933-Jeanne d'Arc ou l'opération bergère (Luc Soubré) 2 posts

 

JEANNE D' ARC OU L'OPÉRATION BERGÈRE

Réflexion préliminaire...et indispensable :

 Il n'existe que deux logiques d'explication pour comprendre la si belle
histoire de Jeanne la Pucelle.


1- La première c'est de croire à l'intervention divine dans une querelle d'
héritage dynastique, cause de la Guerre de Cent Ans.
 Souvenons nous : à la mort du dernier Capétien en ligne directe(1328),
s'opposèrent un neveu de Philippe le Bel, Philippe de Valois et Edouard III
roi d'Angleterre petit-fils de Philippe le Bel par sa mère, Isabelle de
France.


 Les Barons Français  choisirent le Valois ( devenu Philippe VI ) en
invoquant une prétendue loi franque, la loi Salique, par laquelle le trône
de France ne pouvait se transmettre par les femmes.
 Cependant les Barons Français étaient plus forts sur le tapis vert que sur
les champs de bataille car ils conduisirent la chevalerie française à trois
désastres majeurs : Crécy (1346), Poitiers (1356) avec la capture du roi
Jean II le Bon et pour finir, Azincourt (1415) après lequel Isabeau de
Bavière
signa le traité de Troyes. Celui-ci déshéritait le Dauphin ( futur
Charles VII ), donnait sa fille en mariage à Henri V d'Angleterre - le
vainqueur d'Azincourt- et le reconnaissait comme héritier du trône de
France.

 C'en était trop ! Dieu compatissant au malheur des Français décidait
d'aider ces incapables par l'entremise d'une jeune bergère de Lorraine,
Jeanne d'Arc. Cette version a pour cohérence le merveilleux divin où rien
n'est impossible.



2-  La deuxième logique d'explication consiste à laisser Dieu de côté et à
pratiquer la démarche historique fondamentale celle du doute méthodique
.
Selon Marc Bloch "le doute méthodique est d'ordinaire le signe d'une bonne
santé mentale".
   Avec cette méthode chaque fait rapporté est confronté aux autres,
examiné à la lumière des documents d'époque en se servant de tous les outils
de la science historique qui ne cesse de progresser. Alors au crible d'un
examen critique et rationnel, que devient l'épopée de Jeanne d'Arc ? Une
passionnante histoire humaine qui ne perd rien de son extraordinaire
attrait.

LES ORIGINES DE LA PUCELLE :


    Le Pape Pie II écrivit dans ses Mémoires rédigées en 1458 ( deux après
la réhabilitation de Jeanne d'Arc ) :

"Fut- ce œuvre divine ou humaine ?J'aurai peine à le dire...Certains pensent que

devant la division entre les grands du royaume un plus sage que les autres imagina

 l'expédient de leur faire  alléguer qu'une pucelle avait été envoyée par Dieu et accepter

de lui remettre le commandement qu'elle  demandait ".


Voilà un homme perspicace ou bien renseigné. Quoiqu'il en soit, le problème
est posé. S'il n'y a pas eu d'intervention divine comment l'opération
a-t-elle été montée, par qui, et pourquoi ce fut cette Jeanne de la famille
d'Arc qui fut choisie ?

Des indices concordants :

- Le village de Domrémy est du ressort de l'évêché de Toul qui est dans le
domaine de Louis d'Orléans amant d'Isabeau de Bavière.  Or, en juin 1407 les
comptes de l'Hôtel Saint Pol font ressortir le don d'une somme d'argent à
une Jeanne d'Arc, belle sœur de Jacques d'Arc le père officiel de la Pucelle.

Pourquoi cet argent et à ce moment là ?


- La liaison d'Isabeau de Bavière et de Louis d'Orléans. Au printemps 1407
Isabeau est enceinte de Louis d'Orléans.  Elle accouchera le 10 novembre,
non pas à l'Hôtel Saint Pol résidence royale, mais chez elle à l'Hôtel Barbette.

