3693-Derrière le mythe d’Edwy Plenel, les failles d’un journalisme de combat 2 posts

 

Article de Par Géraldine Woessner Le Point

 

 

 

Derrière le mythe d’Edwy Plenel, les failles d’un journalisme de combat© Raphaël Lafargue/Abaca
 

Il y a des livres qui se lisent comme des règlements de comptes, des confessions masquées ou des autopsies à coeur ouvert. Pour qui roule Mediapart ? La face cachée d'Edwy Plenel, attendu chez Fayard le 9 avril et signé du journaliste d'investigation Gilles Gaetner, est un peu tout cela à la fois.

Enquêteur chevronné ? on lui doit des enquêtes retentissantes sur la corruption politique et plusieurs affaires politico-financières ?, lui-même abonné de Mediapart ? une marque dont il reconnaît la qualité ?, l'auteur dissèque avec une minutie chirurgicale, en 270 pages denses, la trajectoire de son ancien compagnon de route Edwy Plenel, cet ovni du journalisme français.

Peu de révélations ? ceux qui auront suivi la carrière ombrageuse de l'influent journaliste n'apprendront rien de nouveau. Gilles Gaetner leur propose une mise en abîme : le portrait saisissant, parfois cruel, d'un homme et d'une machine médiatique pétris de contradictions.

Appât du gain, soif de pouvoir, népotisme? Derrière un paravent de vertu, l'idéalisme révolutionnaire s'arrange de bien des choses, y compris des faux pas déontologiques, dépeint l'ouvrage. Mais on devine aussi une autre quête, plus personnelle, celle de l'auteur lui-même : comprendre le magnétisme d'un homme qui fascine autant qu'il révulse.

Révolutionnaire en costume

Edwy Plenel, c'est d'abord une histoire de racines et de revanche. Gaetner le rappelle dès les premières pages : le jeune Edwy, né en 1952, grandit dans l'ombre d'un père agrégé d'histoire et vice-recteur de la Martinique, limogé en 1959 pour avoir voulu honorer une victime des émeutes locales. Une injustice originelle que Plenel porte comme un étendard.

« Ce sentiment d'injustice vous inspirera cette envie de revanche qui vous a orienté vers la chasse aux scoops, afin de faire chanceler les détenteurs du pouvoir », écrit Gaetner, dans cette très longue missive qu'il choisit d'adresser au fondateur de Mediapart.

 

De l'Algérie, où il vit l'indépendance ? et pleure la mort de Che Guevara dans une lettre aussi « ridicule » que grandiloquente à l'ambassadeur de Cuba ?, à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), où il milite avec ferveur, Plenel se forge un tempérament de combattant. Mais c'est dans le journalisme qu'il trouve son arme : d'abord à Rouge, l'organe de la LCR, puis au Matin de Paris, et enfin au Monde, où il impose une ligne offensive, traquant les turpitudes du mitterrandisme avec une hargne qui frôle l'obsession.

Un faux grossier

Au Monde, Plenel signe une charte ambitieuse, exigeant des journalistes le « refus de l'uniformité, du sectarisme et du suivisme » et appelant à « rechercher les points de vue contraires et opposés, fussent-ils minoritaires ». Mais il ne donne pas l'exemple, griffe Gaetner.

En 1991, Edwy Plenel croit tenir un scoop sur un financement occulte du Parti socialiste (PS) par le dictateur panaméen Noriega. Problème : le document est un faux grossier. « Vous imaginez le PS français s'acoquiner avec un régime de narcotrafiquants, dans un accord quasi officiel scellé par l'ambassade ? » s'étonne encore Gilles Gaetner.

L'information n'était pas crédible, mais Plenel avait envie d'y croire ? il n'a rien vérifié. Pas de démission, pas d'excuses personnelles : c'est Bruno Frappat, alors directeur du Monde, qui présente les regrets du journal aux lecteurs. Une légèreté « révélatrice d'un homme qui, sous couvert de rigueur, s'autorise des écarts », juge Gaetner.

Derrière l'image du chevalier blanc, Plenel cacherait-il un agitateur, un manipulateur, un « fouille-merde » ? dixit Alain Finkielkraut ? ou, pire, un militant déguisé en journaliste ? Gaetner pose la question avec fausse innocence ? il ne tranche pas, mais dresse un tableau accablant.

L'argent, ce doux péché

Plenel, l'ancien trotskiste payé au smic à la LCR, « fait le forcing pour toucher 450 000 euros d'indemnités » lorsqu'il est licencié du Monde, en 2005. Et si le journaliste aime rappeler que, chez Mediapart, le rapport des salaires est de 1 à 4,5, une vertu rare dans un pays « gouverné par les puissances de l'argent », il goûte peu qu'on interroge ses propres motivations.

