911-Le prisonnier de Poutine/Le Retour de Poutine au pouvoir 8 posts

 Le site du journal Ouest-France (5 mars 2012)

Russie. Vladimir Poutine de retour au pouvoir jusqu'en 2024 ?

Une interview de Cécile Vaissié, notre compatriote, spécialiste de la Russie

CV : En réponse - merci ! - à la demande de "Pradinois", voici une interview que j'ai donnée lundi 5 mars à Ouest-France, pour commenter les élections russes. Désolée pour le style un peu relâché et oral (je pensais que le journaliste réécrirait un peu...)
*

OF: Dimanche soir, Vladimir Poutine a été élu, dès le premier tour à la présidence russe, son troisième mandat au Kremlin depuis 2000. L'homme fort de la Russie a obtenu 63,9 % des voix, selon les données annoncées par la commission électorale centrale. Dès ce lundi, les observateurs occidentaux ont annoncé que le scrutin avait été marqué par « d'importantes irrégularités » lors du décompte des voix après une campagne « clairement biaisée » en faveur du Premier ministre. Dans la journée des manifestations contre le pouvoir ont eu lieu un peu partout dans les grandes villes du pays. Cécile Vaissié, professeur en étude russes et soviétiques à l'Université de Rennes 2, nous décrypte ce scrutin. Elle évoque aussi le futur proche de la Russie et celui de Vladimir Poutine.

Malgré une contestation, sans précédent, dans l'histoire de la Russie, Vladimir Poutine a largement été réélu président. Comment expliquer cette élection ?

CV: Je dirais qu'il y a deux explications principales. Premièrement, Vladimir Poutine a un fond d'électorat, c'est indéniable. Il y a des gens à qui il plaît. Il y a aussi eu tout une propagande du pouvoir pour expliquer que Poutine représentait la stabilité. Et c'est vrai qu'on est dans un pays qui va dans le sens d'un certain culte de la personnalité.
D'autre part, il y a eu énormément de falsifications. Et des falsifications en tout genre. Il y a, d'abord, eu tout un ensemble de fraudes et de déformations, de ce qu'en France, on considère comme un jeu démocratique honnête. Je vous donne un exemple : avant même les élections, sur les grandes chaînes de télévision vous ne voyiez que Vladimir Poutine. Les chefs de l'opposition n'ont pas accès aux chaînes de télévision d'Etat que regardent les Russes.
Si vous voulez avoir de l'information ou voir ces gens, vous devez aller sur internet. Ce qui créé une segmentation de la population. Vous avez les plus jeunes, souvent dans les villes, qui ont accès à internet. Et puis les plus âgés, qui n'y ont pas accès et qui regardent la télévision.

OF: Les fraudes dénoncées par les observateurs occidentaux sont avérées, pourtant elles ne remettent en rien en cause l'élection de Vladimir Poutine…

CV: Eh bien non… Après les élections législatives de décembre, des fraudes avaient, déjà, été analysées, démontrées et décortiquées. D'ailleurs lors de la première manifestation après ces élections, la principale revendication n'était pas : on veut virer Poutine, mais on veut des élections honnêtes. Mais le pouvoir a refusé de reconnaître ces fraudes. Ils ont admis quelques petits problèmes marginaux, tout en affirmant que ça n'avait pas influé sur les résultats.
Pourtant le parti de Poutine a recueilli 49 % des voix lors de ces élections, alors que sa côte de popularité dans le pays, à cette époque, n'était estimée qu'à 30 %. C'est-à-dire qu'il y a presque 20 % des voix qui ont été volées aux uns et aux autres.

OF: Le fait que ces fraudes avérées n'empêchent absolument pas Poutine de, tranquillement, prendre le pouvoir est-ce le symbole de son emprise totale sur le pays ?

CV: Vladimir Poutine a une prise totale sur le système car, depuis qu'il est au pouvoir (2000), il a resserré tous les rouages. Il a interdit un fonctionnement démocratique normal des institutions, il a écarté l'opposition, il a combattu les manifestants. Toute son action depuis 12 ans a consisté, et il l'avait annoncé, a créé ce qu'il appelle une verticale du pouvoir. C'est-à-dire un fonctionnement qui ne laisse aucun poids à toute forme de contre-pouvoir.

