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Pauvres de nous

Précarité | 22 octobre 2007 | Christian Sautter Voir loin, agir proche


Trois Japonais sont morts de faim dans la même ville, Kitakyushu, une métropole du sud de l'archipel. Ils sont à la une du Herald Tribune (121007). L'un d'entre eux, âgé de 52 ans, tenait son journal, dans lequel il a écrit : « 3 heures du matin. Cet être humain n'a pas mangé depuis dix jours, mais est toujours en vie. » Ces trois victimes nipponnes ont fait scandale dans un pays réputé pour l'intensité de sa cohésion sociale, dans l'entreprise comme dans la famille. Mais que se passe-t-il lorsqu'il n'y a pas plus de travail et que les liens avec la famille sont coupés ? C'est le repli dans un abri de fortune. Au Japon, les organisations caritatives sont peu nombreuses, et pour la plupart chrétiennes. Les campements bleus de SDF nichés sous les arbres du grand parc d'Ueno à ToKyo, l'équivalent des Tuileries, sont soutenus par des organisations qui alternent prières et distributions de nourriture. Selon le bouddhisme, chacun doit accepter son sort et celui des autres. Dans ce pays qui, comme le nôtre, se pique de développement durable et donc de recyclage, les petits métiers de chiffonniers sont plus difficiles à exercer. La solidarité publique est assurée, quand elle l'est car il ne fait pas bon être au ban de la société, par les municipalités avec le soutien financier de l'Etat. Et précisément, Kitakyushu est une ville exemplaire puisqu'elle respecte à merveille les quotas : chacun des 142 travailleurs sociaux suit 73 allocataires et surtout parvient à en « supprimer » 5 chaque année, la promotion des fonctionnaires étant liée à cette dernière performance. Les pays riches peuvent être cruels.

Un autre fait divers suscite aussi l'indignation. Le Parisien du 12 octobre titre : « Une conseillère de Christine Boutin mise en examen. » Il s'agit de Danielle Huèges, à laquelle j'ai consacré une lettre ancienne. L'article relate que cette figure emblématique de la lutte contre l'exclusion a été mise en examen mercredi pour « vol, abus de confiance, escroquerie », sur la base d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales qui a examiné la gestion de l'association « Cœur des haltes » entre 1999 et 2003. Opacité comptable, fausses factures, rémunération en forte hausse (de 2000 à 5000€ par mois). Jusque là, il n'y a rien à dire, sauf clamer la présomption d'innocence d'une personne qui a écrit une lettre à ses amis selon laquelle le problème est plus complexe et l'escroquerie est venue du responsable du cabinet d'expertise qui présidait et assurait les comptes de l'association, cité très discrètement dans l'article.

Là où le ton devient « dégueulasse » pour reprendre une expression ressuscitée par Fadela Amara, membre du gouvernement, à propos des tests ADN imposés aux étrangers, c'est le sous-titre en gras « Elle a passé quatorze ans de sa vie en détention » et la chute : « Son passé semble aujourd'hui l'avoir rattrapée ».

Elle a effectivement raconté dans un très beau livre, « A quoi sert de maudire la nuit », une jeunesse agitée dans les milieux de la grande criminalité. Quatorze ans de prison en ont été le prix, durant lesquelles elle a appris un métier et eut une illumination divine, dit-elle. Je doute qu'elle ait bénéficié d'une remise de peine de moitié, à la différence de ce chanteur célèbre qui a tué sa compagne et vient de passer quatre ans à l'ombre. A sa sortie, elle est devenue une sorte de petite sœur des pauvres, prenant en charge avec une combinaison unique de générosité et d'efficacité, les centaines de malheureux qui gravitent autour de la gare de Lyon, dans le douzième arrondissement parisien. Elle les a nourris et réconfortés. Elle a multiplié les « maraudes », ces tournées de nuit à la rencontre de SDF complètement désocialisés. Notons que le mot « maraude », pourtant utilisé par le Samu social et tous les réseaux d'assistance aux SDF, a une odeur suspecte que le journal aurait pu relever dans son article à charge : « vol de fruits, légumes, volailles, dans les jardins et les fermes » (Robert).

Je n'ai jamais eu le sentiment que Danielle vivait sur un grand pied, mais laissons la justice faire son travail. Je dirai pour conclure que l'image simultanée, sur la passerelle de l'Airbus A 380, de personnages bronzés et auréolés de stock-options vendus si opportunément avait quelque chose d'obscène.