 À peine né l'enfant est ondoyé et meurt. Le corps est transporté le lendemain

à la Basilique Saint Denis et inhumé.  


- Les contradictions sur le sexe du nouveau né. C'est le douzième enfant
d'Isabeau qui n'en aura plus après la mort de Louis d'Orléans ( assassiné le
23 novembre ). Certaines chroniques notent la naissance d'un garçon,
Philippe, et les autres d'une fille Jeanne.


- La date de naissance officielle de Jeanne est 1412  sauf que Jeanne elle
même au cours du procès de Rouen a donné des repères chronologiques qui ne
concordent pas avec cette date. Par exemple en évoquant son voyage à
Neufchâteau " vers la vingtième année de son âge ", alors que celui-ci eut
lieu en 1428, un an avant son départ de Vaucouleurs. Précisément ce voyage
avait pour but  de répondre à une assignation devant le  tribunal ecclésiastique

de Toul par un jeune homme qui accusait Jeanne de rupture de fiançailles.

Elle se défendit seule et gagna son procès ce qui ne pouvait être le fait d'une
gamine de seize ans qui n'aurait pas été autorisée à paraître seule en justice.

Vont dans le même sens des témoignages du procès de réhabilitation
qui par rapport à l'âge des témoins et aux faits rapportés situent la naissance

 de Jeanne en1407.


Tous ces indices et la manière dont Jeanne s'adressait à un puissant seigneur

 comme Dunois " le Bâtard d'Orléans " - " Bâtard, si Falstaff passe sans que

 je le sache, je te promets que je te ferai ôter la tête "-,conduisent à une quasi

certitude. Jeanne la Pucelle fille de Louis d'Orléans et d'Isabeau de Bavière

était par celle-ci la demi-sœur de Charles VII et par son père la demi-sœur de Dunois. Cette appartenance à la famille d'Orléans explique la sollicitude de Jeanne pour Charles d'Orléans prisonnier en Angleterre depuis Azincout et les présents que celui-la lui
fit constamment envoyer.


Cette explication d'ordre humain a le mérite de rendre intelligibles les
épisodes de la geste de la Pucelle.



FAMILLE D'ADOPTION, JEUNESSE, APPRENTISSAGE DES ARMES.


La pauvre bergère de la légende fut en réalité élevée dans une famille de
paysans plutôt aisée. Jacques d'Arc est sur un acte officiel qualifié de "Doyen

 de Donrémy " et en 1427 il est le procureur fondé des habitants de la
commune. Ainsi cette famille n'avait pas besoin que Jeanne gardât les
troupeaux
ce qu'elle confirma au  procès de Rouen en disant qu'elle ne
l'avait fait que quelques fois.


Il faut souligner que Jeanne en parlant d'elle même ne se nomma jamais
Jeanne d' Arc , mais simplement Jeanne ou Jeanne la Pucelle.Jamais elle ne
revendiqua le patronyme de son père " officiel ", ni Romée nom de sa
prétendue mère.


Autre point important : Jeanne, contrairement à la légende, n'était pas
illettrée
. À son procès elle déclare savoir lire et écrire et il subsiste en
original cinq lettres envoyées par elle dont trois sont signées avec des
rectifications indiquant qu'elle lisait ce qu'elle dictait.


La question de son apprentissage du cheval et des armes est aussi central :
imagine-t-on un bergère sachant monter à cheval et manipuler les armes de
l'époque ? Si les historiens ne sont pas d'accord sur la durée de l'apprentissage

guerrier, ils s'accordent sur les noms des  maîtres écuyers : Jean de Novelonpont

et Bernard de Poulengy qui étaient en relation avec la cour de Charles VII par

l'entremise du confesseur du Roi, Gérard Machet, protégé de Yolande d'Aragon,

duchesse d'Anjou et belle-mère du Roi.



L' OPÉRATION DE YOLANDE D'ARAGON ET DES ORLÉANS.

