant, vivifiant. Mais ce succès n’a guère plu à Marianne, où je tenais toujours chronique à rebours de sa nouvelle ligne éditoriale. Après une crise de trop, j’ai décidé de rapatrier mon édito à Franc-Tireur et d’assumer d’en être le capitaine. À chaque vague, le groupe CMI France nous a accompagnés, sans jamais rien dicter. Une bienveillance tissée de respect pour laquelle je remercie sa présidente, Valérie Salomon, et son directeur général adjoint, Bertrand Gaillard de Saint-Germain, ainsi que leurs équipes dévouées. Les commissaires politiques et des sociologues-idéologues vous expliquent souvent (sans rien y connaître) que les milliardaires financent la presse pour la contrôler… C’est peut-être le cas dans d’autres groupes, concurrents, mais ce n’est pas mon expérience, ni le genre de la maison. Je vais vous confier un secret : je n’ai croisé Daniel Křetínský, le propriétaire de CMI, que deux fois dans ma vie, en réunion, très rapidement, et avant Franc-Tireur. Si nous avions une conversation un jour, ce serait pour le remercier de cette liberté. Et si cette liberté n’existait plus, ce serait pour donner ma démission. C’est aussi simple que ça, l’indépendance.

Mais alors, qui décide des sujets ? Nous, la rédaction, selon leur gravité, leur pertinence, ou l’éclairage que nous pouvons apporter. Nous n’avons pas créé ce journal pour soutenir un camp, mais pour combattre les « extrêmes », la désinformation, les complotistes, les racistes, les antisémites, les anti-laïques, les anti-Charlie, les trumpistes, les sectaires, les fanatiques… C’est notre ligne éditoriale, la seule et unique. Elle n’est pas partisane, elle est camusienne. Et nous porte à nous inquiéter davantage des excès du RN, de LFI, de Trump, de Poutine ou du Hamas, que d’un désaccord mineur avec la gauche républicaine, la droite républicaine ou le centre. Cela n’empêche en rien de les critiquer. Nous écrivons ce que nous pensons. En vous informant sur les faits : pour que vous puissiez en juger par vous-mêmes. Cette franchise, c’est notre conception de la presse engagée. Merci de nous lire, merci de la soutenir. Ce n’est qu’un début. Longue vie à Franc-Tireur !