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Charles Fournier : « La gauche ne peut pas faire comme si les ouvriers avaient disparu »

 

 

 

 

 

ENTRETIEN. Le député écologiste veut une « gestion publique exceptionnelle » pour sauver les entreprises stratégiques et appelle la gauche à renouer avec son histoire ouvrière.

Propos recueillis par  Le Point

« La gauche doit renouer avec son histoire ouvrière, en l’actualisant », estime le député Charles Fournier.
« La gauche doit renouer avec son histoire ouvrière, en l’actualisant », estime le député Charles Fournier. © ISA HARSIN/SIPA / SIPA / ISA HARSIN/SIPA

 Charles Fournier : « La gauche ne peut pas faire comme si les ouvriers avaient disparu »

ENTRETIEN. Le député écologiste veut une « gestion publique exceptionnelle » pour sauver les entreprises stratégiques et appelle la gauche à renouer avec son histoire ouvrière.

Propos recueillis par  Le Point

 

 

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Une idée venue d'outre-Manche. En avril, le Parlement britannique votait une loi pour permettre au gouvernement de reprendre le contrôle des hauts fourneaux de l'entreprise British Steel, menacés de fermeture par leur propriétaire chinois. Un mois plus tard, alors qu'ArcelorMittal a annoncé un plan social dans l'Hexagone visant 636 postes, voilà qu'une proposition semblable s'invite en France.


 

 

Inspiré par la démarche anglaise, le député écologiste Charles Fournier a déposé le 16 mai une proposition de loi pour créer « une procédure de mise sous gestion publique exceptionnelle » pour les entreprises stratégiques menacées. Une forme d'administration temporaire par l'État, distincte de la nationalisation, qui vise, selon l'exposé de la proposition de loi, à « assurer la préservation de savoir-faire, d'infrastructures ou de technologies non substituables à court terme ». Avec plusieurs cadres des écologistes, dont Cyrielle Chatelain et Marine Tondelier, Charles Fournier vient d'écrire à Emmanuel Macron pour lui soumettre cette proposition. Véritable piste pour sauver l'industrie française ou simple affichage symbolique ?

 

Le Point : Vous proposez la création d'une « procédure de gestion publique exceptionnelle » pour des entreprises stratégiques menacées. En quoi cela diffère-t-il d'une nationalisation ? Et que doit permettre cette mesure ?

 

 

 

Charles Fournier : J'ai déposé une proposition de loi relative à la protection des entreprises stratégiques d'intérêt national, cosignée par l'ensemble du groupe Écologiste et Social. L'objectif est de se doter d'une procédure qui donne la possibilité à l'État d'intervenir de manière temporaire en cas de défaillance d'une entreprise d'un secteur stratégique. Il ne s'agit pas d'entamer une nationalisation puisque les actionnaires restent les mêmes, mais de nommer un administrateur public pour prendre temporairement les rênes de l'entreprise.

Il manque dans notre arsenal juridique un outil intermédiaire qui permette d'agir rapidement, tout en laissant le temps d'explorer la bonne issue : cession, reprise par les salariés, nationalisation, etc. Je souhaite également la création d'un fonds souverain pour que l'État puisse remédier aux nécessités de l'entreprise le temps que la question de son avenir soit tranchée. La BPI peut jouer ce rôle. Bien sûr, ceci reste indissociable d'une véritable politique industrielle.

Nous nous sommes satisfaits les uns les autres de l’idée que nous étions devenus un pays d’activités tertiaires.Charles Fournier

Est-on certain que l'État, lors de cette administration temporaire, aura une meilleure gestion de ces entreprises stratégiques ?

 

Je n'ai aucune garantie que l'administrateur public sera forcément meilleur. Mais j'estime que lorsque nous sommes face à une suppression d'emplois ou une fermeture potentielle dans un secteur stratégique, nous avons besoin de prendre le temps de construire une alternative. Si nous voulons réindustrialiser notre pays, nous avons besoin d'un État stratège. Je ne me résous pas à ce que nous soyons impuissants. Quant au financement, ce sera une bataille, notamment dans le cadre du budget, mais ce n'est certainement pas de l'argent perdu. Sauver des activités stratégiques a un coût, mais c'est un investissement utile pour l'avenir économique du pays.

 

 

 

Emmanuel Macron s'est rendu cette semaine à la huitième édition du sommet Choose France. Estimez-vous que ses promesses de réindustrialisation, au lendemain de la crise Covid, n'ont pas été tenues ?

