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Le revirement de Trump sur l'aide à l'Ukraine aurait un impact militaire incertain
L'aide militaire promise par le président américain, à rebours de ce qui émanait de la Maison-Blanche depuis des semaines, devrait aider substantiellement Kiev à se défendre contre les missiles russes. Mais la guerre se joue désormais surtout sur les essaims de drones.

Par Yves Bourdillon, Guillaume Ptak Les Echos
Le revirement est spectaculaire mais l'impact militaire encore difficile à prédire. En annonçant, lundi, qu'il allait donner son feu vert à la livraison de batteries antimissiles Patriot à l'Ukraine, Donald Trump a clairement changé son fusil d'épaule.
Alors que le Pentagone avait décidé, le 1er juillet, de suspendre l'aide militaire à l'Ukraine au motif de stocks trop bas, il a annoncé la fourniture à Kiev « dans les prochains jours » de batteries Patriot, considérées comme l'un des meilleurs systèmes d'interception du monde. Le secrétaire général de l'OTAN, Mark Rutte a précisé que l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Finlande, le Canada, la Norvège, la Suède et le Danemark achèteront lesdites batteries pour les offrir à Kiev.
Un demi-tour cohérent avec l'agacement exprimé depuis peu par Donald Trump envers Vladimir Poutine, même s'il peine à faire complètement le deuil de sa relation de confiance avec le maître du Kremlin. Il s'est ainsi dit, lundi, « déçu » par le président russe tout en précisant qu'il n'en avait « pas fini avec lui ». Il a aussi raconté qu'il avait annoncé récemment avoir eu une « merveilleuse conversation avec Vladimir Poutine » à son épouse, Melania, à quoi cette dernière avait répondu « oui, il vient juste de bombarder un hôpital ».
« Pas un changement significatif »
La majorité des Ukrainiens saluent les récentes annonces américaines de livraisons de batteries, estimant qu'elles représentent un progrès incontestable. « Le léger revirement de Trump en faveur de l'Ukraine, bien qu'il soit une bonne nouvelle, ne constitue pas encore un changement significatif dans la politique américaine », tempère cependant Joshua Kroeker, président du groupe de conseil Reaktion Group et consultant en géopolitique.
La fourniture de batteries Patriot s'ajoute à la menace signifiée par Donald Trump de droits de douane de 100 % sur les importations américaines des pays achetant du pétrole à la Russie, en espérant qu'ils fassent pression sur le chef du Kremlin. Le président américain a donné un délai de 50 jours pour signer la paix avec l'Ukraine. Cinquante jours, même en admettant que Donald Trump ne repousse pas l'échéance comme il en a la coutume, c'est bien long pour permettre au Kremlin de continuer à bombarder les villes ukrainiennes, ou de grignoter du terrain.
Vladimir Poutine aurait aussi affirmé à son homologue américain lors de leur conversation téléphonique il y a dix jours, selon le « Financial Times », qu'il comptait lancer une offensive majeure dans les deux prochains mois pour conquérir l'intégralité des oblasts de Zaporijia, Lougansk, Donetsk et Kherson qu'il a annexé il y a deux ans.
Les drones désormais au centre du jeu
Les batteries Patriot promises, au nombre à terme de dix-sept pourront « fermer », en sus des sept ou huit déjà déployées, le ciel ukrainien aux missiles balistiques Kalibr, voire Kinjal, ou de croisière Iskander, véloces et puissants, cauchemar de la défense antiaérienne ukrainienne. Le problème est que la menace désormais ne provient plus tant des missiles que des salves de drones Shahed.
Nombre d'experts, dont Joshua Kroeker, soulignent que cette aide, bien qu'importante, ne répond pas pleinement aux menaces actuelles. Le Kremlin ne tire désormais, vraisemblablement faute de stock, plus qu'une dizaine de missiles par nuit, mais des centaines drones. Ces derniers, visant surtout les infrastructures civiles et énergétiques, sont souvent modifiés par intelligence artificielle pour échapper aux défenses traditionnelles, notamment avec des leurres.
Les drones sont, certes, moins puissants, avec une charge explosive d'environ 100 kg, et véloces (200 km/h), que les Iskander, Kinjal, ou Kalibr entre 4 et 10 millions de dollars pièce, mais opèrent en essaim pour saturer les défenses adverses. Surtout, les intercepteurs de Patriot sont inadaptés pour des raisons économiques : ils coûtent 1 million de dollars minimum contre l'équivalent de 20.000 dollars pour les drones qu'ils doivent intercepter. La production de ces drones de conception iranienne est désormais délocalisée en Russie.
Avec des salves de 600 à 700 drones, Moscou en tire désormais autant chaque nuit qu'en un mois en début d'année. « L'Ukraine a donc besoin de drones intercepteurs et de systèmes associés produits et livrés en masse », explique Joshua Kroeker. « Ce n'est qu'à cette condition qu'elle pourra atteindre un niveau de parité défensive acceptable. Il y a des efforts internes en Ukraine pour en produire à grande échelle, mais le pays est encore à plusieurs mois d'y parvenir. »
Kiev a annoncé récemment qu'il comptait acheter cette année 4,5 millions de drones FPV (First person view, à la caméra reliée par radio à un opérateur), pour l'équivalent de 2,6 milliards de dollars. Pour échapper au brouillage russe, certains drones intercepteurs sont dotés de systèmes de navigation autonome pilotés par intelligence artificielle. Kiev travaille aussi à des fusils anti-drones d'un poids de 1 kg utilisables par ses fantassins.