Ainsi les instructeurs de Jeanne sont les maillons extrêmes de la chaîne qui
va de l'entourage du Roi à Jeanne. Celle-ci savait qui elle était et ce
qu'elle devait faire. C'est ainsi qu'avant de partir de Vaucouleurs  elle va
voir le duc Charles de Lorraine à Nancy.La légende prétend que c'était dans
le but de demander une escorte ce dont elle n'avait nul besoin comme la
suite l'a prouvé. En réalité c'était une démarche politique pour rallier à
la cause du Roi la maison de Lorraine, notamment René d' Anjou, second fils
de Yolande d'Aragon. Accompagner Jeanne signifiait une adhésion à Charles
VII. Sa mission échoua car les Lorrains devaient ménager la Bourgogne.
Rentrée à Vaucouleurs, Jeanne y trouva Colet de Vienne écuyer et messager
royal chargé par le Roi de la faire venir à Chinon.
         Le 13 février 1429 s'inaugurait l'opération politique préparée sur
les bords de Loire.


LE SECRET : L'ENTRETIEN DU ROI ET DE JEANNE EN TÊTE À TÊTE.


Personne ne saura jamais ce qui y a été dit.La longue rencontre sans témoin
entre Jeanne et Charles VII est avérée. De quel mystère s'agit-il ? Sur
celui-ci les avis divergent, les uns affirmant que Jeanne a révélé un secret
concernant le Roi, les autres un secret qui la concernait. Était-ce sur leur
propre naissance ?


Vingt-cinq ans après les événements, au procès de réhabilitation,
l'inquisiteur Jean Bréal déclarait que " le secret à raison même de sa
grande importance, n'était pas de nature à être révélé ".
( cf. La " sortie "

de Louis XI sur la chance que sa grand-mère Ysabeau  ait été infidèle,
sans quoi son père - Charles VII -, et lui même auraient  été fous. - comme
Charles VI- )


Pourquoi garder un tel secret concernant éventuellement la naissance de
Jeanne? Parce que si elle était enfant adultérine de la Reine Ysabeau,
Charles VII pouvait l'être également et donc illégitime
. À l'égard de Jeanne
l'entourage du Roi eut toujours une double attitude : en même temps qu'on
laissait deviner aux gens avertis sa véritable identité, non seulement on la
cachait officiellement mais en plus on répandait en France et aussi à
l'étranger qu'elle était une fille de paysans les d'Arc,  née et élevée en
Lorraine. Pourtant dans la lettre du Roi (2juin 1429) lui accordant les
armoiries comprenant les fleurs de lys, l'épée et la couronne(emblème
d'essence royale),  elle n'est nommée que la Pucelle.  



L' EXAMEN DE POITIERS, LES HONNEURS, LA MAISON MILITAIRE.


D'après
les prophéties qui circulaient sur une Pucelle qui devait sauver la
France, il était primordial de faire vérifier que Jeanne était vierge.
L'examen eut lieu à Poitiers sous la direction de Yolande d'Aragon. Il y eut
aussi des examens théologiques qui conduisirent  les clercs à conseiller au Roi

de laisser la Pucelle délivrer Orléans comme elle en avait le projet.

 Dés cette époque des témoins s'étonnent de l'assurance de Jeanne :

" On eût dit qu'elle n'avait pas mené le bétail paître aux champs, mais qu'elle

 avait cultivé les lettres dans les écoles ".

Aussitôt que la commission de Poitiers eut émis un avis favorable, Jeanne
reçut des honneurs princiers avec constitution de maison militaire dont Jean
d'Aulon qui sera fait prisonnier avec elle, ses moniteurs de Vaucouleurs et
ses " frères ", Jean et Pierre d'Arc. Tout cela avant la prise d'Orléans ce
qui prouve qu'elle était considérée comme une personne de très haut rang.

 


RÉUSSITES MILITAIRE ET POLITIQUE.


