2303- Affaire Cantat... pour changer un peu du 49.3 1 post

Affaire Cantat : enquête sur un féminicide et une omerta

  • par Clément Pétreault, pour Le Point - mars 2023
Vingt ans après la mort de Marie Trintignant, «Désir noir» (Flammarion), le livre de la journaliste Anne-Sophie Jahn, apporte de nouveaux éclairages.
 
Qui aurait pu imaginer que, derrière ses généreux discours et son regard d’agneau, la plus grande rock star française des années 2000 dissimulait aussi une brute ? Il y a bientôt vingt ans que Marie Trintignant est morte, un soir de colère à Vilnius, sous les coups de Bertrand Cantat. La thèse de l’accident n’a pas résisté à l’épreuve des faits, et le chanteur a été condamné à huit ans de prison, peine qu’il purgera en partie en France dans des conditions plutôt confortables. Depuis, le chanteur a repris une carrière artistique – parfois subventionnée par les fonds publics des festivals – et se présente comme un homme victime de sa «passion». Imaginerait-on un tel dénouement à une affaire de cette nature aujourd’hui ? C’est ce qu’a voulu comprendre Anne-Sophie Jahn dans son livre Désir noir, à paraître le 15 mars. La journaliste du Point, experte des excès du milieu du rock, trouble les silences gênés et rassemble les preuves d’une dérive qu’il était impossible de ne pas voir. Elle retrace l’histoire d’un clan qui va céder à la paranoïa pour sauver son chef. Il y a d’abord les membres du groupe, qui nouent un pacte du silence. Ils n’ignorent rien du tempérament du chanteur, possessif et colérique avec les femmes, mais ils sont frappés d’amnésie lors du procès.
 
Ensuite, il y a la famille, notamment Xavier Cantat, qui, pour favoriser la défense de son frère, n’hésitera pas à salir la mémoire de l’actrice défunte. «Quand on ne peut plus rien faire à une morte, il reste encore à détruire sa mémoire. Ils ne l’ont pas laissée tranquille, même après sa mort», se souvient une proche de la famille Trintignant. Et enfin il y a l’épouse officielle, Krisztina Rády, qui devant les juges et les policiers taira les menaces et les coups déjà reçus, espérant sauver sa famille. En vain. Elle finira par se suicider après une longue descente aux enfers dont témoignent les SMS qu’elle échange alors avec son amant, François Saubadu. Dans Désir noir, on assiste à l’irrémédiable naufrage d’une femme, terrorisée par les réactions d’un époux jaloux et notoirement violent. Là non plus, ce n’était pas un accident.

EXTRAITS

Au lendemain des faits
Pendant que Marie est opérée, Cantat retourne dans ce qui devient une scène de crime. Il appelle sa femme Krisztina puis il avale une boîte entière de cachets avant de s’écrouler, en slip, sur la moquette. La brigade criminelle, venue pour l’arrêter, l’emmène à son tour à l’hôpital. Au service de toxicologie, les médecins lui font un lavage d’estomac, à quelques étages de là où repose Marie. Ruta [une jeune Lituanienne présente sur le tournage, NDLR] se souvient : «La famille était en colère parce que tout le monde a compris que c’était un spectacle. Quand on veut se suicider, on le fait. Lui voulait seulement avoir plus d’attention. Tout, ses coups de téléphone, cette tentative de suicide, c’est une façon de dire “regardez-moi”. Enfin c’est mon opinion.»
 
Krisztina appelle Samuel [Benchetrit]. Elle lui dit que Bertrand est violent, qu’il l’a toujours été, ça lui est déjà arrivé à elle de le subir, il l’a envoyée à l’hôpital une fois. Elle prévient aussi les membres de Noir Désir. Pascal Nègre, patron d’Universal, loue un avion privé pour 11.000 euros, afin que l’entourage du chanteur puisse se rendre sur place au plus vite. Il atterrit le lendemain, en fin de journée. Dans le hall de l’hôtel Radisson Blu où séjournent la plupart des Français du tournage, Krisztina tombe sur Roman et Agnès Tassel, la maquilleuse, et leur confie qu’une fois, Cantat l’a battue et laissée sur le sol, qu’en réalité, il a été violent avec les quatre femmes qu’il a aimées. Un des membres de Noir Désir le leur confirme : oui, Bertrand s’est déjà montré violent.
 
Un ancien compagnon de prison raconte
«J’ai assisté, comme les détenus et surveillants, à ses colères monstres au parloir contre sa femme. Elle partait en larmes avec les enfants. Il lui donnait des ordres : “Va m’acheter ceci !”, et si elle ne le ramenait pas… Avec son frère ou les membres du groupe qui sont venus le voir au parloir, il était calme, mais avec sa femme, il était dirigiste, si ça n’allait pas comme il voulait, il n’était pas content. Les détenus intervenaient, lui disaient : “Oh Cantat ça suffit, calme-toi, on veut pas de bruit dans le parloir !”»
 
