ÉDITORIAL. Matignon : le dilemme de la gauche

Philippe Rioux

  • Philippe Rioux DDM
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« Nous sommes prêts. Nous sommes volontaires pour être les suivants ! » lançait samedi 30 août le patron du Parti socialiste Olivier Faure aux universités d’été du PS. « Si le gouvernement tombe, on changera de politique », expliquait benoîtement François Bayrou dimanche soir lors de son interview aux chaînes d’information, semblant anticiper – en dépit de son interminable marathon médiatique – la chute inéluctable de son gouvernement lors du vote de confiance qu’il a sollicité de l’Assemblée nationale le 8 septembre. Mises côte à côte, les deux déclarations peuvent-elles ouvrir une nouvelle séquence politique qui verrait la gauche s’emparer de Matignon et faire une autre politique que celle conduite par les deux gouvernements précédents ?

Pour l’heure, cette question est théorique car elle dépend d’abord de ce que fera Emmanuel Macron. Le chef de l’État, qui a refusé l’année dernière de nommer Première ministre Lucie Castets – la candidate péniblement choisie par le Nouveau Front populaire (NFP) – invoquant son absence de majorité à l’Assemblée, peut-il cette fois se tourner vers la gauche alors que l’Assemblée est exactement la même ? Éludant la possibilité d’une nouvelle dissolution que réclame une majorité de Français, certains veulent croire que le Président – qui aurait dû nommer un NFP arrivé en tête des législatives de 2024, quitte à le voir échouer – ne peut que se tourner cette fois vers son ancienne famille politique.

 

Il y a pourtant derrière cette hypothèse une contradiction frontale pour la gauche. D’un côté, l’éthique de conviction pousse à refuser le pouvoir dans des conditions aussi intenables : une majorité introuvable – 192 députés pour l’ensemble du NFP quand la majorité absolue est à 289 ! – une droite et une extrême droite peu ouvertes aux compromis et qui guetteraient forcément les faux pas, des municipales qui approchent à grands pas et une présidentielle déjà en ligne de mire. Pourquoi s’user à Matignon en tenant une boutique branlante, quand il faudrait reconstruire patiemment une force politique crédible pour 2027 ? Matignon aujourd’hui s’apparente à un cadeau empoisonné.

De l’autre côté, l’éthique de responsabilité oblige à ne pas fuir le combat ni la possibilité de faire adopter un budget plus juste fiscalement et socialement. Le Parti socialiste s’est toujours revendiqué comme une force de gouvernement. Refuser Matignon, même dans des conditions aussi précaires, reviendrait à assumer une posture d’opposant permanent, que d’autres – à gauche comme à droite – sauraient exploiter. Comment, en effet, expliquer aux électeurs que l’on réclame depuis des années une alternance au macronisme, mais que l’on renonce au moment où elle devient possible ? L’argument de la fidélité aux valeurs républicaines et au sens de l’État plaide ainsi pour l’acceptation de la charge, quitte à en payer le prix politique plus tard.

C’est ce paradoxe qui ronge aujourd’hui le PS – et au-delà toute la gauche non-mélenchoniste qui ne trouvera son salut que dans l’union – et qu’on ressentait dans les allées de ses universités d’été entre déclarations officielles et confidences en « off ». Un paradoxe entre une prudence tactique légitime et une responsabilité historique, entre l’instinct de survie et le devoir de servir. Sauter dans le vide ou reculer au bord de la falaise, le dilemme reste entier. Mais il dit surtout une chose : si la gauche hésite devant Matignon, c’est peut-être qu’elle ne croit pas encore pleinement en sa capacité à gouverner durablement.