
Impossible de faire plus de 3 mètres avec Claude Malhuret dans les couloirs du Sénat sans être interrompu ! Depuis son intervention à la tribune où le président du groupe Les Indépendants-République et territoires a délivré un discours ciselé contre l'administration américaine, les félicitations pleuvent. « Je voulais te saluer Claude », lui glisse-t-on plusieurs fois au cours de notre entrevue.
Un phénomène de popularité inattendu pour l'homme de 75 ans d'ordinaire discret, presque timide. Plus érudit que rock star, Claude Malhuret nous conduit vers le point névralgique, selon lui, du palais du Luxembourg : la bibliothèque du Sénat. Dans cette galerie tapissée de moquette rouge pourpre, emplie de plusieurs milliers d'ouvrages et éclairée d'une lumière chaude, le Bourbonnais (Allier) apprécie de s'y réfugier… Au compteur, plus de cent livres dévorés par an.
« Si vous ne tapez pas fort, personne ne vous écoute »
Mais il est peu de dire que ses habitudes ont quelque peu été dérangées ces derniers jours. Claude Malhuret a troqué ses écrits contre les micros du monde entier. CNN, la BBC, Sky News, The Atlantic, Radio Canada et bien sûr des médias français, tels que France Inter ou Quotidien, l'élu est sollicité de toutes parts. « Cela a explosé lorsqu'un internaute a traduit mon discours en anglais », explique l'intéressé, lui-même surpris de cette subite notoriété.
La bascule européenne est aussi importante que le retournement américainClaude Malhuret
La vidéo de près de 9 minutes visionnée plusieurs dizaines de millions de fois dans laquelle l'élu n'hésite pas à qualifier Donald Trump de « traître », « d'empereur incendiaire », de comparer ses fidèles à la « cour de Néron » ou encore de railler le milliardaire Elon Musk en « bouffon sous kétamine » a fait sensation. « Aujourd'hui, si vous ne tapez pas fort, personne ne vous écoute », se justifie l'ancien maire de Vichy pendant vingt-huit ans, qui n'a pas attendu l'ère des réseaux sociaux pour manier la formule incisive et maîtriser l'art oratoire. Une audace qui lui vaut aujourd'hui des remerciements internationaux, à la fois d'outre-Atlantique et de l'Est, de la part d'Ukrainiens, circonspects par le virage que prend l'administration américaine. « Personne ne s'attendait à un tel revirement de la part de Trump, pas avec une telle ampleur », regrette Claude Malhuret, la mine fatiguée par ce marathon médiatique.
Vice-président de la commission des Affaires étrangères au Sénat, l'élu, attablé avec un café, prend le temps de s'épancher sur l'état du monde post-20 janvier, date de l'investiture de Donald Trump. « Les gouvernements européens ont raison de vouloir continuer à discuter avec le président américain, il ne faut pas couper les ponts. Si Trump doit perdre du terrain, ce doit être aux États-Unis », pense l'ancien président de Médecins sans frontières (1978-1986).
Une Europe fédérale ?
Inquiet de l'imprévisibilité qui caractérise le locataire de la Maison-Blanche, Claude Malhuret veut y voir une petite fenêtre d'optimisme. « Trump peut très bien, en cas de refus de Poutine, effectuer un virage à 180 degrés, dans sa folie il a tout de même une pointe de pragmatisme », décrypte cet anglophone intéressé depuis de nombreuses années par la politique américaine. La présence de plusieurs théoriciens et auteurs du projet 2025 – un ensemble de propositions politiques conservatrices américaines – autour de Donald Trump inquiète en revanche bien plus le sénateur. « Trump n'a sûrement pas lu ce dossier de 900 pages, mais d'autres, au corpus idéologique bien établi, ont travaillé dessus et veulent l'appliquer », met-il en garde d'une voix à la fois posée et grave.
Résolument pro-Europe, l'ancien médecin pose a contrario un diagnostic plus positif sur l'état du Vieux Continent. « J'attendais avec désespoir que les Européens sortent du déni, aujourd'hui lorsque l'on voit le revirement de l'Allemagne, c'est historique. La bascule européenne est aussi importante que le retournement américain », veut croire le septuagénaire. Même si Claude Malhuret défend théoriquement l'idée d'une Europe fédérale, il sait grâce à son expérience que celle-ci relève davantage d'une chimère que d'un avenir proche. Un « palier » a été néanmoins franchi et en ce sens, « l'Europe peut dire merci à Poutine et à Trump », sourit l'ancien secrétaire d'État aux droits de l'homme (1986-1988) du gouvernement Chirac comme pour dédramatiser ce contexte parfois anxiogène.
Les traîtres
Mais lorsque l'on évoque son regard sur la scène nationale, ce sourire se dissipe aussitôt. « Les Français n'arrivent pas à comprendre la situation parce que depuis trois ans on leur dit que nous ne sommes pas en guerre », tance-t-il d'une mine sérieuse. « Les Russes sont en guerre contre nous et ils l'assument, à nous de le reconnaître. » Une amorce est à entrevoir, salue tout de même l'élu, en évoquant la récente allocution du président.
Sénateur oblige, Claude Malhuret défend sa paroisse. Si Emmanuel Macron réussit à « se remettre en selle » à la faveur des récents événements, le Parlement n'est pas à oublier. Certes, le chef de l'État représente la figure de proue de la diplomatie française, mais les parlementaires auront un rôle à jouer. « L'effort défensif nécessitera de rectifier le budget, et, à ce moment, le diable sera dans les détails », prédit l'élu. Dans sa ligne de mire ? Le Rassemblement national et La France insoumise, deux partis « traîtres », selon lui. « Quand vous êtes en guerre, et que vous votez contre l'Ukraine, il n'y a pas d'autres mots », fustige-t-il comme à son habitude.
Convoqué jeudi, comme l'ensemble des présidents des groupes parlementaires par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, pour un point d'information sur la situation ukrainienne, Claude Malhuret regrette la présence des Insoumis et des lepénistes. « Que voulez-vous, ils sont élus, ils sont légitimes à venir », déplore le proche d'Édouard Philippe.
Alors que le sénateur s'apprête à mettre les voiles pour rejoindre de nouveaux plateaux de télévision, on ne peut s'empêcher de lui glisser un mot à propos du Havrais, en piste pour la présidentielle. Quid de son positionnement ? Claude Malhuret sourit. Il se réjouit de voir son candidat pour 2027 s'investir petit à petit sur les sujets internationaux. « Soyez-en sûrs, nous avons, lui et moi, le même regard sur la situation. »