Sur l’indulgence des médias
La situation est paradoxale. Depuis #MeToo, on condamne le harcèlement sexuel, un homme faisant un commentaire déplacé à une femme par SMS peut être viré, mais un homme frappant des femmes, parfois à mort, doit à tout prix conserver tous ses privilèges ? On pardonne à JoeyStarr d’avoir giflé une hôtesse de l’air (elle aura douze jours d’incapacité de travail pour traumatisme cranio-facial et fracture nasale) et d’avoir été condamné à trois mois de prison ferme pour violences envers sa compagne en 2008. On pardonne à Bertrand Cantat d’avoir tué sa maîtresse à coups de poing et frappé sa femme. Mais on ne pardonne pas à Polanski d’avoir violé une jeune fille il y a quarante ans. La sanction sociale a un double standard. Les associations féministes et les médias de gauche ont longtemps eu une attitude ambiguë face au chanteur, qui a toujours été dans le «camp du bien». Sur le CRIC, un site d’informations locales «contre les systèmes de domination» (colonialisme, impérialisme, capitalisme, racisme, hétéro-patriarcat…), on peut lire : «Ça aurait été tellement plus facile si c’était un vieux type moche de droite, les organisations de gauche auraient alors sans doute eu moins de mal à condamner son retour sur scène.» Cécile Duflot, l’ancienne compagne de Xavier Cantat, a condamné les «séducteurs brusques», mais ne s’est jamais exprimée sur l’affaire Cantat, malgré mes tentatives. Caroline de Haas non plus n’a pas souhaité répondre à mes questions.
 
Pendant l’instruction
Krisztina, la mère de ses deux enfants, la femme abandonnée présente dès son arrestation, le soutient loyalement, jusqu’au mensonge. Depuis la mort de Marie, elle ne parle plus des violences de son mari. «Bertrand n’a jamais levé la main sur quiconque avant le 27 juillet 2003. Ni sur moi ni sur une autre», assure-t-elle. Elle aurait pourtant prétendu l’inverse à Samuel Benchetrit et à Roman Kolinka, à Vilnius, peu de temps après le drame. Krisztina leur aurait en effet confié que Bertrand l’avait déjà frappée et poursuivie avec un couteau, affirme Samuel Benchetrit lors de son audition. Les membres du groupe aussi reviennent sur leurs déclarations initiales aux proches de Marie.
 
Un frère à la rescousse
Xavier Cantat a un an de plus que Bertrand. Élu écologiste et photographe intermittent du spectacle, il est à l’île de Ré avec sa compagne Cécile Duflot lorsqu’il apprend la nouvelle de l’arrestation de son frère. Ils sont de la même «planète» : celles des «camarades altermondialistes» se shootant à la bonne conscience en méprisant le reste du monde. À Paris, il s’est rendu discrètement à l’enterrement de Marie, et a été écœuré par ce qu’il y a vu. «Sa béatification orchestrée sous les auspices du microcosme cinématographique, milieu dont on connaît les turpitudes, est indigne», écrira-t-il quelques mois plus tard dans son livre, dédié «à Marie et Bertrand». Y a-t-il vraiment plus de turpitudes dans le milieu du cinéma que dans celui du rock, de la photographie ou du parti écologiste ? Il déclarera aux enquêteurs : «Certaines personnes du milieu théâtral ou cinématographique m’ont dit qu’elle avait la réputation d’une personne déséquilibrée, fragile, voire violente, absorbant de nombreux produits psychotropes et consommant de l’alcool, qu’elle était très bien pour la fête et pour baiser.» Un comportement méritant la peine de mort ? Il montre en tout cas peu de compassion pour ceux qui viennent de perdre leur fille, sœur, mère, amie.
 
Après la prison, un proche de Bertrand et de Krisztina se souvient
«Il y avait beaucoup d’amour entre eux, mais aussi beaucoup de tensions. Je ne l’ai jamais vu la frapper, mais tous les jours, j’entendais Bertrand hurler sur Krisztina, acculée au coin de la cuisine. Il était tout près d’elle, un couteau à la main, dirigé vers lui-même. Elle m’a confié vouloir s’échapper.» Pendant toute cette période, Krisztina continue secrètement de correspondre avec François [Saubadu]. Mais Bertrand vérifie ses relevés téléphoniques. Le 28 juin, les amants se retrouvent à Paris, pour quelques jours de fête dans les paradis artificiels. «On est rentrés ensemble en TGV à Bordeaux mais elle m’a demandé de changer de wagon pour que Cantat, qui l’attendait sur le quai, ne me voie pas. Il fouillait son portable, alors elle effaçait tous nos SMS “parce que s’il les voyait, il me tuerait”, disait-elle. Moi je me disais, il est en conditionnelle, il ne la touchera jamais. Donc je continuais à lui envoyer des messages, pour qu’il pète un câble. En rentrant de notre escapade à Paris, je lui ai écrit sur ce week-end passé à faire l’amour.»
 
