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 «À l’hôpital, Il y a beaucoup plus de tire-au-flanc qu’avant»

ENTRETIEN - Michaël Peyromaure est chef de service en urologie à l’hôpital Cochin. Il observe depuis longtemps le désinvestissement au travail de nombreux agents de santé.
 
Le Figaro magazine. - L’hôpital est-il gagné par la loi du moindre effort?
L’hôpital n’échappe pas aux phénomènes qui minent toute la société. Nous sommes entrés dans l’ère des loisirs. Cela touche aussi bien le personnel soignant que les patients.
 
Michaël Peyromaure. - Un exemple de cette priorité aux loisirs?
Les entretiens d’embauche! Tous ceux qui ont eu à embaucher une infirmière, une aide-soignante ou une secrétaire vous rapportent la même chose, et je l’ai vécu moi aussi. Les trois questions posées prioritairement par les candidates sont: à quelle heure serai-je rentrée chez moi ; vais-je choisir mes dates de vacances ; aurai-je droit à toutes mes vacances la première année? Ce qui est relatif au métier lui-même est secondaire.
 
Les patients sont-ils eux aussi des «gratte-vacances»?
Beaucoup de patients devant se faire opérer, y compris pour un cancer, choisissent leur date opératoire en fonction de leurs vacances et non pas des contraintes de l’hôpital. Ils veulent bénéficier d’un arrêt de travail pour leur convalescence, puis partir en vacances une fois rétablis. Autrefois, la majorité des gens se faisaient opérer juste avant de partir en vacances, de manière à ne pas sacrifier leur travail.
 
Les internes sont réputés pour leurs heures supplémentaires...
Oui. Au risque de choquer, je crois que le nouveau cadre réglementaire qui est censé les protéger contre le surtravail est une mauvaise idée. La norme européenne de plafonner à quarante-huit heures par semaine leur temps de travail est une hérésie. Si elle était strictement appliquée, les internes passeraient seulement trois jours et une nuit par semaine dans le service. Ça ne peut pas marcher!
«Avec les nouvelles règles, les internes risquent de devenir des gratte-papier qui connaissent la théorie, mais pas la pratique.» Michaël Peyromaure
Quarante-huit heures par semaine, c’est déjà pas mal!
Nous avons longtemps eu en France un système qui repose sur le compagnonnage, notamment en chirurgie. Les internes sont des apprentis, pas des étudiants. Jusqu’à récemment, ils travaillaient jusqu’à cent heures par semaine. Ils étaient épuisés mais remarquablement formés. Le monde entier nous enviait ce système. Avec les nouvelles règles, ils risquent de devenir des gratte-papier qui connaissent la théorie, mais pas la pratique.
On a tellement entendu parler des abus…
Il y en avait. J’en ai moi-même été victime. Mais ça forgeait aussi le caractère. L’internat était un sacrifice. Aujourd’hui, c’est devenu un travail comme un autre. Le matin, ils partent après leur garde sans toujours passer dans le service pour régler les problèmes.
Et la médecine libérale?
C’est la même chose. Les jeunes praticiens s’installent préférentiellement en groupe, avec des horaires de fonctionnaires. À leur décharge, il faut dire qu’ils sont infantilisés par nos tutelles. Avec la consultation à 25 euros et toute la paperasse, il y a de quoi démotiver les meilleurs.
«Il arrive que nous ne puissions pas opérer un patient qui attend depuis la veille parce qu’une infirmière estime que l’horaire est dépassé. Voilà où en est l’hôpital.» Michaël Peyromaure
Les médecins de campagne ne s’arrêtaient jamais. C’était un sacerdoce. Peut-on exiger cela de tous?
C’était difficile, mais en contrepartie les médecins étaient respectés, parfois vénérés. En tout cas, leur autorité n’était pas contestée. Récemment, un de mes amis s’est mis en quête d’un généraliste. À chaque fois qu’il appelait, on lui répondait: ce médecin ne prend plus de patients! C’est incompréhensible, ça devrait être interdit!
Qu’avez-vous à ajouter pour aggraver votre cas?
Il arrive que nous ne puissions pas opérer un patient qui attend depuis la veille parce qu’une infirmière estime que l’horaire est dépassé. Voilà où en est l’hôpital.
On dit que les brancardiers ne répondent pas toujours présent…
J’ai appris que certains ne brancardaient qu’un patient par jour. Que font-ils le reste du temps?
Le désengagement au travail est donc aussi le résultat de l’accumulation des normes…
La santé est dirigée par l’État, la Sécurité sociale et les agences régionales de santé. Les soignants deviennent des prestataires de services. Ils ne sont plus décisionnaires. Dans les années qui viennent, les soignants vont moins s’investir au travail. Ils n’en ont plus envie. Seule une petite partie d’entre eux tiendra le flambeau.
Et pourtant, on a beaucoup salué le dévouement des personnels soignants pendant la pandémie…
À juste titre! Il y a toujours eu des gens exceptionnels qui ne comptent pas leurs heures. Mais leur nombre baisse dangereusement. À mes débuts à l’hôpital, il y avait peut-être un tire-au-flanc pour dix agents. Aujourd’hui, il y en a quatre ou cinq. Ceux qui restent impliqués compensent en permanence les carences des autres. Ce sont eux, les vrais héros.�
Illustration :
  • Michaël Peyromaure, chef de service en urologie à l’hôpital Cochin. Cyril Entzmann / Divergence
 
 


23/02/2023
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