3977-ENTRETIEN avec Roland CAYROL
ENTRETIEN. Tensions Retailleau-Macron : "Il flirte avec la rupture et la ligne rouge n’est pas loin", juge le politologue Roland Cayrol
Les multiples déclarations de Bruno Retailleau contre le gouvernement d’Emmanuel Macron agitent le bloc central et interrogent sur ses véritables intentions. Entre volonté de s’affirmer à droite, tensions avec l’exécutif et hypothèse d’un départ calculé, le ministre de l’Intérieur et président de LR avance sur une ligne étroite. Le politologue Roland Cayrol analyse pour La Dépêche du Midi les ressorts et les risques de cette stratégie.
Il assure la fin de la macronie, fustige la "diplomatie des bons sentiments" à l’égard de l’Algérie et entretient la menace de quitter le gouvernement… mais à quoi joue Bruno Retailleau ? Des déclarations qui ont déclenché une tempête au sein du bloc central et qui pourrait avoir des conséquences sur son avenir politique.
La Dépêche du Midi : Quelle est la stratégie de Bruno Retailleau ?
Il cherche avant tout à jouer sur deux tableaux. D’un côté, il tient à rester ministre de l’Intérieur, un poste très exposé qui lui assure une forte visibilité dans l’opinion. De l’autre, en tant que président des Républicains, il veut redonner à la droite une ligne claire, et surtout distincte de celle d’Emmanuel Macron. Pour ça, il doit affirmer des positions propres, sans pour autant rompre avec le gouvernement. C’est un exercice d’équilibriste : il avance par petites touches, parfois critiques, tout en restant officiellement loyal. Il tente de construire une alternative crédible, une droite ferme mais républicaine, avec en ligne de mire les municipales… et l’après-Macron.
Cette manœuvre politique ne l’enferme-t-il pas dans une droite trop conservatrice ?
C’est une vraie interrogation. Il assume une ligne très marquée, avec une droite d’ordre, sécuritaire, attachée aux traditions. Cette orientation peut lui permettre de séduire les électeurs partis vers le Rassemblement national ou tentés par une droite plus radicale. Mais elle présente aussi un risque : celui d’effrayer les centristes et les modérés. L’espace politique n’est pas extensible. Pour espérer incarner une majorité, Bruno Retailleau devra élargir son discours, notamment sur les sujets économiques et sociaux, qu’il aborde peu pour l’instant.
Que risque-t-il à faire ça ?
Tout simplement de perdre. En s’écartant de la ligne gouvernementale, il flirte avec la rupture. D’ailleurs, Emmanuel Macron à déjà fait part de son agacement puisqu’il a refusé de le recevoir après ses divers propos provocateurs. Donc la ligne rouge n’est pas loin. S’il la franchit, il peut être évincé du gouvernement. Mais pour l’instant, Emmanuel Macron a besoin d’élargir sa base, notamment en s’appuyant sur la droite classique. C’est vrai au Parlement, mais aussi dans les médias et dans l’opinion. Tant que Bruno Retailleau ne va pas trop loin, cette cohabitation reste possible.
S’il y a rupture, qui prendra la décision en premier : Emmanuel Macron ou Bruno Retailleau ?
C’est toute la question. La corde est tendue et elle ne cassera pas toute seule. Aujourd’hui, le scénario le plus plausible est celui d’un départ volontaire de Retailleau. Cela lui permettrait de se dégager de ses contraintes ministérielles et d’occuper pleinement le terrain politique à droite. Mais Emmanuel Macron peut aussi décider, à un moment, que la cohabitation n’est plus tenable. Les deux options restent ouvertes. Pour l’instant, chacun temporise, en attendant que le contexte, notamment les municipales, redistribue les cartes.
Mais alors, est-ce vraiment la fin de la macronie, comme il l’affirme ?
C’est difficile à trancher. Comme toutes les doctrines politiques fondées sur un homme, la macronie risque de s’essouffler une fois Emmanuel Macron parti. C’est le sort qu’ont connu d’autres courants personnalisés : les napoléoniens, le gaullisme… Même si le macronisme n’a jamais été une idéologie structurée, il laissera derrière lui un espace politique central bien occupé avec des figures comme Édouard Philippe ou Gérald Darmanin. Donc dire qu’elle va disparaître est une formule un peu rapide.