ÇA RESTE ENTRE NOUS. Le député socialiste, cible d’attaques de la part de l’Insoumis en chef, veut ouvrir une nouvelle étape de la Nupes. Explications autour d’une salade gersoise.
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Jérôme Guedj : « Avec Mélenchon, la baston va être sans pitié »
Jérôme Guedj est fatigué. « Il faut que je breake pendant quelques jours, j'en ai vraiment besoin. » La séquence, raconte le député socialiste, a été éprouvante. Assis sur une banquette de tissu rouge du Concorde, une brasserie proche du Palais-Bourbon, il raconte ces dernières semaines en attaquant sa salade du Gers.
Il y a, d'abord, cette manifestation au Trocadéro, le 7 avril, pile six mois après les attaques terroristes du Hamas en Israël. Guedj s'y rend, comme les quelques milliers de personnes présentes, pour exiger la libération des otages. Mais, invité à dire quelques mots sur le podium, il est sifflé par une partie de la foule et conspué par le député Meyer Habib, fervent soutien de la cause israélienne. Jérôme Guedj est, aux yeux de pas mal de militants présents ce jour-là, trop à gauche, trop lié à la Nupes, trop ami avec Olivier Faure qui vient de demander l'arrêt des livraisons d'armes à Israël – ce que Guedj réprouve. « J'en rajoute moi-même, dit-il d'un ton un peu las, car je demande la protection des civils palestiniens ! »
Blessure
Puis, dans un basculement ironique, Guedj devient trop israélien, trop à droite, trop opposé à la cause palestinienne. L'attaque vient cette fois de la gauche radicale. Jérôme Guedj a eu le toupet, encore une fois, de faire preuve d'un peu d'esprit critique : lors d'une émission de radio (dont il ne se souvient même pas le nom), il regrette le logo apposé au bas d'une affiche annonçant un meeting de Mélenchon – interdit – à l'université de Lille. Ledit logo montre la Palestine d'un seul bloc, sans mention des frontières séparant Gaza et la Cisjordanie d'Israël. Mélenchon réagit au quart de tour : il accuse Guedj d'avoir été à l'origine de l'interdiction du meeting. Le leader Insoumis ne s'arrête plus. « Il me traite de “lâche”, de “délateur”. Il me met une cible dans le dos », énumère Jérôme Guedj, qui n'en revient toujours pas.
L'acrimonie mélenchonienne culmine quelques jours plus tard. Dans une note de blog, Mélenchon écrit que Jérôme Guedj « s'agite autour du piquet où le retient la laisse de ses adhésions », l'accusant d'avoir « renié les principes les plus constants de la gauche du judaïsme en France ». L'allusion transpire l'antisémitisme. Guedj en est blessé. « Pour la première fois dans le débat politique, quelqu'un me ramène à ma judéité », confie celui qui ne se définit que comme universaliste.
L'attaque mélenchonienne est cruelle, car en partie personnelle. Les deux hommes ont été proches, il y a de ça une vingtaine d'années, Mélenchon considérant Guedj comme une sorte de fils spirituel et politique. Le lien est désormais défait, irrémédiablement. Jérôme Guedj ne veut pas répondre à Mélenchon sur le terrain de la religion. « Il n'attend que ça », prévient-il. Mais l'épisode sert le député socialiste. La preuve : il a contraint le Premier secrétaire du PS à le soutenir, donc à rallier sa position, celle d'une impossible alliance avec Jean-Luc Mélenchon. « Ce qu'a dit Olivier, c'est costaud », salue Guedj, encore satisfait de la déclaration d'Olivier Faure à la radio, écartant tout accord avec Mélenchon.
Avenir
À grands coups de fourchette dans sa salade gersoise, Jérôme Guedj raconte comment il se taille une place, centrale, au PS. C'est lui qui, le premier, prévient dès le 8 octobre que l'alliance de la Nupes est en sursis. Il raconte que, le matin de l'attaque du Hamas, le 7 octobre, il rédige un message expliquant à ses partenaires de l'alliance qu'il va falloir peser ses mots, l'affaire semble sérieuse. Il ne sait plus trop pourquoi mais il n'enverra jamais le message.
