Narcotrafic : le vote crucial à l'Assemblée repoussé après une semaine de débats agités
Le vote solennel des députés sur le texte le plus important du gouvernement Bayrou depuis le vote du budget de l'Etat ne se tiendra finalement pas ce mardi. Plusieurs mesures doivent leur salut aux élus du RN, présents en nombre dans l'hémicycle pendant les débats.

Par Ulysse Legavre-Jérôme les Echos
Les députés ne sont pas parvenus lundi à aller au terme de l'examen de la proposition de loi visant à lutter contre le narcotrafic, ce qui va contraindre l'Assemblée à reporter le vote solennel prévu mardi après-midi.
Le président de séance Jérémie Iordanoff a mis fin à la séance à minuit, 88 amendements restant en discussion. L'examen pourrait reprendre jeudi soir ou vendredi, selon ce que décidera la conférence des présidents mardi, a affirmé à l'AFP l'un des rapporteurs du texte, Vincent Caure (Ensemble pour la République).
Tout au long des débats sur la proposition de loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic », force est de constater que l'appel à la mobilisation lancé par le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, et le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, n'a pas été pleinement entendu par les députés de la coalition gouvernementale. François Bayrou et ses deux ministres jouent pourtant gros sur ce texte - le plus important depuis l'adoption du budget de l'Etat début février.
Face au feu nourri des groupes de gauche, les députés du socle commun, rares et discrets, ont souvent dû l'adoption de certaines mesures importantes du texte au soutien des troupes de Marine Le Pen, présentes en nombre dans l'hémicycle.
C'est le cas, par exemple, de la création d'un « dossier-coffre » visant à stocker les informations recueillies via des techniques spéciales d'enquête (surveillance, infiltration, sonorisation…) et inaccessibles aux avocats, défendue comme « vitale » par Bruno Retailleau. Ou encore de la disposition facilitant l'expulsion de son logement de toute personne dont les agissements en lien avec des activités de trafic de stupéfiants troublent l'ordre public.
Pas d'accès aux messageries cryptées
A l'inverse, quand ils n'étaient pas en soutien, les députés RN ont aussi été responsables du principal revers du ministre de l'Intérieur, lorsqu'ils se sont opposés, aux côtés d'une partie non négligeable de la coalition gouvernementale, à l'une des dispositions les plus controversées du texte : l'obligation faite aux plateformes de messageries cryptées (WhatsApp, Signal…) de communiquer les correspondances des trafiquants de drogue aux services de renseignement.
« Les Américains peuvent tout voir, tout savoir, mais, nous, on accepte d'être aveugle pendant que les trafiquants de drogue utilisent en majorité ces messageries », soupire le député LR d'Eure-et-Loir Olivier Marleix, soutien de la mesure.
Mis à part cet épisode, l'ossature générale du texte, né d'un travail sénatorial transpartisan, n'a pas beaucoup évolué ces derniers jours. Comme au Palais du Luxembourg, les députés ont donné leur feu vert à la création d'un parquet national consacré à la lutte contre la criminalité (Pnaco) et au renforcement de la lutte contre le blanchiment.
La refonte du statut des « repentis », pour le rendre plus attractif, a également été approuvée au terme d'une rare entente entre Gérald Darmanin et des députés La France insoumise (LFI).
Prisons de Darmanin
« On est plutôt sur l'esprit de ce qui avait été voté à l'unanimité au Sénat début février », se félicite le sénateur socialiste de Saône-et-Loire Jérôme Durain, l'un des deux parlementaires à l'origine de la proposition de loi. Le ministre de la Justice a, quant à lui, obtenu la création d'un régime carcéral d'isolement très strict pour les trafiquants de drogue, inspiré du modèle italien contre la mafia et également soutenu par le RN.
On se dirige vers un vote car même si le texte ne va du tout assez loin, c'est un premier pas.
Michaël Taverne, Député RN
S'il est certain que les députés de la coalition gouvernementale se prononceront en faveur du texte, les rares voix dissonantes étant rentrées dans le rang, la question du vote des socialistes, cosignataires de la proposition de loi au Sénat, s'est posée un temps. En cause, « la surenchère » de Bruno Retailleau et de Gérald Darmanin. Mais le groupe du député PS des Landes Boris Vallaud connaît le risque des accusations en laxisme sur ce sujet majeur et devrait, finalement, voter pour. Le vote du reste de la gauche, LFI en tête, reste, quant à lui, improbable.
Sauf coup de théâtre, le RN, qui a soutenu l'essentiel du texte en séance, devrait le voter quitte à offrir à Bruno Retailleau un premier résultat, même si sa popularité est vécue comme une menace. « On se dirige vers un vote car même si le texte ne va du tout assez loin, c'est un premier pas », assure le député RN du Nord Michaël Taverne.
La semaine dernière, un absent de marque a aussi été pointé du doigt par beaucoup : Laurent Wauquiez, le patron des députés LR, peut-être gêné aux entournures que son adversaire à la présidence du parti puisse bientôt brandir cette loi devant les militants comme preuve de son efficacité.