Les Insoumis vent debout
Sans surprise, à peine la nomination à Matignon du maire de Pau confirmée, après une matinée dantesque marquée par les rumeurs contradictoires, plusieurs figures de l'aile la plus à gauche du Nouveau Front populaire (NFP) se sont empressées de lui envoyer une série de fléchettes. « C'est un nouveau bras d'honneur contre la démocratie », a réagi Manuel Bompard, le chef de file des Insoumis, pendant que Paul Vannier, proche de Jean-Luc Mélenchon, en profitait pour embrayer une nouvelle fois sur une possible démission du président de la République : « Macron ne tient plus qu'à Bayrou. Le compte à rebours de sa chute est enclenché. »
Aucun socialiste ne participera au gouvernement mais nous ne censurons pas a priori.Laurent Baumel
S'ils ne parlent pas explicitement d'une censure de principe, les écolos ne se sont pas non plus montrés tendres envers le haut-commissaire au Plan. « Ça n'est plus de la politique, c'est du mauvais théâtre de boulevard », a écrit Marine Tondelier. Dans un communiqué acide, le groupe écologiste à l'Assemblée a appelé, sans trop y croire, François Bayrou à tenir compte « des propositions issues du débat parlementaire ». Un son de cloche semblable à celui du PCF. « Nous allons juger sur pièce mais nous n'attendons pas de François Bayrou qu'il fasse une politique de gauche car ce n'est pas un homme de gauche, résume, amère, Cécile Cukierman, la patronne des sénateurs communistes. Nous restons dans une position qui n'est pas d'apriorisme mais pas d'optimisme non plus. »
L'entre-deux des socialistes
En réalité, c'est surtout vers les socialistes que tous les regards sont tournés. Avec leurs 66 sièges au Palais-Bourbon – et à condition que la droite républicaine ne censure pas non plus – ceux-ci peuvent à eux seuls permettre à François Bayrou de ne pas voir, comme Michel Barnier, son destin lié aux bonnes grâces du Rassemblement national. Or, ces derniers jours, les signaux envoyés n'étaient pas à l'amour inconditionnel. Loin de là. Sur BFMTV mercredi, Olivier Faure était formel : François Bayrou, incarnant la « continuité » du macronisme, « ne pouvait pas » être le Premier ministre. « Bayrou, c'est Barnier bis », s'étranglait le même jour un député PS de premier plan, pourtant pas connu pour refuser les compromis. Les instances dirigeantes socialistes avaient même pris soin de rappeler, comme l'a révélé Le Figaro, que si l'un des leurs entrait dans un gouvernement « pas de gauche », il serait exclu du parti manu militari.
Ce vendredi, les socialistes étaient en plein bureau national lorsqu'ils ont appris la nomination du Béarnais. Et, d'après plusieurs participants, les uns et les autres sont rapidement tombés d'accord sur la ligne de conduite : pas de participation au gouvernement, mais pas non plus, à la différence des Insoumis, de censure a priori. « Nous n'approuvons pas la nomination de François Bayrou, nous la percevons comme une forme de déni démocratique de la part d'Emmanuel Macron, résume le député Laurent Baumel au Point. Aucun socialiste ne participera au gouvernement, mais nous ne censurons pas a priori. Il faudra que François Bayrou nous montre sa disponibilité pour des changements de cap importants. » Une sorte d'entre-deux pour se donner un parfum de responsabilité dans la période d'incertitude politique, sans se fondre en béquilles du macronisme.
Quelles conditions pour la non-censure ?
Dans cette tentative acrobatique de trouver un équilibre, il est pour autant difficile de savoir à quel degré de souplesse seront prêts les socialistes au cours des négociations. Parmi les conditions d'une éventuelle clémence, ceux-ci réclament notamment que le Premier ministre renonce à l'utilisation du 49.3. Mais pas que. « S'il ne nous lâche rien par rapport aux retraites, au pouvoir d'achat et qu'il nous annonce une loi immigration, on ira à la censure », prévient un ténor. Le rapport du Béarnais aux troupes de Marine Le Pen sera aussi attentivement scruté. « Avec Bayrou, ce sera un gouvernement macroniste, estime un proche d'Olivier Faure. La question c'est : “Est-ce que ce sera un gouvernement macroniste qui aura une préférence au RN ou au front républicain ?” »
Dans un communiqué publié cet après-midi, la présidente de la région Occitanie Carole Delga, opposante notoire à Olivier Faure, a semblé un poil plus conciliante, regrettant qu'Emmanuel Macron « refuse de nommer un Premier ministre de gauche », mais appelant les forces du « front républicain » à « travailler dans un esprit collectif ». Sur Sud Radio ce matin, le maire de Saint-Ouen Karim Bouamrane était même allé plus loin, critiquant le positionnement sur l'exclusion de tout socialiste qui participerait à un gouvernement n'étant pas de gauche, avant même la nomination du Premier ministre. « Il ne pèse pas dans le parti, répond notre proche d'Olivier Faure. Bayrou peut essayer d'accrocher un élu local mais ce n'est pas ça qui donnera une coloration au changement de pied nécessaire. »
Si le PS est resté plutôt uni depuis la censure, le bloc central aura sans doute un œil sur d'éventuelles fissures internes lorsque les discussions sur les lignes rouges seront plus concrètes ou, a fortiori, en cas de débauchage d'ampleur. Le parti à la rose, foncièrement désireux de ne pas paraître comme le fossoyeur du NFP, sera quant à lui très attentif à l'évolution du positionnement des écologistes et des communistes. « Ça va être le bordel encore quelques jours », pronostique un stratège qui connaît bien la gauche.
MoDem le rouge ?
Signe que le nouveau Premier ministre sait qu'il navigue en eaux agitées, il est resté très flou sur ses orientations politiques au cours de son discours de passation. Tout au plus François Bayrou a-t-il évoqué son passage à l'Éducation nationale, thème cher à la gauche, et appelé à la « réconciliation » du pays.
Ces derniers mois, le MoDem avait envoyé quelques signaux au camp bâbord. Sans s'opposer frontalement au texte sur les retraites, François Bayrou avait lui-même estimé après coup qu'une « autre réforme était possible ». Au cours des discussions budgétaires du deuxième mandat Macron, députés de gauche et MoDem se sont même retrouvés alliés de circonstances sur certains amendements en matière de fiscalité. Jean-Paul Mattei, patron du groupe orange jusqu'à l'été dernier, avait même acquis à gauche le surnom d'« insoumattei » pour sa volonté de taxer les superprofits.
Une ex-députée du groupe MoDem s'empresse de nuancer : « Bayrou a une fibre sociale, mais il ne faut pas oublier que son obsession, c'est la dette. Et Mattei, c'est un notaire de province qui militait aux jeunesses giscardiennes ! » Vice-président du MoDem au moment de la présidentielle de 2012, désormais soutien du NFP, l'écologiste Jean-Luc Bennahmias renchérit : « Bayrou est un homme de centre droit, cherchez la gauche au MoDem, c'est pas facile ! »
En annonçant son vote pour François Hollande en 2012, le Béarnais avait prévenu : « Je ne suis pas et je ne deviendrai pas un homme de gauche, je suis un homme du centre et j'entends le rester. » Reste à définir le centrisme.