"Même nous, on s’y perd" : comment l’Assemblée nationale est devenue folle

    • Les votes à l’Assemblée sont de plus en plus incompréhensibles même pour les ministres.
      Les votes à l’Assemblée sont de plus en plus incompréhensibles même pour les ministres. AFP - DIMITAR DILKOFF
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    l'essentiel Hier encore au Palais Bourbon, les débats autour de la loi sur la simplification de la vie économique ont donné lieu à des passes d’armes parfois déroutantes. Des débats qui font souvent passer les coups politiques avant l’intérêt général.

    On pourrait penser à du cinéma expérimental ou au théâtre de l’absurde. C’est pourtant à l’Assemblée que cela se passe : des séquences qui se suivent sans logique ou encore des textes inscrits à l’ordre du jour avant d’être reportés aux calendes grecques… Mais surtout, la dissolution a modifié les logiques de vote jusqu’à les rendre incompréhensibles par des non-initiés. "Même nous, on s’y perd", nous avouait lundi une ministre pourtant au gouvernement depuis 2018.

     

    La journée de lundi qui a vu le socle commun LR-Modem-Horizons-Renaissance se déchirer en est un parfait exemple. La proposition de loi alors étudiée visait à harmoniser les règles de scrutin pour les élections municipales. Ce texte imposait notamment des règles de parité aux communes de moins de 1 000 habitants, alors qu’elles en étaient jusqu’à présent exonérées, et y interdisait le panachage. Ce jour-là, les LR, pourtant alliés de François Bayrou, sont venus en nombre pour s’opposer au texte soutenu par le gouvernement. Il sera finalement sauvé in extremis par une mobilisation de dernière minute des macronistes.

    "Les fins de semaine sont dangereuses"

    "Quand un texte arrive en discussion, on ne sait jamais comment il va en ressortir car les députés ne votent plus comme des législateurs qui travaillent pour l’intérêt général, mais ils votent en fonction de stratégies internes", nous expliquait lundi notre ministre. Concernant l’harmonisation des scrutins, les LR, cornaqués par Laurent Wauquiez, se sont par exemple opposés au gouvernement pour nuire à Bruno Retailleau dans le cadre de la campagne interne pour la présidence du parti.

    "À travers leur vote, les députés s’adressent des messages : le PS parle à LFI, LFI parle au PS, les Verts combattent le RN mais parfois s’allient à lui pour mettre le gouvernement en difficulté, Horizons tente de s’imposer face à Renaissance en shootant ses amendements…", égrène la ministre en entrelaçant ses mains pour illustrer son propos.

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    Autre paramètre qui rend le résultat des votes très incertain : l’absentéisme sévissant au centre de l’hémicycle. "On sait par exemple que les fins de semaine sont dangereuses pour nous, car nos députés sont en circonscription, alors que les députés LFI, nombreux à être élus en Île-de-France, sont encore très présents sur les bancs", nous explique notre interlocutrice. La loi de simplification discutée aujourd’hui a ainsi été victime du manque de sérieux qui règne au Palais Bourbon. Les zones à faibles émissions (ZFE), où les véhicules les plus polluants sont interdits de circuler, ont été supprimées au détour d’amendements défendus par des députés LR et RN. Le gouvernement va tenter de les rétablir aujourd’hui, mais sans garantie de succès.

    "On passe son temps à nettoyer des textes"

    Par ailleurs, le texte sorti de la commission contient une disposition visant à "renforcer la sécurité juridique des projets d’infrastructure en France", qui entend ainsi prévenir les annulations de travaux, comme celle survenue sur le chantier de l’autoroute A69. Problème : le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, y est opposé. "On passe ainsi son temps à nettoyer des textes ; je suis devenue une nettoyeuse professionnelle", plaisante notre ministre.

    Et comme si ça ne suffisait pas, les groupes politiques s’échinent à accrocher à n’importe quel texte des amendements sans grand rapport avec l’objet de la loi. "Du coup, quand on propose un texte, on fait très attention que ce soit un texte Teflon, c’est-à-dire auquel rien ne peut s’accrocher", sourit la même, un peu fatiguée de cette anarchie permanente. Une confusion générale qui rend totalement opaque le travail de l’Assemblée et empêche les Français d’être correctement informés sur les textes qui régiront demain leur vie quotidienne.