Le 8 mai 1429, Jeanne d' Arc força les troupes anglaises à lever le siège d'Orléans.

Elle entra dans la ville avec un convoi de blé financé...par Yolande d'Aragon.
Le 17 juillet le Roi fut sacré à Reims conformément à l'engagement de Jeanne.
À cette date deux des grands objectifs de la Pucelle sont atteints.


POURSUITE DES OPÉRATIONS MILITAIRES : ÉCHECS ET CAPTURE.


En septembre, Jeanne qui avait repris le combat échoua à prendre Paris et
fut blessée. Les historiens sont en désaccord sur l'attitude du Roi et de
Jeanne au début de l'année 1430. Certains prétendent qu'elle est repartie en
guerre sans l'assentiment de Charles VII. Cette assertion ne semble pas
juste car la troupe de Jeanne était constituée de fidèles au monarque,  dont
Jean d'Aulon.
En outre le 16 mars elle adressa aux Rémois une lettre de ton officiel pour
les assurer qu'elle ne les laisserait pas conquérir par les Bourguignons.
Ceux-ci, si elle arrivait étaient menacés de "...chausser leurs éperons en
telle hâte qu'ils ne sauront pas où les prendre, et si le siège était mis je
le ferai lever si vite que ce sera bientôt " .


En avril Jeanne parcourut la région de Lagny. Apprenant que les Bourguignons
voulaient s'emparer de Compiègne, elle décida de s'y enfermer le 23 mai
1430. Le soir même, lors d'une sortie elle fut faite prisonnière victime de
sa vaillance car se battant à l'arrière de la troupe en retraite. Jean d'Aulon et

 Pierre d'Arc furent capturés en même temps qu'elle.



CAPTIVITÉ, MARCHANDAGES, LIVRAISON AUX ANGLAIS.


Au campement, le Duc de Bourgogne rendit visite à Jeanne et s'entretint en
présence d'un seul témoin qui par la suite, prétendit ne pas se souvenir des
propos échangés. Cependant après cette entrevue la prisonnière bénéficia de
quelques égards dont celui de conserver son écuyer. C' était Jean de
Luxembourg qui avait les droits de rançon sur la captive. Celle-ci ayant
fait une tentative d'évasion , elle fut conduite dans le château de Beaurevoir

où elle fut bien traitée par l'entourage féminin du châtelain .
Les Anglais demandèrent à acheter Jeanne par l'intermédiaire de Pierre Cauchon

évêque du diocèse où avait eu lieu la capture. En leur nom il offrit dix mille francs,

 somme considérable, seulement réclamée à des personnes de " grand état ".
L'Université de Paris réclamait aussi la captive pour lui intenter un procès
en hérésie.


En septembre 1430 Jeanne fut transférée à Arras et c'est là qu'elle fut
livrée aux Anglais.Il fut décidé qu'elle serait jugée à Rouen.Contrairement
au droit ecclésiastique, l'évêque Cauchon obtint la concession de présider
au jugement.Jeanne fut enfermée au Vieux Château , sous garde anglaise.



DÉROULEMENT DU PROCÈS, LÉGENDE ET RÉALITÉ
. ( février - mai 1431).


Les péripéties du procès qui sont les plus relatées, sont conformes aux
conclusions du procès de réhabilitation de Jeanne qui eut lieu de 1450 à
1456. C'est de là que vient l'image de la pauvre " Bergerette " , simple
paysanne ignorante qui n'avait guère compris les subtilités théologiques de
ses juges. Cette version avait de multiples avantages, entre autres de
ménager l'Église et ses représentants qui avaient condamné la Pucelle par
une sorte de mésentente réciproque , tout en accréditant le côté miraculeux
de ses prouesses.
Émue par cette belle histoire la postérité et nombre d'historiens se sont
gardés de relever les contradictions entre légende et réalité à propos
d'éléments importants :

- Le  caractère de Jeanne : tout au long des débats elle se montra comme une
jeune fille instruite, guerrière et traitant les juges avec la même
désinvolture que les commissaires de Poitiers.

