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 A la mi-juin 40, un mariage « surréaliste » à Calamane

Mi-juin 40. Réfugié dans le Lot, l’artiste Francis Picabia se remarie chez son ami Robert Dumas, futur « préfet des bois ». 

 

 
 
 

A la mi-juin 40, un mariage « surréaliste » à Calamane

Mi-juin 40. Réfugié dans le Lot, l’artiste Francis Picabia se remarie chez son ami Robert Dumas, futur « préfet des bois ».

14 juin 1940. La France vacille. La France est au bord du gouffre. L’armée allemande, au terme d’une campagne éclair, entre dans Paris, déclarée « ville ouverte ». Le gouvernement s’est replié à Tours puis à Bordeaux. Encore deux jours et le président du Conseil, Paul Reynaud, cédera la place à Pétain.

Dans le Lot, le même chaos est perceptible. Un partie des huit millions de Français qui se sont littéralement jetés sur les routes a pris ses quartiers dans le Quercy. A Cahors même, on recense bientôt 70 000 réfugiés. Ils sont originaires de Belgique, du nord du pays, d’Alsace-Lorraine, de la région parisienne. Un couple fait exception. A Calamane, le peintre et poète Francis Picabia (1879-1953) et sa compagne Olga Mohler (1905-2002) arrivent de Golfe-Juan, sur la Côte d’Azur, pour se mettre au vert chez leur ami Robert Dumas.

 

14 juin 1940. C’est un vendredi. Ce n’est pas habituel que de se marier ce jour-là. Pourtant, le maire Robert Dumas accepte bien volontiers d’endosser son costume d’officier de l’état-civil et de prendre quelques libertés avec les usages (les bans n’ont pas été publiés). Et il unit Francis Picabia (61 ans), artiste peintre et homme de lettres, à Olga Mohler (35 ans). Dans une période où chacun pare au plus pressé, l’épouse du maire de Calamane, Marguerite (dite Suzanne) Dumas (née Fonvieille), a accepté d’être le témoin de la nouvelle « Madame Picabia ». Pour l’anecdote, ce fut le seul mariage enregistré dans le village cette année-là. On ignore la durée du séjour de ces réfugiés un peu particuliers. Ils regagneront par la suite Golfe-Juan (où le couple vit d’ordinaire sur un yacht), Mougins, Tourette-sur-Loup.

1940, l’année où tout bascule

1940 est une année charnière à tous points de vue pour les deux amis. Artiste richissime, Picabia collectionne les voitures de luxe et adore fréquenter les casinos. C’est évidemment ainsi qu’il a rencontré Robert Dumas, administrateur du Palm Beach de Cannes, qui partage son emploi du temps entre la Riviera et le Lot (*). Mais si le peintre officialise son union avec Olga, divorcé de sa première épouse Gabrielle Buffet avec laquelle il a eu trois enfants, puis séparé de sa maîtresse Germaine Everling, sur le plan artistique, les temps changent aussi. Celui qui fut d’abord impressionniste avant d’embrasser l’aventure Dada puis le surréalisme va bientôt réduire sa production. Durant la guerre, il ne peint guère que des nus et par la suite, reviendra à l’abstraction. A la Libération, on lui reproche son indifférence, voire son inaction. Malgré de nouvelles expositions, la maladie le gagne. Sa main est paralysée une forme d’athérosclérose. Il décède à Paris en 1953.