Le 3 juillet à 13 heures, Krisztina envoie à François ce SMS : «Je suis à bout de forces, Bertrand est extrêmement jaloux de toi, et depuis que tu lui as décrit comment on faisait l’amour, il a des coups de colère, il vérifie tout, chaque mot peut faire éclater une dispute, et il s’interroge sur ce qui s’est passé le week-end dernier. […] s’il apprend quoi que ce soit, ce sera la fin de mon histoire ici-bas. Je n’arrête pas de courir d’un psy à l’autre pour trouver des solutions à ses coups de colère, mais ça ne marche pas. Je t’en supplie, n’appelle pas, l’iPhone a déjà été cassé lundi pour cela. L’autre, comme tu continuais, j’ai dû le cacher, car s’il apprend que tu connais mon numéro, c’est fini pour moi.»
 
Le message que Krisztina laisse sur le répondeur de ses parents avant de se suicider
«Allô, salut Maman, salut Papa, c’est Cini, il y a très longtemps qu’on ne s’est pas parlé […] Hélas, je n’ai pas grand-chose de bon à vous offrir, et pourtant il aurait semblé que quelque chose de très bon m’était arrivé, mais en l’espace de quelques secondes Bertrand l’a empêché et l’a transformé en un vrai cauchemar qu’il appelle amour. […] hier j’ai failli y laisser une dent, tellement cette chose que je ne sais comment nommer ne va pas du tout. Il m’a balancé mon téléphone, mes lunettes, m’a jeté quelque chose, de telle façon que mon coude est complètement tuméfié et malheureusement un cartilage s’est même cassé, mais ça n’a pas d’importance tant que je pourrai encore en parler.
Mais… puisque nous avons donc décidé de revivre ensemble et que Bertrand, n’est-ce pas, est à nouveau amoureux de moi et ne peut vivre qu’avec moi, ce qui serait bien s’il était possible de vivre avec lui, mais on ne peut pas, et voilà. […] Ensuite, avec un peu de chance, si j’en ai la force et qu’il n’est pas trop tard, je déménagerai dans un autre pays et je disparaîtrai simplement, car je dois disparaître, et j’enverrai quelqu’un pour récupérer mes affaires […] naturellement vous pouviez deviner qu’une série d’événements encore plus regrettables que celle de 2003 a eu lieu, car à l’époque cela ne m’était pas arrivé à moi, tandis que maintenant cela m’arrive, et déjà à plusieurs reprises j’ai échappé au pire, et puis c’est intenable, les enfants n’en peuvent plus […] Bertrand est fou, il croit que c’est là le plus grand amour de sa vie et que, mis à part quelques petits déraillements, tout va bien. Et tout le monde, bien sûr, dans la rue le considère comme une icône, comme un exemple, comme une star, et tout le monde désire que pour lui tout aille bien, et après il rentre à la maison et il fait des choses horribles avec moi devant sa famille. […]
 
Voilà, c’est tout, et j’espère qu’on va pouvoir s’en sortir et que vous pourrez encore entendre ma voix, et sinon, alors vous aurez au moins une preuve que… mais des preuves il y en a, les gens dans la rue et nos amis, car ce qu’ils ont vu hier quand Bertrand a tout cassé, et j’ai eu peur que pour une fois cela ne se passe pas chez nous mais chez nos amis, et donc si une telle chose devait arriver, ils pourraient témoigner, même si un témoignage n’aurait aucun sens car tel que je connais Bertrand, il se suiciderait, et alors les enfants resteraient là, orphelins. J’aimerais tant l’éviter, seulement on ne peut s’en sortir sains et saufs, et cet état psychique n’est pas non plus propice pour bâtir une relation de couple. Voilà ce que je pouvais en dire brièvement et j’espère que vous allez mieux au cas où nous ferions notre apparition afin que vous puissiez nous supporter et nous aussi vous supporter, car nous ne sommes ni agréables ni joyeux, et nous serons revenus de tout. Je vous embrasse. […]» Bip.�
  • Illustration : Anne-Sophie Jahn et son livre «Désir noir», éditions Flammarion, mars 2023, 224 pages, 20 € (papier).
Peut être une image de 2 personnes et texte qui dit ’Anne-Sophie Jahn Désir noir récit «La mort de Marie Trintignant n'était pas un accident.» Flammarion’
 


19/03/2023
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 355 autres membres

blog search directory
Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Créez votre blog | Espace de gestion