DECRYPTAGE. Guerre en Ukraine : "Poutine se dérobe…" les négociations à Istanbul, espoir diplomatique ou écran de fumée ?
À la veille d’éventuels pourparlers à Istanbul entre Kiev et Moscou, l’incertitude plane sur la présence de Vladimir Poutine. Tandis que la diplomatie s’active, le front ukrainien, lui, reste en feu.
Trois ans après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, les pourparlers annoncés ce jeudi à Istanbul suscitent plus de doutes que d’espoirs. Ni le président russe Vladimir Poutine, ni son homologue américain Donald Trump ne sont attendus en personne, malgré les appels pressants de Kiev. Pourtant, tout porte à croire que le rendez-vous n’est pas vide de sens.
Côté ukrainien, Volodymyr Zelensky affiche une volonté claire : obtenir un face-à-face avec Vladimir Poutine pour explorer les contours d’un règlement politique du conflit. Le président ukrainien espère un soutien actif de Donald Trump, revenu à la Maison Blanche en janvier, et qui entretient depuis plusieurs mois des canaux de discussion avec Moscou. "S’il confirmait sa participation, je pense que cela donnerait un élan supplémentaire pour que Poutine vienne", a lancé Volodymyr Zelensky cette semaine à Kiev. Mais à l’heure où l’agenda présidentiel américain reste dominé par une tournée dans le Golfe, seule la présence du secrétaire d’État Marco Rubio a été confirmée.
Du côté russe, le flou persiste. Le Kremlin maintient une communication minimale, refusant de révéler la composition de sa délégation. Son porte-parole, Dmitri Peskov, s’est contenté d’indiquer que des représentants russes seraient bien à Istanbul, mais sans engagement ferme sur la présence de Vladimir Poutine. Une attitude jugée par certains comme une tentative de gagner du temps tout en évitant une responsabilité directe dans un éventuel échec des négociations.
"Moscou cherche à retarder au maximum"
Le général Jérôme Pellistrandi, spécialiste des questions de défense, analyse cette prudence russe comme une stratégie calculée : "Moscou cherche à retarder au maximum. En refusant de s’engager pleinement, Poutine se dérobe. Cela traduit qu’il n’est pas dans une logique de concessions, mais dans celle du rapport de force." Selon lui, si le chef du Kremlin ne se déplace pas, il apparaîtra comme "le mauvais joueur" aux yeux de la communauté internationale, d’autant que l’initiative de discussions en Turquie est à l’origine une réponse russe à l’appel occidental pour un cessez-le-feu de 30 jours.
Pour autant, cette séquence diplomatique marque-t-elle un tournant ? Prudence, répond Jérôme Pellistrandi. "On peut parler d’une évolution, mais pas encore d’un basculement. Tout dépendra de la position russe dans les jours à venir." Les exigences formulées par Moscou – démilitarisation de l’Ukraine, non-adhésion à l’OTAN et reconnaissance des territoires annexés – laissent peu de place à un compromis immédiat. Face à cela, Kiev réclame des garanties de sécurité et le retrait des troupes russes.
Sur la table, certaines propositions américaines, portées notamment par des proches de Donald Trump comme Keith Kellogg, évoquent un gel de la ligne de front et un statut intermédiaire pour l’Ukraine, en dehors de l’OTAN mais avec un soutien militaire occidental encadré. Des idées encore vagues, et qui n’ont fait l’objet d’aucune annonce officielle.
La partition singulière de la Turquie
Pendant ce temps, la guerre continue. Les combats sur le terrain restent intenses, notamment dans l’Est et le Nord-Est du pays. Les attaques russes, notamment par drones, se multiplient. "La mauvaise volonté russe est de plus en plus visible", juge Jérôme Pellistrandi, qui souligne aussi l’importance de la pression européenne. Paris, Berlin et Varsovie ont récemment brandi la menace de sanctions supplémentaires si la Russie ne respecte pas le cessez-le-feu proposé.
Dans cette dynamique, la Turquie joue une partition singulière. Déjà hôte des premiers pourparlers avortés en mars 2022, Ankara tente de se repositionner comme acteur incontournable de la médiation. Pour le général Pellistrandi, cette posture répond autant à des ambitions géopolitiques qu’à un besoin d’image : "Erdogan cherche à retrouver une stature régionale. Il peut jouer un rôle utile, mais il agit aussi pour redorer son image en Europe."
Alors que les regards se tournent vers Istanbul, une seule certitude domine : cette rencontre ne débouchera pas, à elle seule, sur une paix durable. Mais elle pourrait, au moins, en poser les premiers jalons.