ENTRETIEN. Vote de confiance : "La démocratie se vide de sa substance", analyse Roland Cayrol
Alors que le gouvernement de François Bayrou va faire face à un vote de confiance, Roland Cayrol, politologue et directeur du CETAN décrypte une situation qui va relancer une période d’instabilité politique en France.
On découvre en vous lisant qu’il existe un classement général des démocraties et que la France se situe dans la catégorie des démocraties imparfaites. Pourquoi ?
Parce que les démocraties « parfaites » sont plutôt celles du nord de l’Europe, comme la Suède, qui est un cas connu. Les social-démocraties y ont fabriqué quelque chose : ils ont instauré une pratique de l’exercice du pouvoir fondée sur le compromis et des relations avec les partenaires sociaux également très institutionnalisées. La vie sociale est elle-même canalisée autour de compromis possibles. Ce n’est pas le cas chez nous ! La crise actuelle nous montre que le parlementarisme nécessite quand même un minimum de responsabilité et d’engagement. Nous sommes le seul pays, par exemple, à vivre sans qu’il n’y ait jamais eu, dans nos coalitions actuelles, le moindre bout de papier expliquant pourquoi on se met d’accord pour faire une coalition. On voit bien que nous sommes une démocratie imparfaite. Du point de vue des principes, tout va bien ; dans la réalité, cela laisse encore à désirer.
Il y a un an, en ne nommant pas un ou une Première ministre reflétant le vote des Français, Emmanuel Macron a-t-il abîmé la démocratie ?
Je crois que tout le monde est un peu responsable. Est-ce qu’il fallait vraiment faire une dissolution ? Y avait-il un réel besoin de clarification ? Franchement, j’en doute, car pour cela, il faut être dans un moment où les différentes forces politiques sont prêtes à le faire, et ce n’était pas le cas. Donc, d’un point de vue démocratique, c’est une erreur d’avoir décidé cette dissolution. Je pense que ça aussi été une erreur de se cantonner au camp centriste pour chercher des Premiers ministres, alors que la gauche était arrivée en tête. Et la gauche a ajouté elle-même à la confusion, en faisant croire, y compris à ses électeurs, qu’elle avait gagné les élections. Ce qui n’était pas vrai.
En engageant la responsabilité de son gouvernement, François Bayrou a-t-il consacré une vertu démocratique ou, au contraire, empêché le débat sur le budget ?
Malheureusement, un peu les deux à la fois. L’idée de demander un vote de confiance au Parlement est un acte plus démocratique que de faire en sorte d’avoir une motion de censure. Parce que là, on vote vraiment avec tous les suffrages exprimés et toutes les nuances démocratiques peuvent se faire entendre. Sur le plan des principes, c’est bien, mais on voit bien que c’est surtout un coup politique tenté par surprise. Ce n’est évidemment pas la démocratie parfaite.
La démocratie poussée à l’extrême ne conduit-elle pas finalement au blocage ? On pense par exemple à l’obligation du vote unanime au Conseil européen…
C’est le bon exemple. Néanmoins, il y a des discussions entre les conseillers des présidents et ces votes unanimes sont quand même issus de compromis. Cela dit, la recherche de l’unanimité pourrait effectivement aboutir à un blocage permanent. Les vrais régimes démocratiques sont certes fondés sur le règne des majorités, de la liberté et de la garantie des oppositions. Mais il faut un minimum d’encadrement majoritaire pour que la démocratie puisse fonctionner.