- Le double aspect du procès à la fois théologique et politique. Jeanne
avait prévenu qu'elle ne répondrait qu'aux questions touchant à la foi. Ce
sont ces interrogations qui l'ont poussée à évoquer les visions reçues,
sujet sur lequel elle s'était montrée fort discrète jusques là. En revanche
elle éluda tout ce qui concernait l'aspect politique, c'est à dire le "secret du Roi ".

Elle en vint même à déclarer que les armoiries qu'elle portait étaient celles de ses

frères et lorsqu'on lui demanda de les décrire elle omit de citer l'emblème de la

couronne royale.

- L'attitude de Cauchon : l'imagerie d'Épinal montre ce prélat comme un
traître, voire un pervers attaché à la perte de Jeanne. Or, dés le début du
procès il décida,  mesure extraordinaire dans les procès d'Inquisition,
d'épargner la torture à Jeanne et ce contre l'avis d'autres inquisiteurs.
Immédiatement aussi, il travailla  à sauver la vie de la Pucelle en
n'affichant qu'un objectif : l'abjuration contre l'emprisonnement perpétuel.

Il ne fut jamais question de condamnation à mort. Enfin lorsqu'elle fut
déclarée " relapse " pour avoir à nouveau revêtu des habits masculins,
Cauchon aurait pu la faire brûler immédiatement  ce qu'il ne fit pas ,

 mais veilla à ce qu'elle retourne à la prison du Château dont une tour se nommait

"  Vers  les Champs " parce qu'elle communiquait par un souterrain avec la campagne.

( Des vestiges de ce souterrain existent encore à Rouen sous la rue Jeanne d'Arc ).

- L'attitude de Charles VII : Il fut souvent  accusé de n'avoir rien fait
pour sauver l'héroïne. De nos jours cette accusation est remplacée par celle
d'avoir échoué car on ne peut plus ignorer certains documents révélateurs
telles que les sommes versées à La Hire et Dunois en reconnaissance de "certaines

 causes " et " deux entreprises secrètes ", alors qu'ils bataillaient en Normandie

tout près de Rouen en avril 1431.

- Les liens de la Duchesse de Bedford avec la France : Épouse du Duc de
Bedford régent pour la France et donc chef des troupes anglaises, la
duchesse était la sœur de Philippe de Bourgogne. Par celui- ci elle ne
pouvait ignorer la parenté de Jeanne qui par les Orléans se trouvait être sa
propre cousine.
( cf.le drame de Shakespeare  " Henri VI " où la Pucelle se
déclare "...issue d'une race de Rois ". ).Le Duc de Bedford doit aussi tenir
compte que la mère d' Henri VI est fille d'Isabeau  et de Charles VI  et
qu'elle peut être également une bâtarde entachant la légitimité du Roi anglais.

Sans compter les représailles possibles des Français qui détenaient Talbot

 le meilleur chef de guerre anglais.


QUE S'EST- IL PASSÉ SUR LA PLACE DU VIEUX MARCHÉ ?


Sur cette place de Rouen une femme y fut brûlée le 30 Mai 1431. Si le sexe
de la victime est sûr car le bourreau à la fin du supplice permit à la foule
de le constater, en revanche personne ne put témoigner de son identité car
elle avait le visage voilé.
En outre il était impossible de deviner ses traits

car les témoins étaient tenus à distance par la troupe anglaise qui entourait l'échafaud.

Qui d'ailleurs aurait pu la reconnaître ? Peu de personnes l'avaient déjà vue.


Cependant dès cette époque courut le bruit que Jeanne se serait évadée.
Ainsi une chronique de 1439 conservée au British Muséum évoque cette
hypothèse à propos de la Pucelle :..."  Finalement la firent ardre publiquement ou autre femme semblable d'elle. De quoi moult de gens ont été et encore sont de diverses opinions ".