 

Olga lui survivra un demi-siècle, veillant sur l’héritage artistique de ce géant dont un certain André Breton a dit : « Picabia fut un des deux ou trois pionniers de ce qu’on a appelé, faute d’un autre mot, l’esprit moderne. Une œuvre fondée sur la souveraineté du caprice, le refus de suivre, tout entière axée sur la liberté, même de déplaire. » Si les deux hommes furent amis, s’opposèrent parfois, ils eurent donc en commun aussi une forme de coup de foudre pour le Lot…

 

Un mariage pour devenir française

Mais au fait… Pourquoi ce mariage quelque peu précipité ? Olga était de nationalité helvétique et originaire précisément de « Suisse allemande », et donc germanophone. En mai 1940, cela est vite apparu suspect. Surtout sur la Côte d’Azur, où l’on craint autant l’Allemagne nazie que l’Italie fasciste. D’où ce voyage vers le Lot. Assez compliqué du reste. Car Picabia a l’idée saugrenue, par ailleurs, de faire la route en Opel. Durant le trajet, entamé le 8 juin au soir, le couple est interpellé à Pont-Saint-Esprit (Gard) et y passe la nuit à la gendarmerie. Les futurs mariés 

 

 

14 juin 1940. La France vacille. La France est au bord du gouffre. L’armée allemande, au terme d’une campagne éclair, entre dans Paris, déclarée « ville ouverte ». Le gouvernement s’est replié à Tours puis à Bordeaux. Encore deux jours et le président du Conseil, Paul Reynaud, cédera la place à Pétain.

Dans le Lot, le même chaos est perceptible. Un partie des huit millions de Français qui se sont littéralement jetés sur les routes a pris ses quartiers dans le Quercy. A Cahors même, on recense bientôt 70 000 réfugiés. Ils sont originaires de Belgique, du nord du pays, d’Alsace-Lorraine, de la région parisienne. Un couple fait exception. A Calamane, le peintre et poète Francis Picabia (1879-1953) et sa compagne Olga Mohler (1905-2002) arrivent de Golfe-Juan, sur la Côte d’Azur, pour se mettre au vert chez leur ami Robert Dumas.

 

14 juin 1940. C’est un vendredi. Ce n’est pas habituel que de se marier ce jour-là. Pourtant, le maire Robert Dumas accepte bien volontiers d’endosser son costume d’officier de l’état-civil et de prendre quelques libertés avec les usages (les bans n’ont pas été publiés). Et il unit Francis Picabia (61 ans), artiste peintre et homme de lettres, à Olga Mohler (35 ans). Dans une période où chacun pare au plus pressé, l’épouse du maire de Calamane, Marguerite (dite Suzanne) Dumas (née Fonvieille), a accepté d’être le témoin de la nouvelle « Madame Picabia ». Pour l’anecdote, ce fut le seul mariage enregistré dans le village cette année-là. On ignore la durée du séjour de ces réfugiés un peu particuliers. Ils regagneront par la suite Golfe-Juan (où le couple vit d’ordinaire sur un yacht), Mougins, Tourette-sur-Loup.

 

1940, l’année où tout bascule

1940 est une année charnière à tous points de vue pour les deux amis. Artiste richissime, Picabia collectionne les voitures de luxe et adore fréquenter les casinos. C’est évidemment ainsi qu’il a rencontré Robert Dumas, administrateur du Palm Beach de Cannes, qui partage son emploi du temps entre la Riviera et le Lot (*). Mais si le peintre officialise son union avec Olga, divorcé de sa première épouse Gabrielle Buffet avec laquelle il a eu trois enfants, puis séparé de sa maîtresse Germaine Everling, sur le plan artistique, les temps changent aussi. Celui qui fut d’abord impressionniste avant d’embrasser l’aventure Dada puis le surréalisme va bientôt réduire sa production. Durant la guerre, il ne peint guère que des nus et par la suite, reviendra à l’abstraction. A la Libération, on lui reproche son indifférence, voire son inaction. Malgré de nouvelles expositions, la maladie le gagne. Sa main est paralysée une forme d’athérosclérose. Il décède à Paris en 1953.

