4137-Taxe Zucman: une attaque contre la liberté

Ne nous trompons pas de combat. Bien sûr, l’embrasement autour de la taxe Zucman trahit une obsession fiscale, un égalitarisme sans fin, une détestation des riches et une ignorance de l’entreprise d’une partie de l'élite française. Mais il traduit davantage que ce folklore étatiste qui a déjà provoqué tant de dégâts : la fiscalité défendue par Gabriel Zucman constituerait une rupture avec la société d’initiative et de responsabilité choisie par la France. Dans ce débat hystérisé, c’est de liberté qu’il s’agit.
Excessif ? D'évidence, les plus fortunés doivent contribuer au redressement de finances publiques désormais hors de contrôle. Taxer chaque année à 2 % le patrimoine au-delà de 100 millions d’euros est cependant d’une autre nature. Outre que cette politique alimenterait l’illusion qu’il suffit de ponctionner 1 800 foyers fiscaux pour sauver de la ruine le « modèle social » de 66 millions de Français, ses conditions d’application engageraient le pays sur cette « route de la servitude » décrite par Friedrich Hayek.
Dérive collectiviste. Dans cet essai qui fit scandale, le penseur libéral démontrait que la logique de l’Etat-providence est la dérive vers un système de plus en plus collectiviste – nous dirions « socialisé » – dont la défense des idéaux égalitaires ne peut mener qu'à la tyrannie.
L’offensive fiscale relayée par le parti socialiste dans son contre-budget repose sur un diagnostic biaisé. « Elle donne le sentiment que notre principal défi réside dans une insuffisance de recettes fiscales et dans une explosion des inégalités », déplore l'économiste Sylvain Catherine dans Le Point. Or, c’est faux : la part des 1 % les plus aisés dans la richesse nationale n’a pratiquement pas bougé ce dernier quart de siècle.
Et puis associé à un niveau de dépenses publiques record, la France affiche une pression fiscale de 46 % du PIB, supérieure à la plupart de ses partenaires (34 % en moyenne dans l’OCDE). Il est pour le moins contre-intuitif de l’alourdir encore. Pas pour l'économiste Thomas Piketty, inspirateur de Gabriel Zucman, qui croit que le taux de prélèvements obligatoires pourrait largement dépasser 50 % puisqu’après tout il représentait moins de 10 % du revenu national avant la Première guerre mondiale.
A propos de la taxe Zucman, Thomas Piketty parle d’ailleurs d’un « minimum syndical ». Les 2 % ont été calibrés – le calcul est contesté – pour rapporter 20 milliards d’euros, soit la moitié de l’effort nécessaire pour 2026. Or, il faudrait 150 milliards pour stabiliser la dette... La menace est limpide.
A vrai dire, la taxe Zucman ne vise ni à réduire les déficits, ni à renflouer les caisses de l’Etat avec de nouvelles recettes fiscales, mais à détruire ces mêmes ressources par... l'élimination des riches. Il faut lire ces hérauts de la spoliation vanter les vertus du taux confiscatoire. Thomas Piketty, dans Le Capital au XXIe siècle : « Il s’agit de mettre fin à ce type de revenu, jugé socialement excessif et économiquement stérile ou tout au moins de le rendre excessivement coûteux. » Gabriel Zucman, dans Le Triomphe de l’injustice : « Un impôt radical sur la fortune entraînerait à terme une baisse du nombre de multimillionnaires. Plutôt que de collecter des recettes, il déconcentrerait la richesse. »
Le libéral Frédéric Bastiat avait vu juste : « Avec des formes fort douces, fort subtiles, fort ingénieuses, revêtues des beaux noms de solidarité et de fraternité, la spoliation va prendre des développements dont l’imagination ose à peine mesurer l'étendue... »
« Nuisibles ». Avec de mauvais airs populistes, la gauche s’est tellement complu à décrire les ultrariches comme « nuisibles » qu’on se doit de rappeler que les entrepreneurs français sont les plus gros contributeurs au monde au financement de leur modèle social. Quant à leur réussite, elle est due au plébiscite des consommateurs, jusqu'à présent libres de leurs choix...
Et quand ces grandes fortunes auront été supprimées ? Eh bien il faudra s’attaquer aux moins riches toujours trop riches. Là encore, Gabriel Zucman ne se dissimule pas. Après l’avoir interviewé, le Sunday Times, dimanche 21 septembre, écrit : « [Il] n’exclut pas que le seuil de 100 millions d’euros soit abaissé afin de toucher non seulement les méga-riches, mais aussi les simples fortunés, voire des personnes telles que ses parents, tous deux médecins, dont les biens immobiliers et autres investissements font d’eux, selon ses propres termes, des “petits multimillionnaires” ».
On pourrait imaginer que les créateurs de richesse résistent et s’adaptent. Réfractaires envers la propriété privée, les experts ès prédation institutionnalisée n’hésitent pas à entraver la souveraineté de l’individu pour mieux instaurer leur société parfaite.
Ainsi ne s’abaissent-ils pas à étudier la question de la constitutionnalité de la taxe quand d'évidence son assiette est sans lien avec les facultés contributives (par incorporation de revenus n’ayant effectivement pas été perçus) – mais que pèsent les contre-pouvoirs face à la volonté du peuple ?
Ainsi minorent-ils le risque d’exil fiscal en dévoyant une récente étude du Conseil d’analyse économique et tout en prévoyant malgré tout un bouclier anti-exil qui poursuivrait le contribuable hors de nos frontières pendant cinq, dix et pourquoi pas vingt ans.
Ainsi traitent-ils avec cynisme ou désinvolture le paiement d’un impôt massif basé dans certains cas sur une valeur virtuelle. Eric Larchevêque, cofondateur de Ledger, explique : « L’entreprise est valorisée plus d’un milliard d’euros “sur le papier”, mais cela ne me procure aucun revenu. En somme, on me demanderait de payer pour quelque chose qui n’existe pas à date. »
« Il ne s’agit clairement pas d’un débat technique ou économique, mais plutôt d’une volonté affichée de détruire l'économie française », a pointé Bernard Arnault, PDG de LVMH (actionnaire de l’Opinion) et qui rappelle qu’il est déjà le plus gros contribuable de France. Autre constat acide dans Les Echos de Philippe Corrot, le directeur général de la licorne Mirakl : « La taxe Zucman est un piège mortel qui détruira la French Tech et son 1,3 million d’emplois ».
La taxe, toute la taxe, a pourtant tranché Gabriel Zucman. Qu’ils empruntent pour payer ! Mais les banques ne prêtent pas pour régler les impôts. Qu’ils paient en actions ! Comment imaginer sérieusement que dans une décennie l’Etat se retrouve propriétaire de 20 % des 2 500 plus grandes entreprises françaises ? « C’est communiste, comment peut-on encore sortir des énormités comme cela en France ? », a réagi avec spontanéité le directeur général de Bpifrance, Nicolas Dufourcq, ulcéré face à « ce déchaînement de contre-vérités »...
Avec près de vingt interventions médiatiques en une semaine, sans contradicteurs ou si peu, Gabriel Zucman a mis son statut de chercheur au service d’une cause plus redoutable qu’une simple mesure fiscale, en ce qu’elle entend sortir de la démocratie libérale. Sa leçon est claire : la radicalité conduit à davantage de radicalité, et appelle son complément naturel, l’oppression.