LFI, de son côté, dégaine sans prévenir ses alliés : le groupe parlementaire publie un communiqué que Guedj récite par cœur, sept mois plus tard. Un texte, « signé par Danièle Obono », dit-il, qui évoque « l'offensive armée de forces palestiniennes » dans un contexte « d'intensification de la politique d'occupation israélienne à Gaza […] ». En gros, Israël l'a bien cherché.Le communiqué entraînera un moratoire de la Nupes,c'est-à-dire la fin des réunions,
hebdomadaires entre députés du PS, du PCF, des écologistes et de LFI
Guedj a donc fait évoluer par deux fois son parti : après le 7 octobre, puis fin avril 2024 en pesant pour exclure Mélenchon d'une future alliance. « Dans les deux cas, il y a du Guedj », se marre-t-il. Il s'agit désormais de réfléchir à l'avenir. Celui de la salade gersoise est bouché : Guedj a presque tout englouti. Il reprend. Ses idées sont à peu près claires. D'abord, les européennes. Jérôme Guedj a toujours été fidèle à son parti, même quand Mélenchon l'a quitté pour fonder le Parti de gauche alors que les deux hommes étaient encore proches, en 2008. Il souhaite donc, évidemment, un joli score à Raphaël Glucksmann, mais point trop n'en faut : une victoire écrasante sur les autres formations de gauche pourrait être contre-productive. « Il ne faut pas remplacer une hégémonie [celle de LFI] par une autre [celle du PS] », dit-il.
Guedj veut en effet que les partis de gauche, hors la frange mélenchoniste de LFI, discutent entre égaux et s'allient après le scrutin européen. Il le dit depuis longtemps, le défi est à ses yeux de trouver quelqu'un de « plus désirable » que Mélenchon pour défier Marine Le Pen, qu'il voit comme beaucoup au second tour de 2027. Dans ce but, une seule solution à ses yeux : une primaire de toute la gauche, hors Mélenchon, fondée sur un projet commun à tous les candidats.
Il faut trouver quelqu’un de plus désirable que Mélenchon.Jérôme Guedj
De la Nupes, il veut bien garder une dimension : la radicalité. N'a-t-elle pas permis au PS de s'affirmer à nouveau comme un Parti de gauche ? « Il ne faut pas passer par-dessus bord le discours de radicalité. Il faut garder l'esprit de la Nupes, voire son programme, mais sans la conflictualisation ni l'incarnation actuelle », résume Guedj. Mais encore ? Il a sa petite idée, qu'il expose en attendant son café : « On peut être radical sur les questions économiques, sociales ou écologiques tout en étant intransigeant sur les valeurs républicaines, régaliennes et de laïcité. Cette ligne n'existe pas, elle peut gagner. » On croirait entendre un discours de candidat au prochain congrès du PS, en 2025, voire à la primaire présidentielle de la gauche qu'il vient de promouvoir. Quand on lui demande s'il y pense, il ne dit pas non.
Baston
La ligne défendue par Jérôme Guedj a déjà existé : c'était celle que défendait Jean-Luc Mélenchon lorsqu'il était au PS, voire quelques années après. Le député PS la connaît bien, qui a milité à ses côtés au sein de l'association Pour la république sociale, créée en 2004 par Mélenchon pour, précisément, replacer les valeurs républicaines au cœur de l'union des gauches. Le leader Insoumis est désormais en guerre contre tout ce qui ressemble à un socialiste, surtout s'il s'appelle Jérôme Guedj. « La baston va être sans pitié », prévient l'élu de l'Essonne. Qui, finissant son café, cherche sur son smartphone un billet de train pour le week-end de pont. La séquence a été usante, la prochaine devrait l'être aussi, autant prendre des forces.