En 2023, quand un journaliste du Point l'interroge sur la vente de sa participation dans Mediapart ? 2,6 millions d'euros empochés ?, Plenel esquive, gêné : « Mais quelle est l'actualité de la vente de ma participation dans Mediapart ? » Pour un homme qui a fait de la transparence son mantra, peut-être un soupçon hypocrite ? Gilles Gaetner ne l'écrit pas, préférant ? comme son sujet, souvent ? l'insinuation.


Il n'écrit pas non plus qu'Edwy Plenel affectionne le népotisme ? même s'il le laisse entendre lourdement. Au Monde, Plenel fait embaucher son neveu, mais surtout une ribambelle d'anciens camarades de la LCR. Comme à Mediapart, où le rejoint Georges Marion, compagnon de route des années Rouge et du Monde.

Le sous-entendu est clair : sous couvert d'indépendance, Mediapart ressemble parfois à une PME clanique, où la fidélité l'emporte sur le mérite. Et lorsque le besoin d'installer son pouvoir se fait sentir, Edwy Plenel ne recule devant aucune flagornerie ? Gaetner se délecte des vibrants panégyriques servis à Bernard-Henri Levy ou à Philippe Sollers, quand ils étaient de puissants éditorialistes.

Les scoops qui dérapent : Panama, Baudis et les autres

Car quand la « machine à scoops » dérape, mieux vaut assurer ses arrières. L'affaire Baudis, en 2003, reste une tache indélébile. À l'époque, Plenel, encore au Monde, relaie des accusations sordides contre Dominique Baudis, alors maire de Toulouse, impliqué dans une prétendue affaire de m?urs liée au tueur en série Patrice Alègre.

Orgies, viols, meurtres : le scoop est énorme, mais faux. Baudis, innocenté, en sort brisé. Gaetner ne pardonne pas : « Vous avez franchi une ligne jaune qui vous fait jouer à la fois le rôle d'observateur et d'acteur. Ce qui, vous l'admettrez, est peu déontologique. »

 

L'acharnement à « faire chanceler les détenteurs du pouvoir » vire parfois à la « chasse à l'homme ». Entre 1997 et 2001, Plenel, alors au Monde, consacre pas moins de 52 unes ou appels de une à l'ancien ministre de Mitterrand Roland Dumas, accusé d'avoir touché de l'argent du groupe Elf.

Relaxé en 2003, Dumas voit pourtant Plenel écrire : « La justice proclame [Roland Dumas] aujourd'hui non coupable, elle ne dit pas que tous ses actes furent innocents. » Daniel Schneidermann, pourtant peu soupçonnable de complaisance à l'égard du pouvoir, s'en dira « horrifié », dénonçant une « chasse à courre » et un mépris de la justice. Pour Gaetner, Plenel a inventé la « culpabilité perpétuelle », s'érigeant en juge au-dessus des juges.

« Un parfum poujadiste »

À Mediapart, une kyrielle d'autres seront victimes de ces mini-scoops montés en épingle pour « détrôner les puissants », et doper les audiences, accuse Gaetner. L'acharnement contre Olivier Dussopt, ex-ministre du Travail, est un cas d'école. Mediapart dégaine, en 2020, une série d'articles au vitriol : Dussopt, maire d'Annonay en 2009, aurait favorisé la Saur, géant de l'eau, en échange de deux lithographies d'une valeur totale de 2 000 euros.

Les titres claquent comme des sentences ? « L'art des affaires du ministre Dussopt », « Un ministre sous enquête judiciaire pour corruption » ?, l'opinion est chauffée à blanc. Pourtant, en janvier 2024, Dussopt est relaxé : pas de favoritisme, pas d'infraction. Mediapart crie victoire quand il est, finalement, condamné en appel en février 2025 à 15 000 euros d'amende (dont 10 000 avec sursis).

Une broutille, mais le mal est fait. « Oubliée, la présomption d'innocence ! » s'indigne Gaetner. Avec du presque rien ? un cadeau mal déclaré ?, Mediapart a fabriqué un scandale énorme, poussé un ministre vers la sortie et alimenté le « tous pourris » qui fait le lit de l'extrême droite. Gaetner le déplore : « Les commentaires au sujet de cette affaire devraient vous interroger. Ils dégagent un parfum poujadiste. »

Cahuzac : la gloire et le doute

L'affaire Cahuzac, en 2012, reste le principal fait d'armes de Mediapart. Fabrice Arfi révèle que le ministre du Budget de François Hollande cache un compte en Suisse, puis à Singapour. Le scoop est monumental : Cahuzac nie, porte plainte, avant de craquer et d'avouer. Condamné, il incarne la duplicité du pouvoir.

