4000-Quelques vérités sur les boomers 2 posts
On leur reproche d’avoir mieux vécu que les générations suivantes et d’avoir légué à leurs enfants un monde plus dur et plus dangereux. En dépit de la force de cette idée reçue, quelques mises au point s’imposent.

Une génération au pilori. À gauche, on leur impute la détérioration du climat et le saccage de la nature, qu’accompagne le maintien d’une conception dépassée du progrès. D’où l’expression disqualifiante « OK boomer ». À droite, on leur reproche d’avoir vécu au large et de profiter de manière honteuse d’un système de protection sociale dont le financement repose sur les actifs. D’où la création d’un procureur fictif ployant sous les charges fiscales et sociales pour garantir à ces mêmes boomers une vieillesse heureuse, et désigné par la locution « c’est Nicolas qui paie ». Haro sur les boomers, donc.
Tout n’est pas faux dans ces réquisitoires, évidemment. Il serait juste, par exemple, que les retraités – à tout le moins les plus aisés, qui bénéficient à la fois d’une bonne pension et d’un patrimoine plus important – contribuent mieux à l’équilibre du système. Ou bien qu’ils soient les premiers à soutenir la lutte contre une dégradation du climat dont ils sont en partie responsables (en partie seulement : ce sont ce ne sont pas eux mais leurs parents qui ont organisé les « trente glorieuses »).
La vindicte qui anime une partie de leurs contempteurs cache quelques vérités simples. Les boomers ont mieux vécu que les générations suivantes ? Voilà qui est, pour le moins, discutable. Quelques exemples. Pour vivre aujourd’hui comme vivait un boomer de trente ans, il faut commencer par diminuer fortement son revenu. Les salaires, en effet, ont progressé d’environ 80% depuis 1970, date autour de laquelle les boomers entraient sur le marché du travail. Vivre comme un boomer, ce serait donc diminuer son revenu de 40% (ordre de grandeur), le tout pour une durée annuelle du travail de 1700 heures contre 1400 heures aujourd’hui. Et ce dans des logements en moyenne plus petits (leur surface a augmenté de 20% en moyenne) avec une occupation plus dense (trois personnes par logement en 1970 en moyenne, contre deux aujourd’hui).
Certes, dira-t-on, mais les boomers, enfants des « trente glorieuses », n’ont pas connu le chômage. Inexact, encore. La croissance française a ralenti à partir de 1975 et le chômage de masse s’est installé dans les années 1980. Autrement dit, les boomers ont vécu la plus grande partie de leur vie professionnelle dans un climat de crise économique et de difficultés d’emploi.
OK, ajoute-t-on, mais ces boomers ont eu le privilège de vivre dans un climat de paix, alors que l’actualité est émaillée par le fracas des innombrables guerres qui se déroulent plus ou moins près de la France (en Ukraine, par exemple). Faux, évidemment. Dans leur prime jeunesse, les boomers ont vécu dans un climat de guerre française, en Indochine, puis en Algérie. Rien à voir avec celles d’aujourd’hui : un million et demi d’appelés ont été envoyés en Algérie. Les boomers ont été en majorité épargnés (trop jeunes) mais leurs grands frères ont payé un écot sanglant. Quant à l’atmosphère de paix, c’est une blague. La guerre froide battait son plein et chacun se demandait si elle n’allait pas déboucher sur un affrontement nucléaire généralisé, ce qui a failli advenir en 1962 lors de la crise de Cuba.
Alors quelle différence ? Une seule, mais essentielle : cette génération d’après-guerre a vécu dans l’idée du progrès, qui se traduisait par une amélioration rapide et continue de leur situation matérielle moyenne et par les conquêtes incessantes de la démocratie, en Europe et ailleurs. Moins prospère, cette génération a vécu dans l’espoir ; matériellement plus à l’aise, les suivantes vivent dans la crainte. Tout est là. Mais à qui la faute dès lors que les mêmes boomers, atteints par la limite d’âge, ne sont plus aux manettes ?
Voilà donc quelques précisions utiles, qui seront évidemment balayées en deux mots qui évitent de réfléchir : OK boomer.