 

Olga lui survivra un demi-siècle, veillant sur l’héritage artistique de ce géant dont un certain André Breton a dit : « Picabia fut un des deux ou trois pionniers de ce qu’on a appelé, faute d’un autre mot, l’esprit moderne. Une œuvre fondée sur la souveraineté du caprice, le refus de suivre, tout entière axée sur la liberté, même de déplaire. » Si les deux hommes furent amis, s’opposèrent parfois, ils eurent donc en commun aussi une forme de coup de foudre pour le Lot…

 

Un mariage pour devenir française

Mais au fait… Pourquoi ce mariage quelque peu précipité ? Olga était de nationalité helvétique et originaire précisément de « Suisse allemande », et donc germanophone. En mai 1940, cela est vite apparu suspect. Surtout sur la Côte d’Azur, où l’on craint autant l’Allemagne nazie que l’Italie fasciste. D’où ce voyage vers le Lot. Assez compliqué du reste. Car Picabia a l’idée saugrenue, par ailleurs, de faire la route en Opel. Durant le trajet, entamé le 8 juin au soir, le couple est interpellé à Pont-Saint-Esprit (Gard) et y passe la nuit à la gendarmerie. Les futurs mariés arrivent à Cahors le 10 et gagnent aussitôt Calamane. Robert Dumas accepte très vite la demande. Un mariage permettra à la nouvelle épouse d’acquérir de facto la nationalité française…

 

Hors l’acte d’état-civil, il demeure peu d’autres témoignages du séjour des Picabia à Calamane en juin 1940. On a retrouvé toutefois un courrier adressé par Francis à Germaine Everling (**) dans lequel il l’informe de son arrivée dans le Lot et de sa volonté d’y réaliser un portrait de leur fils Lorenzo (né en 1919). Bien que séparé, l’homme demeure courtois… Pourtant, il y a presque un aspect vaudevillesque dans cette situation : sa nouvelle épouse Olga fut d’abord la gouvernante embauchée pour s’occuper, justement, du jeune Lorenzo…

Moins d’un an plus tard, on lira dans le Journal du Lot du 2 avril 1941, dans un article annonçant une exposition, que les jeunes artistes bientôt à l’honneur ont comme parrains Jean Cocteau, Charles Trenet et « Francis Picabia (bien connu à Cahors), qui les ont guidés et soutenus vers leur réussite éclatante ».

 

Des résistants d’exception

Juin 1940. Le maire de Calamane ne devine pas encore que les temps à venir vont bouleverser sa vie de notable. Celui qui avait combattu comme marin durant la Première guerre va de nouveau s’engager. Dans la résistance, cette fois. Sur la Côte d’Azur d’abord, puis dans le Quercy. Il demeure maire de son village mais dans l’ombre, il devient l’un des hommes clés des réseaux et maquis. Son courage, son charisme et son sens du dialogue feront qu’il sera désigné, à l’heure de la Libération, nouveau préfet du département. Il restera dans l’histoire comme le « préfet des bois »… Sa vie fut un roman, et nous en conterons d’autres chapitres.

Une ultime question, toutefois. Robert Dumas aura-t-il revu après la guerre le troisième enfant de son ami Francis, Gabrielle-Cécile Martinez-Picabia (1913-1977) ? Engagée elle aussi dans la résistance, elle fonda et dirigea le réseau Gloria, spécialisé dans le renseignement et lié aux services secrets britanniques, puis elle gagna Londres et servit au sein du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) de la France Libre…

Ph.M.

(*) : Source : article de Paul Pawlowith dans Quercy Recherche, n° 47, octobre 1989 – février 1990.

(**) Source : site de la Bibliothèque Kandinsky (Centre de recherche du Musée national d’art moderne, Centre Pompidou).

Autres sources : archives départementales du Lot, site Gallica BNF, archives commune de Calamane.

Photos : Autoportrait de Francis Picabia (1920), sur le site Mélusine (Centre de Recherches sur le Surréalisme de Paris III) / Portrait d’Olga par Francis Picabia (« Album Picabia » par Olga Mohler-Picabia, Fonds Mercator).

 



01/07/2025
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