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«Abroger la réforme des retraites serait une perte de temps colossale» (Rappel)
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propos recueillis par Philippine Robert, pour Le Point - juillet 2024 republié par Jal Rossi
INTERVIEW. Selon l’économiste Thomas Philippon, le prochain gouvernement devra affronter le problème de la dette avec honnêteté et pragmatisme.
Dans une note du Conseil d'analyse économique (CAE), organisme rattaché à Matignon, les économistes Xavier Ragot, Thomas Philippon et Adrien Auclert préconisent d'économiser 112 milliards d'euros à moyen terme afin de garder la maîtrise de nos finances publiques. Pour Le Point, Thomas Philippon dresse la feuille de route du futur gouvernement.
Le Point : Nos finances publiques sont-elles dans un état catastrophique ?
Thomas Philippon : Non, elles ne sont pas dans un état catastrophique, mais nous n'avons pas non plus de marge de manœuvre. Avec le « quoi qu'il en coûte », l'impression qu'on pouvait trouver des centaines de milliards d'euros par enchantement s'est répandue et a donné du grain à moudre à une certaine école de pensée qui estime que la dette n'est pas un sujet et qu'il est possible d'emprunter toujours plus. À l'opposé, certains pensent que la France est au bord de la faillite. Ces deux extrêmes sont faux. Dans cette note, nous écrivons que nous ne sommes pas au bord du gouffre, mais que nous ne pouvons pas nous permettre de reporter l'ajustement. Le point important à noter est qu'historiquement le taux de croissance est à peu près égal au taux d'intérêt : la hausse du ratio de dette par rapport au produit intérieur brut (PIB) est donc entièrement due à ce que l'on appelle le déficit primaire, c'est-à-dire les dépenses moins les recettes mais sans compter le paiement des intérêts.
«Si nous arrivons à équilibrer les comptes de l’État, la dette se stabilisera d’elle-même.»
Dans ce fait, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle.
La bonne nouvelle, c'est que nous ne sommes pas sur une dynamique de dette qui s'emballe, comme l'ont connue l'Italie et la Grèce. C'est pour cela que nous disons que nous sommes encore maîtres de notre destin. Si nous arrivons à équilibrer les comptes de l'État, la dette se stabilisera d'elle-même.
La mauvaise nouvelle, c'est qu'on ne peut pas attendre de miracle macroéconomique : la croissance ne peut pas nous sauver. Si on ne met pas les comptes à l'équilibre, la dette va augmenter indéfiniment.
Dans votre note, vous évoquez le chiffre de 112 milliards d'économies : comment en êtes-vous arrivé à ce résultat ?
Aujourd'hui, nous avons trois points de PIB de déficit primaire. Nous pensons que nous devons viser un surplus primaire d'un point de PIB, car, si nous visons l'équilibre, nous arriverons seulement à stabiliser la dette et nous n'aurons pas de marge de manœuvre pour la prochaine crise dans cinq ou dix ans. Il nous faut donc économiser quatre points de PIB, soit un peu plus de 110 milliards d'euros. Ce n'est ni de droite ni de gauche, c'est de la pure comptabilité macroéconomique. Il faut le faire, on ne peut pas se permettre de laisser la dette exploser.
Sur 7 à 12 ans, selon vous. Pourquoi ?
Nous devons trouver le point d'équilibre entre une stabilisation suffisamment rapide de la dette, d'un côté, et le risque de récession si nous consolidons trop vite, de l'autre. Nous pensons que ce n'est pas une bonne idée de consolider de plus d'un point de PIB par an, car c'est récessif. Des pays l'ont fait, mais ils étaient tous en crise. Cela dit, il serait dangereux de dépasser le seuil des 120 %. Ce n'est pas un chiffre magique : si la dette de la France dépasse ce seuil, ce ne serait probablement pas la fin du monde. Cependant, ce serait quand même un vrai risque en cas de crise : nous n'aurions plus les marges de manœuvre nécessaires pour y faire face et les épargnants pourraient ne plus nous faire confiance. Si vous combinez ces deux paramètres dans des équations, vous trouvez que la vitesse optimale d'ajustement est d'environ 7 ans. Si l'on commence aujourd'hui, nous aurons fini en 2031.
Ça, c'est la théorie, mais cela vous paraît-il réalisable ?
Économiquement, c'est parfaitement faisable : d'autres pays l'ont fait et plus rapidement, même s'ils ont été, pour beaucoup, obligés de le faire en pleine récession car les épargnants ne leur faisaient plus confiance. C'est ce qu'il faut éviter. Politiquement, c'est plus compliqué. Il faut se mettre d'accord pour faire cet ajustement. C'est pour cela que nous avons voulu définir des cibles qui puissent être au maximum consensuelles. Si nous acceptons de viser cet objectif, il faut ensuite faire un arbitrage entre augmenter les recettes et baisser les dépenses. Il n'y a pas de formule magique, on ne dit pas qu'il faut faire l'un ou l'autre, mais, étant donné notre niveau de dépenses publiques, nous pensons qu'il est plus pertinent que l'ajustement se concentre en priorité sur les dépenses.
«Il faudra chercher ces économies partout et ne pas avoir de tabou.»
Il serait, par exemple, raisonnable d'augmenter d'un point de PIB les impôts et de baisser de 3 points de PIB les dépenses. Nous avons proposé dans notre note des pistes d'économies qui avaient été expertisées auparavant par le CAE, comme le recentrage du crédit d'impôt recherche (CIR) ou des aides à l'apprentissage. Autre sujet important : à enveloppe constante, il faut également réfléchir à nos priorités pour réallouer des dépenses. L'éducation peut, par exemple, être une priorité parfaitement légitime, mais, si on veut investir dans ce domaine, il faut peut-être dépenser moins dans d'autres, comme les retraites.
Quel conseil donneriez-vous au prochain gouvernement ?
Il faudra d'abord être honnête : il existe aujourd'hui un consensus partagé sur le chemin à suivre. Il faudra également être pragmatique, chercher ces économies partout et ne pas avoir de tabou. Et chercher le consensus : faire un ajustement sur 7 ans, cela veut mécaniquement dire que ça ne concernera pas un seul gouvernement et qu'il faut que ce soit un engagement de la France. Différents gouvernements peuvent ensuite être élus ou renversés, et peuvent donc décider de changer les priorités de dépenses mais en restant sur le même chemin de stabilisation de la dette. Si on pouvait avoir un accord qui ressemble à ça, cela serait très utile car ça permettrait de crédibiliser la trajectoire.
Être pragmatique, cela signifie également qu'il ne faut pas réinventer la roue. Je vais prendre un exemple très simple : la dernière réforme des retraites. Je n'étais pas d'accord avec tous les points de cette réforme, mais cela n'aurait aucun sens de l'abroger, voire de revenir à 60 ans. Ce serait une perte de temps colossale ! La bonne réponse serait plutôt d'utiliser ce temps pour faire une réforme structurelle de l'ensemble du système de retraite français pour le simplifier, le rendre moins coûteux et plus juste.