Pour l'historien de l'Église, auteur du Dernier Pape (Cerf), qui a connu tous les pontifes depuis Paul VI, les débuts de Léon XIV n'ont rien d'improvisé. Robert Francis Prevost a été préparé à cette charge, c'est une personnalité rigoureuse, qui inaugure sa mission par des signes spirituels subtils et a une approche collégiale du pouvoir.
Le Point : Comment jugez-vous les premiers pas du pape Léon XIV ?
Giovanni Maria Vian : Visiblement, Robert Francis Prevost était très préparé. C'est la première fois, en effet, que le pape dans sa première intervention juste après son élection n'improvise pas sur la loggia de la basilique Saint-Pierre, mais lit des propos. Et son texte était très structuré. Cela démontre que son élection était assez évidente, contrairement aux prévisions des journalistes imaginant une réalité qui n'était pas telle mais suivant leur fantaisie ou les manœuvres d'autres candidats, surtout italiens.
D'abord, c'est un homme remarquable. Il est polyglotte. Il a une histoire personnelle extraordinaire. Il est le premier à avoir parlé deux langues lors de sa première allocution. C'est un pape panaméricain qui fait l'union entre le Nord et le Sud ; au Pérou, il le considère comme l'un des leurs, pas un « gringo ».

Aussi, évidemment. C'est François qui l'a pris de son diocèse de Chiclayo et l'a placé à Rome, à la tête de l'organisme, le dicastère qui fait les évêques. Au sein du Sacré Collège, les cardinaux sont divisés en trois rangs : les cardinaux évêques, les cardinaux prêtres et les cardinaux diacres. Les cardinaux évêques sont six, et le pape François a monté leur nombre à dix. Ce premier cercle est formé par les prélats les plus éminents de l'Église catholique, et Robert Prevost a été placé à ce degré le plus haut dans la hiérarchie par le pape argentin. Mais personne ne l'a vu car c'est un homme très discret, un religieux qui ne veut pas apparaître. Comme il l'a dit aux cardinaux dès son élection, affirmant qu'il voulait s'effacer derrière sa mission, l'autorité spirituelle qu'il doit incarner.
On a senti qu'il était très inspiré par les écritures. C'est un pape théologien ?
Pas un théologien comme l'était Benoît XVI. Mais c'est un homme très cultivé, mûri dans un ordre très ancien qui se rattache à la figure éminente du christianisme occidental à savoir saint Augustin. L'homme présentait un profil très évident mais discret. Et les cardinaux l'ont repéré. Il est reconnu.
Dans ses premiers pas, on voit qu'il semble attaché aux traditions…
Oui, mais d'une façon simple et compréhensible. On perçoit des connexions avec Joseph Ratzinger/Benoît XVI, mais dans son essence spirituelle au-delà de l'image transmise. Ratzinger était lui aussi très simple, dirigé vers l'essentiel. Comme l'est Léon XIV.
Diriez-vous que c'est un pape politique ?
Il connaît les enjeux de la politique. Mais avec une lecture, évidemment, biblique. Il a été très clair quand il a parlé du rejet de Jésus en son temps, qui avait identifié les cercles de pouvoir qui l'ont mis à mort. En disant cela, le pape Léon XIV témoigne d'une vision politique puisée dans les Évangiles. Dans ses premières déclarations, il a remercié François, ce qui est incontournable, mais je perçois un peu de Jean XXIII et de Jean-Paul II. Pour Léon XIV, la collégialité n'est pas seulement un mot. Sa pensée et sa manière d'exercer le pouvoir remontent au concile Vatican II filtré par la mécanique démocratique des ordres religieux les plus anciens. Les mots de saint Augustin avec lesquels il s'est présenté sont extraordinaires : « Je suis un chrétien avec vous mais, et pour vous, un évêque. » Il a voulu dire qu'il était d'abord un chrétien comme les autres.
Peut-il changer l'Église ?
Il va continuer dans la ligne de ses prédécesseurs avec sa manière propre, et un souci d'apaiser. Mais il est un peu tôt pour dire s'il peut changer l'Église. Le pontificat n'est pas officiellement commencé. Il faut attendre qu'il prenne possession du siège pontifical, et qu'il prononce son premier discours programmatique. J'ai repéré une grande nouveauté, très subtile. Dans ses premiers jours en tant que pape Léon XIV se rendra pour prendre possession de la basilique Saint-Paul hors les murs. Il a été élu au Vatican, près du tombeau de saint Pierre, et il place sa mission aussi près du tombeau de saint Paul. Il fait la connexion entre les deux apôtres. C'est un signe fort.