4176-"Bruno Retailleau s’est senti trahi par le Premier ministre"

ENTRETIEN. Le nouveau gouvernement de Sébastien Lecornu déjà condamné ? "Bruno Retailleau s’est senti trahi par le Premier ministre"

 
 
Publié le  , mis à jour 

l'essentiel Marqué par la continuté, le gouvernement de Sébastien Lecornu a été contesté dimanche soir par Bruno Retailleau, pourtant reconduit à la tête du ministère de l’Intérieur. Le politologue Roland Cayrol analyse cette situation inédite.

Après trois semaines d’attente, le nouveau gouvernement ressemble étrangement au précédent…

 

Totalement, on a le sentiment d’un retour à la IVe République : on change le président du Conseil, mais on garde les ministres. Aujourd’hui, on change de Premier ministre et on reprend les mêmes figures. Ce qui frappe aussi, c’est le retour du fameux "groupe charnière" de l’époque, celui qui, bien qu’étant minoritaire, pesait sur la majorité grâce à son rôle central. C’est exactement ce qui se passe avec les Républicains : ils sont devenus ce groupe charnière indispensable au macronisme.

Peut-on encore encore parler de "socle commun" ?

Le pouvoir est désormais clairement entre les mains de la droite. Il y a les Républicains, et ceux qui ne le sont pas d’anciens Républicains ou en sont très proches. C’était déjà le cas, mais c’est encore plus flagrant aujourd’hui. Le poids de Bruno Retailleau est déterminant : s’il a rencontré Sébastien Lecornu avant la nomination du gouvernement, c’est que la recomposition s’est faite en accord avec LR. Les macronistes "pure souche", mis à part le nouveau ministre des Finances, sont marginalisés. Ils ont laissé la place à des Républicains devenus macronistes par commodité, pas par conviction.

 

Et pourtant, à la surprise générale, Bruno Retailleau estime que le gouvernement "ne reflète pas la rupture promise". Que s’est-il passé ?

On est au fond de la comédie politique, mais d’une comédie qui dit beaucoup sur l’état de la droite. Sébastien Lecornu n’a tout simplement pas prévenu Bruno Retailleau du maintien de Bruno Le Maire au gouvernement — et c’est là que tout bascule. Pour lui, Bruno Le Maire incarne tout ce qu’il rejette : le ministre de la Macronie, responsable selon lui de la dérive des comptes publics. Le voir revenir sans en être informé, alors qu’il devait être "l’homme fort" du nouveau gouvernement, est une humiliation politique. Il se sent trahi par le Premier ministre. En convoquant le comité stratégique de LR, Retailleau veut rappeler qu’il peut retirer ses ministres et fixer ses conditions. C’est sa manière de dire : on ne peut pas rompre avec la Macronie en reconduisant son principal artisan.

 

La gauche, elle, est totalement absente du gouvernement…

Effectivement, il n’y a plus rien qui rattache ce gouvernement à une sensibilité de gauche. François Rebsamen a même refusé d’en faire partie. Le seul qui pouvait encore être identifié à une fibre sociale-démocrate, c’était lui. La gauche ne peut que constater qu’elle est à l’écart.

 

Certains ont cru à une volonté d’ouverture, mais elle n’a jamais existé. Dès sa première interview, Sébastien Lecornu avait annoncé la couleur : il voulait renouveler la manière d’être de droite, pas tendre la main à la gauche. Son gouvernement le prouve : personne n’a la moindre sensibilité de gauche.

Dans ce contexte explosif, que peut espérer Sébastien Lecornu ?

Le seul espoir de Sébastien Lecornu, c’est que ni la gauche ni le RN ne souhaitent voter une motion de censure déposée par l’autre camp. Dans ce cas, aucune majorité absolue ne se constituerait pour renverser le gouvernement. Il pourra sans doute s’en sortir au moment du budget. Il a déjà indiqué qu’il n’utiliserait pas le 49.3, mais il dispose d’autres leviers constitutionnels, comme les articles 40 et 47, voire les ordonnances.

 

Et quel rôle peut encore jouer Emmanuel Macron ?

Depuis un an, il s’est mis en retrait de la politique intérieure. Il intervient seulement pour choisir un Premier ministre. Le reste du temps, il s’occupe des affaires européennes et internationales. Il garde un seul pouvoir déterminant : celui de dissoudre l’Assemblée nationale. C’est son ultime levier politique, mais cela ne veut pas dire qu’il participe encore activement à la vie politique hexagonale.

Cet immobilisme politique nourrit-il le sentiment de lassitude qui gagne une partie des Français ?

Oui, ce sentiment est très présent, et les Français le perçoivent parfaitement. La lassitude progresse plus que la colère. Le fait que les mêmes reviennent les indiffère : ils ne connaissent pas les ministres, ils ne savent pas ce qu’ils font. Ils se sentent à l’écart, désabusés, mais pas en colère. C’est une situation inédite : une démocratie fatiguée, où les citoyens regardent passer les gouvernements comme les épisodes d’une série dont ils ne sont plus spectateurs attentifs.



06/10/2025
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