ENTRETIEN. "Plutôt qu’une idéologie vélo qui peut être dangereuse, il faut une idéologie du partage de la rue" selon le sociologue Jean Viard

     
     
    Publié le 
    Recueilli par Robin Serradeil La DDM
     
    Écouter cet article
    PoweredbyETX Studio
    00:00/03:59

    l'essentiel Il y a quelques jours, un cycliste de 27 ans a été tué par un automobiliste à Paris, après avoir été percuté. Qu’est-ce que ce drame nous apprend au sujet de l’utilisation et de notre cohabitation dans l’espace public dans le cadre de nos mobilités. Jean Viard, sociologue et directeur de recherche au CNRS, donne des éléments de réflexion.

     

    Il y a quelques jours, un cycliste de 27 ans est mort après avoir été renversé par un automobiliste à Paris. Ce drame nous invite aujourd’hui à repenser notre cohabitation entre cyclistes, automobilistes et piétons, au sein de la ville.

     

    La Dépêche du Midi : Le drame qui s’est déroulé mardi dernier à Paris a-t-il selon vous suscité un sursaut en France sur la question du partage de la route ?

     

    Jean Viard : Oui, parce que ce drame est ignoble. On a potentiellement affaire à une agression délibérée. Il y a eu un choc et ce drame pose la question de notre utilisation de l’espace public. Il a en tout cas suscité une prise de conscience du débat. Entre les vélos et les piétons, les vélos et les voitures, les deux roues… Il y a des tensions dans tous les sens dans l’espace public. On voit bien que l’on n’a pas une situation apaisée des mobilités, alors que l’on assiste en parallèle à une transformation de la ville.

     

    En quoi nos modes de circulation changent dans la ville ?

     

    Il y a un nouveau rapport à la mobilité dans les villes : la marche à pied se développe de plus en plus et va de pair avec un élargissement des trottoirs par exemple. On est beaucoup plus nombreux, on se déplace beaucoup plus, et les rues ne sont pas plus larges… Le vélo concerne quant à lui près 5 % des mobilités, et cela ne cesse de grimper.

     

    En quoi cela est source de tensions ?

     

    On est en train d’apprendre à avoir des vélos en ville ! Aujourd’hui, on est à ce moment-là de l’histoire urbaine : le vélo, c’est un moyen de transport que l’on voyait davantage en campagne. Jusqu’à présent, il était totalement marginalisé en milieu urbain. Maintenant, ce mode de transport se fait une place dans nos villes : c’est extrêmement positif… mais cela ouvre une brèche dans un monde où la voiture avait le monopole. Forcément, il y a des tensions.

     

    Pour comprendre, il faut repenser à ce qui s’était passé au XIXe siècle, lorsque les calèches et les chevaux cohabitaient avec les premières voitures. Les véhicules dérapaient sur les déjections… C’était une période de changement, il y avait des tensions, et c’était normal !

     

    Peut-on parler d’une "haine" du vélo aujourd’hui ?

     

    Je dirais qu’il y a davantage une "idéologie vélo", comme il y a eu une "idéologie voiture" dans les années 1960. Lors des années Pompidou, la voiture avait tous les droits dans la ville… et personne ne s’y opposait.

     

    Aujourd’hui, on a une idéologie "vélo", portée par des élus ou des associations, qui considèrent que si tout le monde roulait à vélo, cela irait mieux. Sauf que tout le monde ne roulera pas à vélo parce qu’il y a des personnes âgées, des gens qui font leurs courses, des livreurs… Le problème, c’est que cette "idéologie vélo" est dangereuse et très affirmée dans certains territoires. Il faut lui préférer une idéologie du partage de la rue et des mobilités, du respect mutuel.

     

    Comment faire pour concilier les usages de la route dans le respect ?

     

    Il faut que chacun respecte les règles et que l’on accompagne les mutations. C’est une question de citoyenneté. Nous devrions doter les vélos de plaques d’immatriculation : ça n’a jamais été tenté. Il faut que chacun ait le sentiment d’être responsable et un cycliste qui n’a pas de plaque d’immatriculation, il ne pense pas qu’il peut se faire attraper. On ne peut pas créer un espace public partagé si chacun n’est pas mis face à sa responsabilité individuelle.

     

    Peut-on s’inspirer de ce qui se fait ailleurs ?

     

    Bien sûr ! En Europe du Nord par exemple, on a mis en place des rues qui sont gérées par des règles de vitesse : on ne distingue pas les outils de mobilité, on indique simplement que dans telle ou telle artère, la vitesse est limitée à 10 ou 20 km/h, que vous soyez piéton, cycliste, ou automobiliste. Vous avez par ailleurs des rues où la vitesse moyenne est affichée à 50 km/h : dans ces espaces, les piétons ne peuvent circuler. Voilà un système qui n’a jamais été développé en France.