2125- Le tabou du regroupement familial 2 posts

Immigration : le grand tabou du regroupement familial

  • par Rachel Binhas, pour Marianne - janvier 2023 Republié par JALR
Un véritable chiffon rouge, l’immigration familiale. Pour preuve, le sujet ne figure pas dans le projet de loi Darmanin. Pourquoi tant de crispation? Explications.
 
C’est le parent pauvre du projet de loi Asile et immigration. Le gouvernement a choisi de faire l’impasse sur ce sujet. En guise d’explication, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, déroule cet argument : le regroupement familial ne représente qu’une part «extrêmement infinitésimale» des arrivées. Quant à Élisabeth Borne, elle a affirmé aux sénateurs que l’immigration familiale était en baisse depuis 2016. Si baisse il y a, les chiffres diffusés par Beauvau la situent comme étant récente. Elle a eu lieu en 2020, sans doute du fait de la crise du Covid et du retard dans le traitement des demandes.
 
DEUX FLUX DISTINCTS SOUS LA MÊME APPELLATION
 
Le vocabulaire est trompeur. Ce qui est appelé couramment «regroupement familial» recoupe en fait deux flux distincts : d’une part, les personnes rejoignant un résident étranger, soit 29.000 conjoints et 15.000 enfants en 2021 ; et, d’autre part, les conjoints étrangers rejoignant un Français, soit 43.125 personnes, également en 2021. Ces deux flux constituent le chiffre global de l’immigration familiale. Les conjoints de Français représentent donc un gros contingent. Mais qui sont ces Français ? Voilà le non-dit du débat.
 
Car, pour certains, comme le chercheur Hervé Le Bras (Il n’y a pas de grand remplacement Grasset), dès lors que la demande émane de Français, nous sommes dans une mixité qui n’a pas lieu d’être interrogée plus avant. Pour d’autres, tel Patrick Stefanini (Immigration. Ces réalités qu’on nous cache Robert Laffont), la mixité des situations juridiques élude l’homogénéité culturelle immigrée. Autrement dit, le Français déterminé à faire venir son conjoint ne serait pas véritablement intégré. Selon le chercheur Patrick Weil (La France et ses étrangers, Calmann-Lévy), cette situation s’expliquerait par une nationalité française qui «se conserve et s’acquiert assez aisément». A contrario, la nationalité se révèle moins ouverte dans les pays dits du droit du sang, telles l’Espagne, l’Italie ou l’Allemagne, qui n’a ouvert sa nationalité qu’au début des années 2000.
 
D’autant que, en 1973, alors même que le gouvernement souhaitait limiter l’immigration, il a accordé aux ressortissants des États dont le français est la langue officielle la possibilité d’acquérir, sans délai, la nationalité française. Les Maghrébins ou encore les Africains de l’Ouest ont pu bénéficier de cette politique. Ce n’est qu’en 2006 que ces nationalités ont été alignées sur toutes les autres : cinq années de résidence sur le territoire sont nécessaires avant d’espérer devenir français. Néanmoins, notre droit demeure très ouvert comparé à celui de nos voisins européens. Ainsi, les diplômés de l’enseignement supérieur peuvent, au bout de deux ans de présence, postuler à la nationalité. Et les réfugiés, sans délai. Enfin, la France ne demande pas à son nouveau compatriote de renoncer à sa nationalité d’origine, contrairement à ce que fait l’Allemagne à l’égard des Turcs, par exemple. Ainsi, depuis les années 1980, tous les ans, entre 100.000 et 150.000 personnes deviennent citoyens français. Et épousent souvent des personnes qu’elles font venir de leur pays d’origine.
 
DES CONTRAINTES DE RESSOURCES ET LOGEMENT
 
Bien sûr, les immigrés ne sont pas les seuls à se marier avec des personnes culturellement proches. Mais l’Insee, dans une étude de juillet 2022, souligne que l’endogamie est plus forte chez les immigrés du Maghreb ou d’Afrique qu’elle ne l’est pour les immigrés venant du sud de l’Europe. Si les étrangers résidents ne peuvent faire venir leurs proches que s’ils attestent d’un minimum de ressources et d’un logement suffisamment grand pour les accueillir, ces conditions ne sont pas exigées pour le conjoint ­étranger qui rejoint un Français. Un privilège national. Dans nombre de pays d’Europe – comme l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Italie, la Suède ou encore le Royaume-Uni –, cette facilité n’existe pas : les conditions de ressources et de logement sont imposées à tous et apparaissent généralement plus contraignantes. Ces ressources doivent démontrer la capacité à prendre en charge le nouvel arrivant. En France, cela représente l’équivalent du smic pour une famille de deux ou trois personnes. C’est bien plus dans la plupart des pays de l’Union. En Allemagne, qui a vu arriver de nombreux demandeurs d’asile, même les réfugiés ayant le statut de «protégés subsidiaires» sont soumis à ces contraintes de ressources et de logement.
 
Pas d’homogénéité européenne non plus en ce qui concerne l’accès au regroupement familial. Celui qui réside en France peut déposer un dossier de regroupement familial dès qu’il atteint ses 18 ans. Dans bien d’autres pays, être majeur n’est pas suffisant : il faut avoir au moins 21 ans aux Pays-Bas, et même 24 au Danemark pour faire la demande. L’enfant que l’on souhaite faire venir ne doit pas avoir plus de 16 ans en Allemagne, 15 au Danemark. Et pas plus de 18 en France. Enfin, au nom de l’intégration, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni notamment n’autorisent la venue que si le rejoignant donne la preuve qu’il maîtrise un minimum la langue de son futur pays d’adoption. Au cœur des polémiques depuis des années, la migration familiale risque bien de revenir comme un boomerang dans le cadre du projet de loi.�

«UNE VIE FAMILIALE NORMALE»

C’est en juillet 1974 que le gouvernement de Jacques Chirac met un terme à l’immigration de travail et familiale. À l’époque, les principaux syndicats approuvent la mesure. La CGT se réjouit même que les employeurs ne puissent plus recruter «hors de France». Seule la CFDT n’adhère pas à ce consensus. Pas de quoi freiner l’arrivée de familles profitant de «voyages touristiques» pour rester dans l’Hexagone. Afin de dissuader le regroupement familial, le gouvernement durcit le ton : les nouveaux arrivants n’auront pas l’autorisation de travailler. À la suite d’un recours introduit par des associations d’aide aux immigrés, le Conseil d’État annule cette interdiction le 8 décembre 1978 au nom du droit pour chacun de mener une «vie familiale normale». Cet arrêt, resté dans la mémoire collective, est concomitant de l’arrivée de plus en plus importante des familles mettant fin à la solitude de nombre de travailleurs. Si, à partir des années 1980, ces arrivées peuvent concerner jusqu’à 150.000 personnes par an, elles se sont stabilisées autour de 90.000 entre 2018 et 2021.�
  • Illustration : Ce qui est appelé couramment «regroupement familial» recoupe en fait deux flux distincts : d’une part, les personnes rejoignant un résident étranger, soit 29.000 conjoints et 15.000 enfants en 2021 ; et, d’autre part, les conjoints étrangers rejoignant un Français, soit 43 125 personnes, également en 2021. Thomas Samson / AFP
Peut être une image de 5 personnes, personnes debout et chaussures
 
 


14/01/2023
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