Qui aurait fait évader Jeanne ? Sans doute Jean de Luxembourg qui était venu
la voir dans sa prison de Rouen fort probablement pour signifier les conditions

du marché : sa vie sauve contre la promesse de ne plus reprendre les armes

contre les Bourguignons. Il était accompagné de Haimond de Macy qui avait connu

et courtisé Jeanne lorsqu'elle était prisonnière au château de Beaurevoir. Étrangement cet homme de confiance de Jean de Luxembourg , interrogé au cours du procès de réhabilitation,  n' a  aucune information à donner sur le supplice alors qu'il était présent à la scène 'abjuration
quelques jours avant. Il coupe court à toute question en disant de Jeanne ,
" Je crois qu'elle est en paradis ".


À qui pensait-il ? À la Jeanne qui serait morte sur le bûcher ou à la Dame
des Armoises décédée quelques années auparavant ?


RÉAPPARITION DE JEANNE EN LORRAINE
.


En trop grande contradiction avec la légende de la sainte martyre, la réapparition de Jeanne à Metz en 1436 est considérée comme une imposture par tous les tenants de la tradition. Pourtant la chronique de Metz est claire :
" L'an mil quatre cent trente six, le XX ème jour de mai vint la Pucelle
Jehanne qui avait été en France...".
Or les théoriciens de l'imposture ne peuvent répondre à
deux questions logiques :

- Si la Jeanne de 1436 avait été une aventurière, pourquoi serait-elle venue
en Lorraine où plusieurs personnes connaissaient bien la Pucelle?

- Comment savait-elle qu'elle ressemblait à Jeanne alors qu'il n'y avait
aucune circulation de portrait ?

-En outre de nombreux témoins la reconnurent. D'abord les Arc, Pierre et
Petit Jehan, ècuyer. Ensuite le chevalier Nicole Louve qui avait vue Jeanne
au sacre de Reims, ainsi que d'autres chevaliers du pays messin qui avaient
assisté à la cérémonie.
À celle qu'il reconnaissait pour la Pucelle, le chevalier Louve fit aussitôt
don d'un cheval " sur lequel elle sauta très habilement ", d'après le chroniqueur de Metz.  
Ceux qui ne doutaient pas  de son identité firent état de caractéristiques
physiques précises telles
qu'une petite tache rouge sur l'oreille et les
traces de blessures à la jambe et à l'épaule reçues aux sièges d'Orléans et
de Paris.

Pourquoi cette réapparition fut elle possible ? Parce que en cinq ans les
situations militaire et politique ont considérablement évolué.Une grande
partie du territoire français est libérée, dont Paris en avril 1436. L'année
précédente le traité d'Arras a mis fin aux hostilités entre Charles VII et
Philipe de  Bourgogne. Le Duc de Bedford à qui les Anglais  auraient pu
demander des comptes est mort.



LA PUCELLE DEVIENT MADAME DES ARMOISES.


Lors de don procès Jeanne avait déclaré qu'elle n'avait pas fait vœu de
virginité mais selon sa voix " Tant qu'il plairait à Dieu ". Le mariage fut
célébré à Arlon au début de l'automne 1436 entre Jeanne et Robert des
Armoises,  veuf d'un premier mariage
. Le contrat de mariage avait pour but
de protéger les droits de son fils.


À propos de ce document il convient de relater qu'en 1907 Albert Bayet,
futur professeur à la Sorbonne, qui faisait des recherches pour le livre
d'Anatole France sur Jeanne d'Arc, fut certain de  reconnaître la signature
de Jeanne sur le contrat : c'était la même que celle de sa lettre aux
Rémois.
Albert Bayet révéla sa trouvaille auprès de journalistes qui ne s'y
intéressèrent pas, il n'y eut pas de photos et ces archives notariales furent anéanties

dans les destructions de 1918.


