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Les 100 jours de Donald Trump : derrière la farce
En 1941, Bertold Brecht écrit la pièce La résistible ascension d’Artuto Ui, une parabole satirique retraçant la montée d’Adolf Hitler au pouvoir, mais transposée dans l’univers des gangsters de Chicago à l’époque de la prohibition ; pièce dont l’épilogue est resté célèbre – « Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ». Brecht utilise alors la farce pour dénoncer les mécanismes qui ont conduit Hitler au pouvoir et susciter une réflexion sur ce qui s’est passé et comment cela aurait pu être évité. Avec le retour de Donald Trump à la Maison blanche, Brecht aurait été bien embêté parce que la farce, pour le coup, est devenue consubstantielle de la nouvelle présidence. Depuis plus de 100 jours, en effet, nous sommes tous embarqués par Trump dans une téléréalité qui prêterait à sourire si le destin du monde n’était pas en jeu.
Tous les matins, on en vient à se demander ce que Trump a bien pu dire sur son réseau social Truth social, tous les jours on guette ses décisions où le dramatique le dispute au burlesque. Trump a ainsi été capable de licencier des dizaines de milliers de fonctionnaires, d’expulser des milliers d’immigrés pourtant indispensables à l’économie américaine, d’imposer l’interdiction de centaines de mots comme femme ou climat sur les sites web fédéraux ou dans les recherches scientifiques, de s’attaquer à la liberté académique des universités comme aux minorités… et, en même temps, le successeur de Lincoln prend sans rire un décret pour « libérer » le débit d’eau des pommeaux de douche afin de prendre soin de ses « magnifiques cheveux », file passer un week-end sur son golf alors que les Bourses chutent après l’annonce de ses surtaxes douanières, ou assiste à un combat de MMA…
La tornade Trump semble en roue libre, et le président, submergé par son hubris, capable de dire tout et son contraire, multipliant les volte-face, sur le soutien à l’Ukraine comme sur les droits de douane. Chaque reculade est même présentée par Trump et ses soutiens fanatisés comme une stratégie géniale forcément incomprise pensée par celui qui s’autoproclame faiseur de deal… mais qui n’a pour l’instant rien « dealé » pour mettre fin à la guerre en Ukraine ou à celle de Gaza.
Ce cirque commence à afficher de premières fissures. Les millionnaires qui ont porté Donald Trump au pouvoir – en tournant cyniquement le dos à leurs engagements progressistes passés – commencent à s’inquiéter de la « démondialisation » derrière la guerre commerciale et des risques de récession. Même Elon Musk, zélé tronçonneur en chef du Département de l’efficacité gouvernementale, commence à se poser des questions sur le bien-fondé d’une politique ultra-protectionniste venue tout droit du siècle dernier et qui nuit à ses affaires.
Mais au-delà du tourbillon dans le lequel Trump entraîne le monde et qui focalise l’attention, cette stratégie du chaos est aussi mûrement pensée par des idéologues ultraconservateurs – le vice-président JD Vance en tête ou Curtis Yarvin, théoricien des « Lumières noires » – qui entendent profondément et durablement modifier les États-Unis. Derrière la farce existe un plan, le Projet 2025, coordonné par la Heritage Foundation, influente fondation conservatrice, qui inspire même jusqu’en Europe. Durant la campagne présidentielle, Trump avait assuré que ce n’était pas son projet. Et pourtant, de la purge de l’administration fédérale au renforcement du pouvoir exécutif en passant par de violentes réformes sociétales (sur l’IVG, les droits des LGBT), une dérégulation économique et climatique, une remise en cause des sciences ou encore une politique étrangère isolationniste, on retrouve dans les 100 jours toutes les idées du Projet 2025, pensées pour être difficilement réversible.
Les progressistes américains et les démocrates, anesthésiés depuis la défaite de Kamala Harris, seraient bien inspirés de se réveiller et se rappeler ce que disait Brecht : « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. »