OF: Dès l'annonce des résultats, l'opposition a appelé à manifester contre le pouvoir. Quel tour va prendre cette contestation, dans les jours et mois à venir, selon vous ?

CV: Dans les jours à venir, il y a un risque fort de confrontation physique. D'abord, parce que le Kremlin a très peur et le pouvoir a décidé de poster des forces de l'ordre dans tout Moscou. D'autre part, parce que du côté d'une partie de l'opposition, il y a des appels à monter vers le Kremlin ou la Lubyanka (le siège du FSB, anciennement KGB).
Et si vous avez aussi une grande majorité de manifestants qui sont pacifistes, qui n'ont pas envie d'aller au clash, vous avez aussi des gens qui en ont ras-le-bol. Donc il y a un vrai risque de clash. Je crois que ces élections ont provoqué un dégoût invraisemblable chez beaucoup de gens, depuis les plus mesurés, jusqu'aux plus « politiques ».
Après on va voir. Medvedev avait promis un certain nombre de réformes. Le 20 février dernier, il avait reçu l'opposition et avait affirmé qu'il engagerait des réformes à la Douma pour faciliter la participation de cette opposition au débat politique. Le problème c'est que Medevedev est sur la sortie, il n'a jamais eu beaucoup de poids, mais là il n'en a plus aucun. Si Poutine va dans ce sens-là, c'est-à-dire s'il laisse plus de gens entrer dans le champ politique, les choses peuvent se calmer.
Sauf que, depuis le début des manifestations en décembre, on a un peu l'impression d'avoir affaire à un autiste. Il refuse tout dialogue.

OF: Comment l'opposition à Poutine peut rebondir après cette élection ?

CV: Le problème, c'est que cette opposition n'a pas accès au champ démocratique, parce que ce champ n'existe pas… C'est là où est l'impasse. En fait, la balle est dans le camp du pouvoir. C'est au pouvoir de dire : on va ouvrir le jeu. S'il ne le fait pas, l'opposition que voulez-vous qu'elle fasse ? Soit elle va continuer à écrire sur ses sites internet, sur Facebook ou sur Twitter… Soit les gens vont devenir fous de rage.
Donc effectivement, il y a une vraie impasse, parce qu'il n'y a pas de possibilité d'action démocratique.

OF: Pensez-vous qu'avec l'émergence en Russie d'une vraie classe moyenne, avec des aspirations démocratiques, Vladimir Poutine puisse passer six ans au pouvoir en les ignorant ?

CV: Honnêtement, personne n'en sait rien. Je crois qu'il y a un vrai problème Vladimir Poutine. Déjà, à l'origine, venant du KGB, c'est quelqu'un qui n'avait aucune culture de la négociation. Et j'ai l'impression, qu'avec l'âge, il a un vrai problème de prise en compte de la différence. Cela se voit dans ses rares discours électoraux. Il n'a pas d'argument, pas d'écoute, il ressort des vieux arguments soviétiques qu'on n'avait plus entendus depuis les années 70.
Mais, ce qu'il se dit, c'est que dans l'entourage de Poutine, il y a pas mal de gens qui en ont marre aussi. Quand on voit les réactions très tièdes, ce lundi, des dirigeants occidentaux à l'élection de Vladimir Poutine on constate que, pour une majorité d'entre eux, ils ne considèrent plus les dirigeants Russes comme des gens très fréquentables. Or, un certain nombre de personnes dans l'entourage de Poutine, n'ont pas intérêt à cette rupture. Donc on espère, un petit peu, que ces gens fassent bouger les lignes. Il n'est pas sûr que cet entourage soutienne Poutine pendant six ans.

OF: Du coup, pensez-vous crédible l'hypothèse que Vladimir Poutine reste au pouvoir jusqu'en 2024, comme ça lui est maintenant possible ?

