3528-A69 : faire le bonheur des gens contre leur gré 8 posts
Habitants du sud du Tarn qui avez appris jeudi avec stupéfaction la mise à l’arrêt du chantier de l’A69, pardonnez aux magistrats du tribunal administratif et à la rapporteure qui les a inspirés : ils savent ce qu’ils font.
Car ces gens-là, voyez-vous, sont pétris de certitudes et agissent, fût-ce contre votre gré et à votre insu, pour votre bonheur et celui de votre territoire. Vous le découvrirez bientôt, ou pas, ça n’a pas d’importance.
On pourrait penser que leur existence toulousaine faite de déplacements à vélo-cargo pour leur trajet domicile-travail, que leur parfaite méconnaissance – qu’iraient-ils y faire ? – des berges de l’Agout, des Monts de Lacaune et des friches industrielles de Mazamet, ou encore que la sécurité de l’emploi dont ils jouissent, ont pu biaiser leur jugement. Or c’est tout le contraire, ils ont une vision.
Ils ne sont pas comme vous, habitants du sud du Tarn, qui attendez cette liaison sécurisée et rapide depuis 40 ans. Et ce qui les distingue des autres, leur supériorité pourrait-on dire, nonobstant leur carrière et sans doute une promotion qui les éloigneront de l’Occitanie où ils ne sont que de passage, c’est leur hauteur de vue, leur détachement vis-à-vis des choses matérielles, des contingences ordinaires, domestiques et économiques qui, nous autres vulgum pecus, nous détournent de l’essentiel.
Si vous ne comprenez pas ce jugement qui, entre autres paradoxes, valide et légitime les actions violentes, les occupations illégales et la guérilla des opposants au projet, c’est normal. Vous êtes celui auquel l’érudit montre la lune mais qui regarde le doigt.
Comme le maire rural regarde le rideau de son cabinet médical se baisser pour toujours, ou l’exode de sa jeunesse vers une vie plus confortable ailleurs. Comme le chef d’entreprise castrais regarde son activité péricliter pour cause d’enclavement et de pénurie de main-d’œuvre. Comme les centaines d’ouvriers regardent le chantier s’arrêter et se demandent s’ils travailleront demain. Comme le contribuable regarde une autoroute achevée à 65 % frappée soudainement d’illégalité et dont l’éventuel effacement coûtera des milliards d’argent public. Comme le citoyen regarde sa justice, sans ne plus rien comprendre à ses décisions qui défient le bon sens. Comme le Toulousain, le Cadurcien ou l’Albigeois voient désormais peser les mêmes risques sur le projet de la LGV.
On peut toujours considérer qu’après tout, le sort des 160 000 habitants du sud du Tarn est quantité négligeable lorsqu’il s’agit de l’avenir de la planète, mais on ne fera croire à personne que la balafre de l’A69 lui aurait été fatale, Américains et Chinois se chargent pour nous de la saccager.
Le pire dans cette affaire, c’est l’image qu’elle donne de l’État de Droit, des faiblesses qu’elle suggère, et des tentations autoritaires qui surviennent dans l’opinion en pareilles circonstances…