ÉDITO. Mort de Thierry Ardisson : écran noir

  • Sébastien Marti.
    Sébastien Marti.
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La télévision s’est-elle éteinte avec Thierry Ardisson ? En disparaissant cette semaine à l’âge de 76 ans, l’homme en noir emporte avec lui son goût du scandale élégant, son sens de l’irrévérence calibrée, et peut-être bien la dernière étincelle d’une télévision qui osait encore. Tout le monde en parle, Salut les Terriens, Lunettes noires pour nuits blanches… ces émissions semblent aujourd’hui avoir cent ans tant le ton qui y était la règle est devenu désormais totalement proscrit.

Aujourd’hui, le doigt d’honneur de Baffie à Gilbert Montagné, jadis perçu comme une provocation potache, vaudrait à son auteur un lynchage au nom du combat contre le validisme. On imagine ainsi la meute des nouveaux censeurs lâchée sur les réseaux sociaux. Quelques politiques en quête de visibilité y verraient même matière à lancer une commission d’enquête parlementaire. Laurent Baffie en est conscient : il a d’ailleurs exprimé des « regrets » et des « excuses » pour certaines de ses vieilles blagues, notamment sexistes. L’ancien sniper d’Ardisson qui fait son examen de conscience, on aura tout vu !

 

L’insolence a déserté les écrans depuis longtemps : Les Guignols, Nulle Part Ailleurs ou Ciel Mon Mardi ne sont plus que des souvenirs — les rares espaces de liberté se sont évaporés dans l’unanimisme pasteurisé de la bienséance. Les enfants de la télé sont orphelins des travestis qui agitaient leur « stouquette » sur Canal + à une heure de grande écoute, des pugilats chez Dechavanne ou des confessions choc des invités de Jean-Luc Delarue. Le samedi soir, il était impensable de sortir sans avoir regardé Les Nuls, L’Émission, Les Enfants du rock ou Tout le monde en parle. Provocation, rire ou culture, et même les trois à la fois, les téléspectateurs étaient respectés. C’était une fenêtre sur le monde : même au fin fond de la campagne, on accédait aux Bains-Douches.

Soyons honnêtes : Léa Salamé et ses chroniqueurs falots ne suscitent le samedi qu’un intérêt poli. Ils se complaisent dans un entre-soi germanopratin et leurs plaisanteries, quand elles ne sont pas convenues, s’attaquent sans gloire à des bêtes blessées. Au fond, la nouvelle impertinence se situerait entre les bouffonneries d’Hanouna et le catéchisme exalté des croisés de Cnews, ce qui est parfaitement désolant.

Cette déliquescence du paysage audiovisuel se lit dans la désertion progressive du public. En 2022, la durée moyenne de visionnage par jour est tombée à 3 h 24, contre 3 h 58 en 2020. Les plateformes sont devenues le principal lieu de consommation des programmes. Le divertissement s’est exilé sur YouTube ou TikTok. À la télé, la provoc’a tiré sa révérence. Écran noir. Couleur Ardisson.