CV: Personnellement, je ne crois même pas qu'il ira au bout de ses six ans. Il me paraît, déjà, tellement dépassé. Je l'imagine donc mal faire 12 ans de plus. Ensuite, tout le monde dit que les indices économiques de la Russie sont bons, mais ce n'est pas vrai. Ils ne sont pas bons, si on les compare aux indices d'autres pays de la zone (ex-URSS).
Cela fait douze ans qu'un certain nombre d'investissements, qui auraient dû être faits dans l'économie, pour reconvertir l'économie, de façon à ce que celle-ci ne repose pas uniquement sur la vente du gaz ou du pétrole, n'ont pas été faits. La Russie est un pays riche, qui a d'énormes ressources, mais qui n'a pas du tout la croissance qu'elle devrait avoir.
Le pays est dans une forme de stagnation, à la fois démocratique mais aussi économique. Et une bonne partie des élites en a conscience. Après, quand je dis qu'on ne peut pas prévoir ce qui va se passer, c'est : qu'entre les élites qui sont conscientes de la situation et celles qui se disent qu'elles tirent très bien leur épingle du jeu, le conflit est là.

Recueilli par Romain Lecompte



                                                Poutine                                                                                                         

Khodorkovski et platon Lebedy

Deux noms recouvrent la couverture de mon livre : "Les prisonniers de Poutine", "Poutine et Khodorkovski ». Le premier de ces noms est connu partout dans le monde. Le second est devenu célèbre quand Khodorkovski a été emprisonné lors du premier mandant du président Poutine. Il l'est toujours, alors que Poutine s'apprête à redevenir président. Poutine a cependant toujours été sur le devant de la scène, en tant que "premier ministre". Mais il était le vrai président, quoique l'on pense de Dimitry Medvedev.


Ainsi, rien ne change vraiment pour Khodorkovski qui est et reste le prisonnier d'un homme. Et il le restera aussi longtemps que Poutine sera au pouvoir en Russie, à moins qu'il change d'avis et laisse Khodorkovski libre, ce qui est peu probable. Ici, la justice russe n'est rien de plus qu'un instrument entre les mains du pouvoir pour couvrir les intérêts politiques et d'affaires. Dans le cas de Poutine contre Khodorkovski, ces deux intérêts sont mêlés.


En 2000, avant la première élection de Poutine, j'avais été l'une des premières à réaliser un livre d'entretiens avec lui,"Le premier homme". Dix ans plus tard, j'ai décidé d'écrire un livre sur son antagoniste, Khodorkovski que j'ai convaincu de se confier. Je suis contente qu'il ait accepté, et je suis maintenant connectée de manière étrange avec ces deux hommes. Ce nouveau livre sort alors que Poutine s'apprête à être à nouveau élu lors des élections du 4 mars, et ce n'est bien sûr pas un hasard. Quoique vous écriviez sur Khodorkovski et son séjour en prison, ce sera connecté à Poutine. C'est en fait une histoire entre l'ancien-nouveau président et son ennemi personnel.


Avant son arrestation, les Russes ne savaient pas grand chose de Khodorkovski (ni de son partenaire Platon Lebedv, également emprisonné) et de l'entreprise pétrolière Yukos, même si en 2003 Khodorkovski était dans le classement des 16 personnalités les plus riches de Forbes. Sa notoriété ne dépassait pas les 3% en 2003, mais elle n'a cessé de grandir depuis qu'il est en prison.


Au cours des 8 années qui ont suivi son arrestation, il est devenu l'une des attractions des médias en Russie, et une personnalité connue à l'étranger. En partie grâce à la diffusion de son second procès sur Internet. Les accusations, pour lesquelles il a été condamné en 2010 à 13 ans de prison, étaient si absurdes qu'il est devenu clair, même pour ceux qui ne l'aimaient pas particulièrement, qu'il se passait quelque chose d'anormal. Les études ont montré que seulement 10% des personnes interrogées estimaient que le verdict était juste, et 67% estimaient que le démantèlement de l'entreprise Yukos s'était faite en faveur des hommes d'affaires et de la bureaucratie proche de Poutine.


Que s'est-il vraiment passé en 2003 entre Khodorkovski et Poutine ? Il n'y a pas de réponse simple, Khodorkovski était le plus riche, le plus respecté et le plus important des oligarques. Il parlait même en leur nom. Quand Poutine a pris le pouvoir, il avait peur de deux choses : les médias de masse (la télévision particulièrement, capable de diriger l'opinion publique à elle seule) et les oligarques, qui avait l'argent et l'influence. Ils avaient un lobby important au parlement, et en 2003, Poutine n'avait pas encore la main mise sur la Russie. J'imagine qu'il s'est dit « si je réussis à mettre hors jeu le plus puissant des oligarques, les autres seront loyaux envers moi ». Visiblement, il a réussi. Il pourrait y avoir 100 autres raisons pour justifier cette arrestation, rien n'est jamais simple en Russie. Mais nous savons une chose : Poutine n'est pas indifférent à l'égard de Khodorkovski. Dès que vous mentionnez son nom, il se met en colère.