Entre Danielle au coeur ouvert et le fonctionnaire japonais qui tient ses comptes d'apothicaire, mon choix est clair.

Aujourd'hui 17 octobre, c'est précisément le jour que les Nations-Unies ont choisi pour l'élimination de la pauvreté. On fête aussi le cinquantième anniversaire d'ATD-Quart Monde et le vingtième anniversaire de l'appel du père Joseph Wrezinski, cet insurgé de la misère. Les bons sentiments vont ruisseler mais que faire de concret pour réduire la pauvreté ? Le Haut commissaire aux solidarités actives, Martin Hirsch, ancien président d'Emmaüs et donc héritier d'un autre curé, l'abbé Pierre, propose de réduire le nombre de pauvres d'un tiers en cinq ans. Un pauvre est une personne dont le revenu est inférieur à 60% du revenu médian des Français. Le revenu médian est celui qui partage la population en deux moitiés égales : 50% des Français vivent avec plus et 50% vivent avec moins. 60% de ce revenu médian, cela fait 817 euros par mois pour une personne seule : tel est le seuil de pauvreté en 2005. 7,1 millions de résidents en France sont en dessous de ce seuil. Parmi eux, il y a 2,5 millions de travailleurs pauvres et 2 millions d'enfants de moins de 18 ans. Soyons fiers de deux dispositifs qui soutiennent ces populations en détresse. D'abord le Revenu minimum d'Insertion (RMI) créé par le gouvernement de Michel Rocard et qui bénéficie à 1,26 millions de personnes. Ensuite la couverture maladie universelle (CMU) qu'a instituée le gouvernement Jospin, pour 4,8 millions de bénéficiaires. Un troisième dispositif, moins connu, est l'aide médicale d'Etat (AME) qui assure des soins gratuits à 178 000 étrangers en situation irrégulière, après que ceux-ci aient prouvé qu'ils résident (clandestinement) depuis au moins trois mois en France.

L'intention de Martin Hirsch, reprise par le Président de la République est excellente. Encore faut-il y consacrer les milliards d'euros indispensables. Le gouvernement n'en prend pas le chemin, puisqu'il va supprimer jusqu'à un tiers des « contrats aidés », dont la mission est précisément d'encourager l'emploi par des associations ou des entreprises solidaires de personnes moins productives que la moyenne. Abstenons-nous de la remarque naïve que les 15 milliards d'exonérations fiscales consacrés à ceux qui sont en haut de la distribution des revenus, auraient été largement suffisants pour engager cette belle politique.

Que faire pour les deux autres tiers de pauvres, beaucoup plus éloignés de l'emploi, car ils ont trop de problèmes personnels de santé, de logement, de formation pour pouvoir travailler immédiatement ? Deux priorités s'imposent. La première est de ne pas relâcher l'effort d'accompagnement social, qui est le préalable à l'accompagnement professionnel. L'Etat et les collectivités locales doivent continuer à soutenir les services publics et les associations (comme Cœur des haltes !), à condition évidemment que l'argent soit correctement dépensé. Autre urgence : les enfants. Ils doivent être prioritaires pour l'hébergement, l'éducation, la nourriture à la cantine, la médecine préventive et curative. Les collectivités locales, Paris en particulier, font de gros efforts en ce sens. Mais la gestion forcenée de quotas d'expulsion ne doit pas rendre encore plus précaires la vie des familles.

Je me souviens de la dignité des mères maliennes qui vivaient sous la tente au bois de Vincennes en 1992. Une de leurs semblables expliquait ce matin sur France Inter : « Nous sommes pauvres et nous n'avons pas de logement, mais nous ne sommes pas dans la misère, car nous refusons la résignation. »

Donnons leur chance à tous les êtres humains, qui vivent ou survivent avec nous en France ! Sinon, pauvres de nous.

Christian Sautter


Kezako

Kezako

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IMMIGRATION

Le New York Times en guerre contre les tests ADN

NOUVELOBS.COM | 22.10.2007 | 10:58

Dans un éditorial très virulent, le quotidien américain dénonce un projet de loi sur l'immigration "abject", qui utilise des méthodes qui rappellent celles des nazis.

lire_la_suite78http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/politique/20071022.

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23/10/2007
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