L’argument est usé jusqu’à la corde mais Marine Le Pen le ressort sans vergogne : « le système », dit-elle, s’en prend une nouvelle fois au Rassemblement national pour tenter de l’écarter du pouvoir. C’est ainsi que le Parquet financier vient d’ordonner au siège du parti une perquisition qui n’est qu’une « nouvelle opération de harcèlement ».

Drôle de « système », tout de même, qui s’est attaqué successivement, au cours des années récentes, au PS, au Modem, à François Fillon, à Nicolas Sarkozy, à la France insoumise, à Rachida Dati, à Édouard Philippe et à des organisations de tous poils, avec des résultats variés selon la solidité de l’accusation, suscitant à chaque fois des accusations de parti-pris. Si tous ceux-là sont les victimes « du système », où se cache-t-il donc ? Quel intérêt sert-il, puisque toutes les nuances du spectre politique subissent tour à tour ses avanies ?

Ce « système », en fait, n’est qu’un loup-garou populiste, une catégorie fantasmatique à l’identité multiple et brouillardeuse, où les extrémistes des deux bords rangent ceux qui leur déplaisent et qu’ils créditent d’un pouvoir occulte et mystérieux. Selon l’opinion du dénonciateur, on y trouve, au choix, les « bien-pensants », les technocrates, « l’État profond », les Juifs, les bobos, le grand capital, « la caste », les écolos punitifs ou les islamo-gauchistes, qui forment autant de puissances obscures et maléfiques, acharnées à trahir la volonté populaire.

En fait, comme c’est leur devoir, les juges enquêtent sur des malversations supposées ou réelles du RN, qui est soupçonné en l’espèce d’avoir contourné les règles qui régissent les prêts que les particuliers sont en droit de consentir à des formations politiques. Marine Le Pen avait, de la même manière, crié à l’acharnement et à la manipulation politique pendant l’affaire des assistants parlementaires européens. Cette complainte déchirante ne l’a pas empêchée d’être condamnée en bonne et due forme à une peine assortie d’inéligibilité, ce qui semble parfaitement logique à quiconque s’est penché cinq minutes sur le dossier.

Pris la main dans le sac en faisant rémunérer son épouse sans qu’elle ait travaillé, François Fillon avait utilisé la même tactique rebattue du martyr-persécuté-par-des-juges-partisans pour maintenir sa candidature. Au bout du compte, après de multiples recours, la justice a confirmé dans toutes ses instances d’appel la validité des accusations initiales portées par le Canard Enchaîné, comme on pouvait le deviner en constatant la faiblesse de la défense fillonesque.

Car la thèse de la justice biaisée n’empêche pas les élus accusés de faire jouer tous les mécanismes de recours pour tenter de se faire innocenter par d’autres juges ou, à tout le moins, de retarder par toutes sortes d’artifices procéduraux l’inévitable condamnation. Marine Le Pen a même poussé la tartufferie jusqu’à saisir la Cour européenne des droits de l’Homme, elle qui ne cesse de vilipender par ailleurs « le gouvernement des juges » et l’illégitimité des instances européennes. Il est des occasions où les populistes découvrent les vertus protectrices de cet état de droit qu’ils ne cessent de fustiger.

Personne ne doit donc se laisser impressionner par ces jérémiades factices qui recouvrent le plus souvent des illégalités bien réelles. Elles ne peuvent tromper que les zélotes des partis mis en cause, le RN en l’occurrence, et les électeurs au front bas qui croient la démocratie actionnée en secret par on ne sait quelle caste nuisible et toute-puissante.

Laurent Joffrin