 

Certaines filières vont plutôt bien, mais pour beaucoup la situation est dramatique. Je pense à l'automobile, au secteur pharmaceutique ou à celui des semi-conducteurs avec le cas de STMicroelectronics qui va supprimer environ 1 000 emplois en France. La politique de l'offre a montré ses limites. Pendant un moment, on a fanfaronné trop vite sur le nombre d'usines et d'emplois créés : il s'agissait d'un colosse aux pieds d'argile. Nous assistons désormais à une catastrophe accélérée où de nombreux sous-traitants sont sacrifiés.

Je ne suis pas pour les nationalisations à tout-va, mais il faut des outils pour que l'État soit capable de réagir rapidement. On ne peut pas se contenter de tweets pour regretter les pertes d'emploi. Il nous faut un État stratège doté de nouveaux outils pour agir vite, la nationalisation n'est pas l'unique recours.

 

 

 

Il y a aussi pour vous un enjeu géopolitique.

Oui. Dans un moment où les impérialismes économiques s'affirment, je souhaite que nous soyons capables de conserver les éléments de notre propre souveraineté. L'acier est par exemple indispensable aux industries de l'automobile, de l'énergie ou de la défense. Je m'interroge aussi sur le lithium : en tant qu'écologiste, je ne suis pas pour qu'on en extraie sans limites, mais préfère-t-on en produire chez nous ou être dépendant d'autres régions du monde ?

 

Lors de son audition fin janvier au Sénat, le patron de Michelin Florent Menegaux alertait lui sur la « complexité administrative » et les « charges », notamment le coût de l'électricité, qui pèsent sur l'industrie française. Ne faut-il pas aussi travailler sur ces enjeux ?

 

Sur le coût de l'énergie, de toute évidence, on ne peut pas mettre cette question de côté. Par ailleurs, je n'exclus pas que nous ayons une réflexion sur ce qui peut être facteur de l'activité économique de nos activités industrielles, mais en réalité, depuis sept ans, il y a eu énormément de dispositifs d'allégements fiscaux, sans que cela ne règle aucun problème. Certes, notre niveau de prélèvements reste important, mais notre modèle de protection sociale a un prix. Et bon nombre des entreprises qui menacent de délocaliser ont des résultats extrêmement bons. Où est le fameux patriotisme économique dont certains se revendiquent ? L'Europe doit travailler à un protectionnisme de transition : par exemple des marchés réservés, des mécanismes de protection à nos frontières…

 

Au cours des dernières décennies, la gauche a-t-elle trop mis au second plan cette question de la désindustrialisation ?

Honnêtement, tout le monde a tourné le dos à l'industrie. Il y a eu des décisions regrettables prises par Nicolas Sarkozy puis poursuivies par la gauche. Nous nous sommes satisfaits les uns les autres de l'idée que nous étions devenus un pays d'activités tertiaires. Nous, écologistes, avons même pu passer par moments pour des alliés de la désindustrialisation en mettant l'accent sur les effets néfastes de l'industrie sans évoquer suffisamment les besoins de production. La gauche doit renouer avec son histoire ouvrière, en l'actualisant. Elle ne peut pas faire comme si les ouvriers avaient disparu.

 

Y a-t-il pour vous une nécessité d'affirmer que les écologistes ne sont pas les ennemis de l'industrie ?

Oui. Les écologistes ont même une réponse singulière à apporter, mais nous ne l'avons pas toujours bien dit. Nous nous sommes préoccupés, à juste titre, de donner des perspectives de long terme face au changement climatique en oubliant parfois de parler de la situation à l'instant T des salariés, des ouvriers, des PME. Je continuerai de m'opposer à certains projets nocifs pour l'environnement mais, systématiquement, il faut penser l'alternative. Nous devons partir des gens pour aller vers l'écologie, et non pas de l'écologie pour aller vers les gens.

Votre proposition de loi est inspirée des mesures prises par les Britanniques pour préserver British Steel. Keir Starmer vous paraît-il une bonne source d'inspiration pour la gauche française ?

Il faudra sans doute davantage de recul pour juger. Mais je trouve intéressante cette façon de renouer avec un État interventionniste dans un pays très libéral. C'est aussi inspirant quant à la volonté d'une reconnexion de la gauche avec son histoire ouvriériste. Cela montre qu'on peut reprendre confiance dans la puissance publique. La question écologique me paraît en revanche moins présente dans le discours de Keir Starmer, c'est un peu le chaînon manquant.

 Votre proposition de loi a-t-elle une chance de trouver un moment pour être débattue à l'Assemblée ou s'agit-il seulement d'affichage politique ?

 

Le calendrier parlementaire est complètement saturé. Notre seule option est de convaincre le gouvernement qu'il s'agit d'un outil absolument nécessaire et urgent. C'est pourquoi, avec plusieurs élus écologistes, nous venons d'envoyer au président de la République une lettre à propos d'ArcelorMittal. Les salariés de l'industrie attendent que la gauche soit force de propositions.



23/05/2025
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