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Tribune

André, Gustave, Donald et la souris
Serge Simon
Médecin, ancien joueur de rugby et ancien vice-président de la FFR

 

 

 

 

Faut-il craindre la foule plus que l’individu ?
Qu’en est-il des assemblées qui se constituent
sur Internet, autour d’une idée, d’un événement...

 

 

J’ai ressenti comme beaucoup de la stupéfaction après l’élection
du 47e président américain. La plus grande démocratie
du monde vient d’élire un homme qui nous apparaît comme
despotique, vulgaire, inculte, raciste, sexiste et malhonnête.
D’autres élections ont mis en avant des profils tout aussi réjouissants,
Javier Milei, Jair Bolsonaro, Viktor Orban, Georgia Meloni, l’extrême
droite parlementaire en Suède et en France.


Cette tendance est expliquée par la « polarisation » des opinions. Le
monde est blanc ou noir, le gris de lacomplexité n’est plus de mise. L’opinion
publique devient manichéenne, dominée par ses émotions,
crédule, assoiffée de chefs assertifs et que la complexité d’analyse
rebute. Les réseaux sociaux en seraient la cause.


Même si intuitivement l’hypothèse paraît séduisante, nous devons argumenter.
Un livre offert par André Moga en 1992, quelques mois avant sa mort,
m’y invite (1). André, alors mon président, était un « Grand Homme ».
Alors, quand il parlait, vous écoutiez, et quand il vous offrait un livre,
vous le lisiez. « Psychologie des foules », de Gustave Le Bon (1895), me passionna.


L’auteur, faux médecin, polémiste réactionnaire, accusé un peu facilement
d’avoir influencé par ce livre Benito Mussolini et Adolf Hitler,
propose, sans le savoir, une explication à la polarisation citée aujourd’hui.
Pour lui, la psychologie d’une foule n’est pas la simple somme des psychologies
individuelles. La foule réagit parfois avec déraison, perdant
le sens critique. Ainsi, elle peut se rendre coupable de folies que la raison
individuelle réprouverait.


Or, la connexion numérique crée entre des milliers d’individus une
proximité, une intimité psychologique engendrant une dynamique
de foule similaire à celui d’une foule physique. Une foule numérique,
une « e-foule », se forme avec une « unité mentale » telle que la décrivait
Gustave Le Bon. La e-foule ainsi formée, comme la foule physique,
«devient irritable, se nourrit du sentiment d’invincibilité lié au nombre,
suggestible, dirigée par une émotion contagieuse et protégée par l’irresponsabilité
que confère l’anonymat».


De plus ces e-foules n’ont pas les contraintes spatio-temporelles des
foules physiques, aucun besoin de se rassembler en un seul lieu et à un
moment précis. L’effet meute est ainsi en libre-service numérique
vingt-quatre heures sur vingt quatre, sept jours sur sept !
Les e-foules sont permanentes et éternelles !


Derrière l’écran, l’unité mentale des e-foules pousse les individus à
des actions répréhensibles. Des lynchages numériques ont ainsi eu
lieu. Cette déraison collective s’applique aux croyances en tous
genres. Le sens critique s’efface devant l’émotion collective. Complotistes,
platistes, antivaccins, toutes les tendances antisystème puisent
leur énergie sur la toile, tel les cyclones au-dessus des mers chaudes.
Les populistes les plus invétérés n’ont plus qu’à ramasser les votes.
Par la connexion digitale, le monde est en train de devenir un ensemble
d’e-foules indomptables et coléreuses qui orientent les gouvernails
de nos vieux navires démocratiques.


Je ne suis pas certain que ce nouveau monde des e-foules tenant nos
destins démocratiques au bout de nos souris aurait plu à André Moga.


(1) André Moga (1921-1992) était alors président du club de rugby de Bègles.
publié dans Sud-Ouest



02/01/2025
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