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« Je dis aux cheminots : restez du côté des Français » (Jean-Pierre Farandou, président du groupe SNCF)
JEAN-PIERRE FARANDOU - Une grève courte, d'un jour, est prévue ce 21 novembre. Il est encore trop tôt pour savoir quels trains circuleront. Les cheminots doivent se déclarer individuellement quarante-huit heures avant. Nous annoncerons les plans de transport mardi vers 18 heures.
Parmi les motifs de grève, il y a l'avenir du fret, les négociations autour des salaires... Comprenez-vous cette pression ?
Il est normal que l'avenir de Fret SNCF suscite des réactions. Une réunion avec les syndicats est prévue le 27 novembre pour discuter des conditions sociales dans lesquelles les cheminots de Fret SNCF seront transférés dans les deux nouvelles filiales - Hexafret pour le transport de marchandises et Technis pour la maintenance des locomotives. Mais ceux qui bénéficient du statut SNCF vont le garder. Et le calendrier des discussions est suffisamment long pour que nous ayons le temps de dialoguer. Et d'aller au bout des négociations sans passer par une grève.
Les syndicats demandent un moratoire sur Fret SNCF. C'est possible ?
Le gouvernement a dit qu'il n'y aurait pas de marche arrière possible. La transformation de Fret SNCF découle d'un accord entre la Commission européenne et le gouvernement français. C'est un sujet de droit de la concurrence. Ce qui compte, c'est la survie de l'activité fret. Le paradoxe, d'ailleurs, c'est que celle-ci sera en bien meilleure forme économique qu'avant puisque nous bénéficierons d'une aide d'État au secteur supplémentaire de 30 millions d'euros par an. Étant donné les difficultés budgétaires du pays, c'est un signe fort. Sans compter que la surcotisation pour la retraite des cheminots transférés continuera d'être prise en charge à hauteur de 20 millions d'euros annuels par la SNCF. À partir de là, mon rôle est de travailler sur les enjeux sociaux. Je me suis engagé à retrouver une place dans le groupe pour chacun des cheminots concernés par les 500 disparitions de poste. Certains iront dans les activités TER. Il n'y aura aucun licenciement. Mon rôle est aussi de veiller au maintien de conditions sociales protectrices dans les nouvelles sociétés.
Les grèves sont aussi liées à la négociation sur les salaires qui débute...
C'est pourquoi la grève est évitable. Les Français ne comprendraient pas une grève longue et dure en décembre pour des questions de salaire, ils ne comprendraient pas de ne pas pouvoir rejoindre leur famille pour fêter Noël... Surtout au moment où la France connaît une situation économique compliquée, avec des plans sociaux dans des entreprises, des emplois menacés. C'est pourquoi je dis aux cheminots : restez du côté des Français ! Vous avez été engagés auprès d'eux pendant les Jeux olympiques et paralympiques. Après les actes de sabotage de juillet, vous leur avez montré votre capacité à redresser le réseau en un week-end. Vous avez aussi été au rendez-vous, pendant le Covid, pour faire rouler des trains dans des conditions difficiles et assurer des acheminements sanitaires. J'en appelle au sens des responsabilités des cheminots.
Mais ils doivent s'attendre à des augmentations moins importantes cette année...
Ces trois dernières années, nous avons protégé leurs salaires au-delà de l'inflation. De 2022 à 2024, l'inflation cumulée a atteint 13% ; la rémunération des cheminots, elle, a progressé de 17% en moyenne, et même de 21% pour les bas salaires. Aujourd'hui, l'inflation baisse considérablement - nous serons autour de 1,5% l'an prochain. Il est donc normal de nous ajuster. Je rappelle que la rémunération la plus basse à la SNCF est 10% au-dessus du smic. Et que, chez nous, il y a des augmentations tout au long de la carrière, de la promotion interne, des embauches... En 2024, nous aurons recruté 8 400 personnes en CDI, après 8 700 en 2023, soit 17 100 recrutements en deux ans. Depuis que je suis PDG, j'ai arrêté la spirale de la baisse de l'emploi. Et en plus il y a tous les autres avantages, le package social : les billets gratuits, notre parc de 90 000 logements sociaux, un système de santé avec accès facilité à des médecins spécialistes, une politique de la famille très protectrice, etc.