Entre 2003 et le moment où Medvedev a réalisé quelques changements légaux lors de son investiture à la présidence, 300.000 hommes d'affaires sont passés par les prisons russes. Khodorkovski est le plus connu d'entre eux. Depuis 2003, voilà ce qu'a fait Poutine en emprisonnant Khodorkovski : il a montré aux responsables de l'administration qu'ils pouvaient faire de telles choses, et ils l'ont fait.


Maintenant, Medvedev a le droit d'accorder sa grâce, avant qu'il se retire de la présidence. Mais je ne pense pas qu'il va le faire. La seule personne qui peut vraiment décider du sort de Khodorkovski, c'est Poutine lui-même. Si Poutine se sent assez fort après les élections, il pourrait le laisser libre. Ce serait un signal au pays pour montrer sa force, pour montrer à tout le monde que personne ne peut le contester, pas même un Khodorkovski en liberté au cours de la prochaine décennie.


Poutine peut donc le gracier quand il le veut... mais depuis qu'il a annoncé qu'il se représentait, la population a commencé à protester. Les gens ne sont plus indifférents. Ils disent maintenant haut et fort qu'ils souhaitent des élections équitables. Ces centaines de milliers de personnes dans les rues disent « nous ne voulons plus de Poutine ». Aujourd'hui, il n'est plus aussi fort qu'il l'était un an auparavant. Voilà pourquoi il ne graciera pas Khodorkovski. S'il le faisait, il donnerait un leader à ces manifestants qui réclament la libération de tous les prisonniers politiques. L'un de leurs premiers slogans n'était-il pas « Libérez Khodorkovski » ?


Que Khodorkovski le veuille ou non, s'il était libéré, il deviendrait instantanément le leader de la protestation. Aujourd'hui, les manifestants disent qu'ils ne veulent pas de chef, mais s'ils souhaitent se débarrasser de Poutine, ils vont en avoir besoin. Voilà pourquoi en fin de compte, le retour de Poutine ne va, je pense, pas améliorer la situation de Khodorkovski. Il est dans un camp, et il va probablement y rester jusqu'à la fin de sa condamnation. Je ne crois pas qu'il se fasse la moindre illusion, puisque aussi longtemps que Poutine sera au pouvoir, il sera le seul à décider. Poutine n'est plus aussi fort qu'avant, il a un ennemi personnel... la situation ne va pas s'améliorer.


Concernant les élections, je ne me fais guère d'illusions. Poutine va gagner dès le premier tour. Je ne crois pas qu'il ait assez de soutiens pour gagner à la régulière, mais en Russie, ça se passe comme ça.
Poutine va gagner avec le résultat qu'il voudra. La question reste : comment la rue va réagir. Va-t-elle protester ? Si elle estime que les résultats des élections ne sont pas justes, que va-t-elle faire ? Je vais aller à Moscou pour voir ça de mes propres yeux. Je veux voir « le jour d'après ». Quelle sera la réaction de Poutine, quelle sera la réaction de la rue ? En Russie, entre le scrutin et la prise de fonction, il y a plus d'un mois. Ce sera une période charnière pour Poutine. Que fera-t-il si les manifestations prennent de l'ampleur ? Va-t-il tenter de les restreindre ? Et s'il le fait, comment vont réagir les manifestants ?


Je parle beaucoup de Poutine dans ce livre, car depuis 2003, l'histoire de ce président et celle de l'emprisonnement de cet homme d'affaires sont inséparables, comme celle de Nicolas Sarkozy l'est du Fouquet's. J'aimerais vraiment que les gens écoutent la voix de Khodorkovski, qu'ils aient de la sympathie pour lui ou non, pour qu'ils puissent dire : « maintenant, je comprends mieux ». Je ne veux pas qu'ils pensent qu'il est un ange, car ce n'est pas le cas, mais je veux que les gens puissent entendre les deux versions de cette histoire.


                                            



23/02/2012
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