Ce Sire des Armoises était apparenté à Baudricourt de Vaucouleurs qui n'eût
pas manqué de démasquer une fausse Jeanne d'Arc.
Quelques semaines après son mariage il vendit une partie de ses revenus
par
un texte qui mentionnait  que la vente est faite par " nous, Robert des
Armoises, chevalier ... et par Jeanne du Lis, la Pucelle de France, ma femme".


La Pucelle de France ou la Pucelle, Jeanne après son mariage conservait
ainsi ce nom dans les documents lorrains, actes notariés ou chroniques telle
que celle du doyen de Saint-Thiébaut : " S'en vint ledit seigneur des
Hermoises  avec sa femme la Pucelle, demeurer en Metz en la maison le dit
seigneur Robert, qu'il avait devant Sainte-Segoleine ".
( cf. Au XVIIème
siècle la "Grande Mademoiselle " toujours appelée ainsi après son mariage
avec Lauzun. )


RETOUR DE LA PUCELLE- DES ARMOISES EN PAYS DE LOIRE.


Les comptes de la ville d'Orléans portent " ...boisson offerte à un messager
qui apportait des lettres de la Pucelle à Guillaume Bellier."
Ce personnage
était le Maître de la Maison du Roi. Comment une fausse Jeanne aurait-elle
su qu'il convenait de s'adresser à lui ?


Du coup la ville d'Orléans envoya un messager, Cœur du Lys, à la Pucelle qui
était à Arlon et il revint à Orléans en septembre porteur de " lettres de
ladite Jehanne la Pucelle
" pour le Roi qu'il va trouver  à Loches
.  

(Document comptable du 18 Octobre ) .


Dans le même temps Jean d'Arc passa par Orléans pour aller trouver le Roi
dans la région de Tours : les comptes de la ville font état de son
hébergement et d'une aide accordée pour son voyage de retour en Lorraine.
De 1437 à 1439  La Pucelle est signalée,  par des écrits Espagnols, dans des
opérations militaires dans le Sud-Ouest de la France.Ces documents ne
peuvent être considérés comme absolument fiables.
Il en va tout autrement du séjour de Jeanne à Orléans fin Juillet-début Août
1439. Sur ce séjour les comptes de la ville sont un témoignage précis :

- Jacques Leprêtre qui présenta au nom de la ville, à dame Jehanne des
Armoises du vin et de la viande, les 28, 29, 30, 31 juillet et le 1er août
1439, était le même qui avait présenté du vin à la Pucelle le 1er mai 1429
et le 1er janvier 1430.

- Jean Luillier qui soupa avec Jeanne des Armoises dans les derniers jours
de juillet 1439, était le drapier qui avait fourni, en juin 1429, pour une
robe et une huque de la Pucelle, des étoffes " Bruxelles vermeille, vert
perdu,avec doublure de satin blanc ".
Le bourgeois qui assistait également au souper était un logeur chez lequel
elle avait résidé en 1429.

- Don de la ville en date du 1er août 1439 : " A Jehanne d'Armoise, pour don
à elle fait, par délibération faite avec le conseil de la Ville et pour le
bien qu'elle a fait à ladite ville pendant le siège
: II C X l p" .( deux
cent dix livres parisis, soit une somme importante ).

Il faut noter qu'après ce passage de Jeanne, les Orléanais cessèrent de
célébrer la messe pour le repos de son âme.


DERNIÈRES ANNÉES.


Depuis le passage de Jeanne des Armoises à Orléans, il n'y a plus de
témoignage la concernant . Quelques donations indiquent la date probable de
sa mort :

- En 1443 Charles d'Orléans revenu de captivité fit un don à Pierre du Lys (
nom adopté par les frères d'Arc ), pour " acquitter sa loyauté...en
compagnie de Jeanne la Pucelle sa sœur...et depuis jusque' à présent "
. Ce
document ne porte pas la mention " feue la Pucelle " qui se trouve par
contre dans le don d'argent du même donateur au même bénéficiaire, fait en
1450.

