L'édito de Bruno Jeudy. Tempête sur la Ve

Bruno Jeudy est directeur délégué de «La Tribune Dimanche».
LTD/CYRILLE GEORGE JERUSALMI
Bruno Jeudy est directeur délégué de «La Tribune Dimanche».
LTD/CYRILLE GEORGE JERUSALMI
Il est des semaines où l’Histoire semble s’emballer, fracassant les digues d’un État déjà fragilisé par les tempêtes à répétition. Celle qui vient de s’écouler en fait partie. Tempête institutionnelle, tempête judiciaire, tempête politique. Partout, des signes d’essoufflement. Partout, des figures fatiguées, des discours vides, des certitudes écornées.
La République vacille sans encore tomber. Mais le vertige est là.
À peine nommé, Sébastien Lecornu se débat déjà dans une impasse. Dix-huit jours après sa prise de fonction, il avoue à demi-mot son impuissance : « Je suis le Premier ministre le plus faible de la Ve République. » Un aveu glaçant. Un aveu qui dit tout du blocage politique français, de l’usure des institutions, de l’incapacité chronique à bâtir des compromis comme partout chez nos voisins européens. Et, face à lui, des oppositions qui pensent d’abord aux prochaines échéances, quand il faudrait penser à la prochaine génération.
La situation budgétaire ? Incontrôlée. Le projet de loi de finances 2026 semble s’être volatilisé. La France, déjà dégradée, continue de creuser ses déficits comme si la fuite en avant n’avait plus de fin. Les partenaires sociaux, au lieu de dialoguer, s’enferment chacun dans leur posture. Le patronat menace, les syndicats descendent à nouveau dans la rue. Dialogue de sourds. Dialogue impossible.
Et puis il y a ce coup de tonnerre judiciaire. Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, condamné à cinq ans de prison, dont une exécution quasi immédiate. Troisième condamnation au passage, dont une définitive. La France, sidérée, regarde l’un de ses anciens chefs d’État faire face à l’incarcération pour association de malfaiteurs dans l’affaire libyenne. Une peine lourde. Inédite. Sans précédent dans l’histoire contemporaine de notre démocratie.
La décision de justice – que nul ne songe ici à contester dans son principe – soulève malgré tout de nombreuses interrogations : aucun flux financier n’a été établi, trois des quatre chefs d’accusation sont tombés, mais la condamnation est ferme, immédiate, sans appel ou presque. Une sévérité rare, presque brutale, qui jette le trouble, sinon sur la justice, du moins sur sa lisibilité.
Marine Le Pen, récemment frappée d’inéligibilité sans pouvoir attendre l’appel. Nicolas Sarkozy, incarcéré sans délai. La présomption d’innocence recule là où le droit d’appel, socle fondamental des démocraties modernes, vacille. Ce n’est pas la justice qu’il faut remettre en cause, mais le rapport que nous entretenons avec elle. Trop souvent, la politique s’en est servie, trop rarement elle l’a respectée.
C’est donc une démocratie affaiblie, divisée, bousculée, qui entre dans ce temps des tempêtes. Une démocratie où le compromis est vu comme un renoncement, l’écoute comme une faiblesse, et l’exemplarité comme une option. Et pourtant, plus que jamais, la France a besoin de dirigeants qui pensent au long terme. De responsables capables de parler vrai, d’assumer leurs choix, d’affronter la tempête avec sang-froid, dignité et clarté. Le mot de Lincoln résonne aujourd’hui comme un reproche : « Un homme politique pense aux prochaines élections. Un homme d’État pense aux prochaines générations. » La République attend ses hommes d’État.
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