Europe de la défense :la victoire
aime l’effort
Bruno Jeudy

Retrouvez chaque semaine l'éditorial de Bruno Jeudy, directeur délégué de « La Tribune Dimanche ».
LTD/CYRILLE GEORGE JERUSALMI
La semaine qui vient de s'écouler a incontestablement marqué un tournant et une accélération dans l'histoire de l'Union européenne. Au pied du mur de Berlin abattu en 1989 et après la dissolution de l'URSS en 1991, les nations européennes ont cru à une longue ère de paix dont ils toucheraient les dividendes sans effort. Pourtant François Mitterrand rappelait à juste titre que « la liberté et la démocratie exigent un effort permanent. Impossible à qui les aime de s'endormir ».
Si l'on excepte la France et la Grande-Bretagne, dotées de l'arme nucléaire, les autres pays européens ont vécu dans l'illusion que le parapluie américain les dispenserait d'une politique de défense coordonnée et ambitieuse. L'agression russe en Ukraine a dessillé les yeux à l'UE en 2022 et la connivence entre Trump et Poutine en 2025 les conduit de la séquence des spectateurs à celle des acteurs de leur destin militaire.
Emmanuel Macron a invité les dirigeants européens à prendre leurs responsabilités en se mobilisant pour une véritable Europe de la défense. Prête à déroger à l'orthodoxie budgétaire, l'Allemagne constitue un allié précieux pour l'élaboration de ce projet. Désormais les choses sont claires : la Russie de Vladimir Poutine a été désignée comme l'ennemie et la menace pour l'intégrité territoriale de l'UE. Cependant le président français, en encourageant ses partenaires à s'émanciper de l'Amérique en matière de défense, se refuse à considérer Donald Trump comme un adversaire.
La menace d'une guerre commerciale brandie par Washington explique aussi la prudence et la bienveillance de l'Élysée, conscient de ses répercussions fâcheuses sur des fleurons de l'économie française. À l'inverse, François Bayrou voit dans l'homme à la cravate rouge un adversaire. Curieux dissensus au sommet de l'État même si les deux n'ont pas tort. Le stratège Macron est décidé à ménager Trump pour faciliter le dialogue franco-américain et maintenir l'unité européenne menacée par les populistes. Inversement, l'hyper-européen Bayrou s'inquiète de voir l'Amérique prendre des allures de démocratie illibérale.
L'actualité internationale n'a pas seulement bouleversé la vie politique française, elle a également été un révélateur des pratiques de la sphère médiatique. Certes, la grande majorité de la presse écrite et audiovisuelle opère un traitement nuancé du conflit en Ukraine. Pourtant, depuis quelques semaines, des médias se distinguent par une communication surprenante. Au nom d'une parole décomplexée, ils se font de plus en plus le relais des thèses véhiculées par le Kremlin. Faisons confiance à nos compatriotes pour ne pas se laisser abuser par les petits télégraphistes de la fabrique du mensonge et de la caricature.
Dans ce contexte qui exacerbe les peurs et les passions, les Français - comme le montre notre sondage - semblent prêts à accepter des sacrifices pour doter notre pays des moyens nécessaires à une augmentation importante du budget militaire et à la garantie d'une paix solide et durable en Ukraine. Reste à savoir si, demain, les actionnaires renonceront à une partie de leurs dividendes, les retraités consentiront une désindexation de leur pension sur l'inflation, les jeunes donneront quelques mois pour la réserve militaire, les actifs sacrifieront quelques jours de RTT. On sait bien que, souvent, les exemplaires, ce doit être les autres.