Mais Gaetner tempère l'exploit : l'enquête a vacillé. L'inspecteur des impôts Rémy Garnier, source initiale, se rétracte ; les autorités suisses, sollicitées par Bercy, blanchissent Cahuzac sur la période 2006-2012 (ses fonds ayant été transférés avant). Jean-Michel Aphatie ironise : « Trois mois après l'enquête de Mediapart, nous ne savons toujours pas si Cahuzac a eu ou pas un compte en Suisse. C'est dire si l'enquête était bonne. »


Plenel, acculé, écrit au procureur François Molins pour exiger une enquête judiciaire, se muant en auxiliaire de justice. Victoire à la Pyrrhus : la vérité éclate, mais au prix d'une déontologie chancelante. « N'avez-vous pas fait preuve d'une certaine légèreté en publiant le papier du 4 décembre 2012 ? » interroge Gaetner, incisif.

#MeToo et Tariq Ramadan : l'aveuglement militant

Mediapart se jette à corps perdu dans le mouvement #MeToo, documentant les accusations contre PPDA, Depardieu, Benoît Jacquot? Gaetner salue l'élan, mais déplore un zèle qui piétine la présomption d'innocence. Ary Abitan, blanchi d'une accusation de viol, reste un paria ; Ibrahim Maalouf, innocenté, est écarté du Festival de Deauville. « Quand la dénonciation remplace le jugement, nous arrivons aux portes d'un régime totalitaire », assène Gaetner. Qui n'a pas digéré, il l'admet, le cas Tariq Ramadan.

 

Plenel, auteur de Pour les musulmans (2014), voit en l'islamologue un « intellectuel irréprochable » en 2015, malgré ses ambiguïtés ? moratoire sur la lapidation, doutes sur le 11 Septembre, financement qatari à Oxford. Quand Ramadan est accusé de viol en 2017, puis condamné en 2024 en Suisse, Mediapart tergiverse.

 

Charlie Hebdo caricature Plenel en singe aveugle, sourd et muet. La réplique de Plenel ? « Ils peuvent me haïr, ils ne parviendront pas à m'apprendre la haine » ? ne convainc pas. Gaetner y voit un aveuglement idéologique : le militant a pris le pas sur le journaliste. Et il ne digère pas, aujourd'hui, la complaisance de Mediapart à l'égard du Hamas ? que « la rédaction se refuse encore à qualifier de mouvement terroriste. Comment est-ce possible ? » tempête-t-il.

Gaetner, entre mépris et envie

Et pourtant, le livre n'est pas qu'un réquisitoire. Gaetner connaît Plenel, l'a côtoyé, l'admire en sourdine. C'est Plenel qui, en 1991, publie son premier livre, L'Argent facile, dictionnaire de la corruption en France, chez Stock, où il dirigeait une collection.

« Votre passion du journalisme est intacte », concède-t-il dans sa lettre introductive. On sent, entre les lignes, comme un regret refoulé : celui de n'avoir pas osé, comme Plenel, bousculer les codes, quitte à trébucher. Une décence, ou peut-être une prudence, aura retenu Gaetner, comprend-on au fil de ce texte hybride, où la critique acérée cohabite avec une étrange déférence.

 

 Comment expliquer, aujourd'hui, la fascination qu'exerce Edwy Plenel auprès des jeunes journalistes ? « Je fais partie d'une génération où les journalistes ne se mettaient pas en scène, ne se rêvaient pas comme des chevaliers blancs ou des acteurs politiques », confie Gaetner. Comme s'il voulait, avec ce livre, tendre un miroir à ce journalisme qui se rêve pur, mais accepte de se salir les mains.

 

Alors, pour qui roule Mediapart  ? Pour la transparence, clame Plenel. Pour le pouvoir et la revanche, suggère Gaetner. La vérité, comme souvent, est probablement au milieu : dans cette tension entre idéal et compromission, entre scoop et scandale, qui fait de Plenel une figure aussi fascinante qu'exaspérante. Gaetner conclut :

« Peut-être avez-vous enfin assouvi les ambitions de votre jeunesse révolutionnaire. » Reste à savoir à quel prix?

 

Derrière le mythe d’Edwy Plenel, les failles d’un journalisme de combat
 

« Pour qui roule Mediapart ? La face cachée d'Edwy Plenel », de Gilles Gaetner, Fayard, à paraître le 9 avril, 272 pages, 21,90 euros.



05/04/2025
2 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 375 autres membres

blog search directory
Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Créez votre blog | Espace de gestion