En même temps, l'entreprise se porte bien, vous avez toujours plus de voyageurs...
Oui, nous en avons eu plus de 24 millions cet été. Pour la Toussaint, nous avons transporté 7% de personnes de plus que l'an dernier. Un exploit, alors que nous attendons toujours les nouvelles rames de TGV qu'Alstom doit nous livrer. Ce sera fin 2025 au lieu de 2023. L'ouverture des ventes pour les congés de février est un succès incroyable : plus de 1,3 million de billets ont été réservés le premier jour. Il s'agit de la troisième journée la plus importante en nombre de billets vendus depuis le lancement de SNCF Connect, début 2022. Le transfert de la voiture vers le train se confirme. Mais la situation économique se tend.
Allez-vous augmenter le prix des billets l'an prochain ?
Ce n'est pas décidé, mais nos coûts augmentent. Il faut bien en répercuter une partie sur les prix ; nous veillons toujours à avoir une politique de volumes et de tarifs attractifs. Le prix moyen d'un billet de TGV reste à 45 euros, ce n'est même pas le prix d'un taxi entre Paris et l'aéroport de Roissy ! Et sur les trains Ouigo nos billets sont à 15, 20 ou 25 euros... Notre intention est d'ailleurs d'augmenter de 20 à 30% la part de Ouigo dans notre offre d'ici à 2030. Enfin, nous investissons ce que nous gagnons dans la maintenance, le développement du réseau ferroviaire, la transition écologique, les salaires, l'achat de TGV neufs pour nos clients. Une rame neuve coûte 35 millions d'euros.
Vos comptes étaient dans le vert l'an dernier. Ce sera encore le cas cette année ?
Depuis six semestres consécutifs, nous sommes bénéficiaires. Ce n'est jamais arrivé à la SNCF. Nous avons bon espoir que le semestre en cours soit aussi bon. Nous sommes durablement installés dans une situation où le groupe ne fait plus de déficits. La SNCF ne coûte rien aux Français, contrairement à ce que certains disent.
Il n'empêche, la SNCF a-t-elle les moyens d'encaisser des grèves ?
Un jour de grève coûte environ 20 millions d'euros. Deux jours, cela revient à renoncer à l'achat d'une rame TGV. Une grève dans le fret, c'est terrible : les entreprises clientes se tournent vers la route et y restent. Les pertes sont bien plus structurelles. C'est une raison supplémentaire pour tout faire, en responsabilité, pour éviter une grève longue en décembre.
Vos clients risquent de se reporter vers vos concurrents étrangers, Trenitalia et Renfe...
Je me mets à leur place : il est normal de chercher d'autres solutions. Prendre Trenitalia en fait partie. Trenitalia s'est installé entre Lyon et Paris, la ligne la plus rentable, mais la compagnie assure cinq allers-retours par jour quand nous en faisons vingt. Pour le moment, cela n'a pas trop d'effet sur nos ventes, mais il faut faire attention. Nous ne sommes plus dans le monde du monopole, mais dans celui de la concurrence, où les consommateurs jonglent entre les différents opérateurs.
En mai dernier, au moment de l'accord sur les fins de carrière, vous avez essuyé des critiques du gouvernement. Est-ce derrière vous ?
Les attaques dont j'ai fait l'objet étaient largement infondées. Cet accord ne coûte rien aux Français. Nous le finançons sur nos résultats, qui sont bons, et il ne représente que 0,35% de notre masse salariale ! Ce n'est pas un contournement de la réforme sur les retraites, comme j'ai pu l'entendre : au contraire, il accompagne les salariés qui travaillent deux ans de plus, et tient compte de la pénibilité, soit 90 000 emplois concernés à la SNCF. Enfin, cet accord a été négocié en toute transparence, à la demande de la Première ministre Élisabeth Borne.
La fin de votre mandat était prévue après les Jeux olympiques. Qu'en est-il aujourd'hui ?
D'après les signaux que j'ai pu recevoir, j'ai compris que mon mandat irait finalement à son terme. C'est-à-dire ma limite d'âge, avec une échéance lors de l'assemblée générale, en mai 2025. Cela me va très bien, et je reste pleinement mobilisé aux côtés des cheminots et des voyageurs jusqu'à la fin de mon mandat.