Grève des médecins : Laissés-pour-compte

    Jean-Claude Souléry, éditorialiste à la Dépêche du Midi.

    • Jean-Claude Souléry, éditorialiste à la Dépêche du Midi. DDM
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    Jean-Claude Souléry La ddm

    C’est l’une des inégalités les plus scandaleuses dans un pays où, par principe, tous les citoyens devraient être égaux lorsqu’ils souhaitent effectuer une consultation médicale. Mais, en France, depuis longtemps déjà, plus d’un tiers des malades se privent de soins tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas décrocher de rendez-vous. Six millions de personnes n’ont pas de médecin traitant. C’est la réalité désespérante des fameux "déserts médicaux" – 87 % du territoire est ainsi concerné. Zone rurale à l’abandon, ou même quartiers des grandes agglomérations : selon qu’ils habitent en certains coins du pays, les Français n’ont pas accès à un généraliste. Et ne parlons pas des spécialistes comme les ophtalmos – ou encore de structures hospitalières convenables, de plateaux modernes qui manquent tout autant que les hommes. La France ferait-elle partie des pays sous-développés, alors qu’officiellement elle s’enorgueillit de son système de santé ?

     

    Le mal n’est pas nouveau, mais à chaque fois qu’un gouvernement veut s’y attaquer, à chaque fois qu’un ministre de la santé se met en tête de mieux répartir le corps médical sur le territoire, il se heurte à un refus des professionnels et à la complexité logistique qu’exigerait une telle politique. Malgré quelques mesures d’incitation, le "désert médical" gagne du terrain. Comment faire ?

    Aujourd’hui, pour la première fois, un Premier ministre a décidé d’imposer la manière forte au nom de la solidarité. Mais, en proposant que les généralistes et les spécialistes installés dans des zones privilégiées effectuent deux jours obligatoires par mois de consultations dans les zones "désertiques", François Bayrou doit affronter la colère des médecins et internes, avec grève et manifestations à la clé. Pour ceux-là, la volonté gouvernementale s’oppose frontalement aux principes de la médecine libérale. Ils refusent d’être considérés comme des agents publics à la disposition de l’État, en quelque sorte des fonctionnaires de la santé. D’autant plus que des députés vont jusqu’à remettre en cause par la loi la liberté d’installation des médecins libéraux. Le débat parlementaire est en cours. On imagine la fureur du "lobby" médical qui résulterait d’une telle loi !

    On a beau rappeler que les longues études de médecine ainsi que la rémunération des médecins libéraux par la Sécurité sociale dépendent quand même de l’argent public, ils refusent en bloc toute idée de "régulation" – d’autres diraient tout "devoir de solidarité".

    Et pourtant, remettre de l’ordre dans un système inégalitaire de santé exige du courage politique. Un dialogue semble de plus en plus indispensable entre les pouvoirs publics et les acteurs de la santé pour en finir un jour avec ces "déserts" et, surtout, avec ce sentiment qui gagne certains citoyens français d’être abandonnés aussi bien par le corps médical que par l’État – bref de survivre comme des laissés-pour-compte dans un pays bien portant.