« La lumière revient déjà, Et le film est terminé, Je réveille mon voisin, Il dort comme un nouveau-né, Je relève mon strapontin, J’ai une envie de bailler, C’était la dernière séquence, C’était la dernière séance, Et le rideau sur l’écran est tombé… » On a tous en mémoire cette chanson d’Eddie Mitchell, qui présenta ensuite pendant de longues années sur la « 3 » l’émission éponyme qui a fait découvrir à beaucoup des dizaines de films, westerns épiques, classiques en noir et blanc.
La nostalgie ouatée et rassérénante de ces cinémas Paradiso à l’ancienne, du Rex au Family, du Club au Royal, avec l’ouvreuse, sa lampe de poche et son panier de friandises, la publicité Jean-Mineur et ses « réclames », les bandes-annonces des films à venir, parfois même un entracte après un court métrage ; tout cela va-t-il vraiment passer de la fiction à la réalité, tout cela peut-il disparaître au pays des frères lumières, de Truffaut, de Godard, qui a fait de l’exception culturelle un élément clé de notre identité et de notre patrimoine ?
La question, mondiale, se pose maintenant depuis plusieurs années et l’arrivée des plateformes de vidéo à la demande. Netflix, Disney +, Prime Vidéo, Apple TV +, Paramount et tant d’autres se sont aujourd’hui durablement installées dans nos vies, particulièrement depuis les confinements imposés par la crise sanitaire du Covid-19. Aujourd’hui, se faire une toile, c’est souvent rester dans le douillet cocon de son salon, devant un téléviseur dont la taille ne cesse de grandir pendant que son prix baisse. Pourquoi s’embêter à aller au cinéma, supporter parfois des voisins bruyants et, surtout, s’acquitter d’un billet dont le prix n’a cessé de grimper et dépasse parfois… l’abonnement mensuel des plateformes de VOD ?
Les cinémas, durement éprouvés par la baisse de fréquentation des années Covid, ont pourtant multiplié les initiatives pour offrir une expérience et tenter d’attirer – de conserver – les spectateurs : écrans XXL ou Imax, son Dolby qui en met plein les oreilles, image laser au piqué époustouflant, fauteuils moelleux parfois à deux places, etc. Des technologies, des aménagements très coûteux qui se répercutent logiquement sur le ticket d’entrée. Les grands réseaux ont bien créé des cartes de fidélité, des abonnements illimités ; les petites salles ont elles aussi beaucoup investi, parfois avec le soutien financier des collectivités.
Mais la baisse de fréquentation est là, en dépit de certains rebonds remarquables lorsque sort un blockbuster américain très attendu ou survient un film-surprise comme « Un petit truc en plus ». Le public français défend d’ailleurs les productions nationales, la part de marché des films français depuis le début de l’année est estimée à 37,1 % contre 36 % pour les films américains. Et la Fête du cinéma, bien qu’en retrait de 35,8 % cette année par rapport à l’édition 2024, reste à un niveau supérieur à la moyenne d’avant la crise sanitaire (+ 2,6 % par rapport à la moyenne des éditions 2017, 2018 et 2019).
Le cinéma est aujourd’hui une industrie à un tournant de son existence, que ce soit dans la production des films, qui a vu les géants de la Silicon Valley débarquer chez les majors et les réseaux sociaux imposer de nouveaux codes, que ce soit dans la distribution et la diffusion avec les plateformes.
Certains sacrifieraient bien les coûteuses salles de cinéma, mais sans elle, sans se retrouver tous ensemble dans le noir pour vibrer, pleurer, rire ou s’émouvoir, cela sera-t-il encore du cinéma ? Il nous appartient de faire en sorte que la dernière séquence ne soit pas la dernière séance…