- La rente d'Orléans versée à Isabelle Romée fut depuis 1438 attribuée à

"Isabeau , mère de la Pucelle " jusque' en juillet 1446 où apparut  la
mention " ... mère de feue Jeanne la Pucelle ". Cette mention est ensuite
régulièrement portée.     Jeanne serait donc décédée en 1446.

Ainsi que ce soit en Lorraine ou en pays de Loire , ceux qui ont le mieux
connu La Pucelle, la reconnaissaient  dans Jeanne des Armoises.



LE PROCÉS DE RÉHABILITATION, ET ACCOMPLISSEMENT DE

L'OPÉRATION BERGÈRE.


La procédure est entamée en 1450...soit cinq ans après  la mort de Jeanne
des Armoises.
Charles VII avait un intérêt évident à réhabiliter Jeanne d'Arc car c'était
légitimer les actions de celle-ci, dont le sacre de Reims.
En revanche et selon les mentalités de l'époque, le Roi ne pouvait avouer
avoir soustrait Jeanne à la justice de l'Église et pendant  des années avoir
fait tenir pour morte celle qu'il savait vivante.
Cet éventuel aveu aurait
entraîné des questions gênantes sur les motifs du Roi.
En conséquence :

- Les personnes qui auraient pu évoquer Jeanne des Armoises furent écartées.


- Les témoins furent strictement encadrés, telle Isabelle Romée qui ne
participa qu'à la première séance.

- La fragmentation  des dépositions concernant chaque étape de la vie de
Jeanne permit à quelques témoins de cacher ce qu'ils savaient en plus. C'est
ainsi que Jean Luillier ne témoigna que sur Jeanne durant le siège. Jean
d'Aulon ne mentionna rien sur sa captivité avec Jeanne.

- La récapitulation du procès de Rouen par l'inquisiteur Jean Bréhal fut
particulièrement insipide mise à part son allusion au " secret " ( cf.supra)
 qui fut enfouie dans une pièce de procédure.

Il- Le livre de l'examen  de Poitiers ne fut pas produit et un seul
commissaire  entendu.


Ainsi, tous les obstacles potentiels qui auraient pu gêner la fable furent
méthodiquement écartés
.Les témoignages, particulièrement ceux des gens du
Roi, concordèrent sur le thème Jeanne  une fille simple, n'agissent
qu'inspirée par Dieu : "...c'était une pauvre bergerette ...", " ...simple
bergerette aimant Dieu...", "...très simple et ignorante...sauf sur le fait
de la guerre...".
Cette dernière précision qui se retrouve dans plusieurs déclarations est
curieuse.  Ceux qui forgeaient la légende de la bergère, ont-ils douté de sa
vraisemblance s'ils n'ajoutaient pas que la pauvre ignorante avait au moins
des qualités guerrières ? Comme bien souvent dans les mensonges, un ajout
incongru fait perdre la crédibilité de l'ensemble.

Quant aux témoins ecclésiastiques de Rouen, la meilleure manière de se
dédouaner était de présenter une Jeanne simple qui ne savait que répondre à
des juges qui ne l'avaient pas comprise. ( Pierre Cauchon était mort huit
ans auparavant ).
Le seul juge qui lui soit resté hostile ne se plia pas au mot d'ordre et
déclara que Jeanne "...était bien subtile, de subtilité appartenant à femme".

Conclusion : Le procès de réhabilitation atteignit son but : authentifier la
figure de la bergère de Domrémy pour masquer toute l'entreprise de la jeune
et noble guerrière, détentrice du " secret du Roi ".

Encore une " curiosité " : Une plaque murale, dans l'église de Pulligny en
Moselle portait l'inscription " Jehanne , Pucelle de France, épouse de
Robert des Armoises ".
Cette plaque disparut vers 1900  au moment où on
envisageait la béatification de Jeanne d'Arc..
.Il ne resta que l'encadrement
longtemps visible.

                                            Luc Soubré .


Texte publié avec son aimable autorisation



09/06/2012
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