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l'essentielDans son nouveau livre "War", le journaliste d’investigation américain Bob Woodward fait des révélations sur les coulisses des négociations entre la Maison Blanche et le Kremlin pour éviter une catastrophe nucléaire en 2022.

Un nouvel ouvrage du journaliste Bob Woodward, figure du journalisme d’investigation américain, dévoile des prises de décision cruciales de la Maison Blanche, en particulier autour de la guerre en Ukraine, lors d’événements survenus dès 2022, quelques mois après le début du conflit.

Dans War, l’auteur, notamment célèbre pour avoir dévoilé l’affaire du Watergate aux Etats-Unis, couvre la période de la présidence Joe Biden jusqu’en 2024. Un chapitre, publié par le média The Insider, relate comment, à l’automne 2022, les renseignements américains ont appris que Vladimir Poutine envisageait d’utiliser des armes nucléaires tactiques en Ukraine. Le président russe s’inquiétait des revers infligés par les forces de Kiev à son armée dans la région de Kharkiv.

 

En septembre 2022, Jake Sullivan, conseiller de Joe Biden, a pris connaissance d’un rapport top secret sur les intentions nucléaires de Vladimir Poutine, face à une défaite possible à Kherson après celle de Kharkiv. En effet, la ville de Kherson a un intérêt stratégique pour le Kremlin car elle assure un accès terrestre à la Crimée.

Selon les informations de Bob Woodward, les renseignements américains estiment alors à 50 % la probabilité d’armes nucléaires tactiques par la Russie si Kherson était encerclée par les Ukrainiens. La CIA rapportait que les généraux russes envisageaient un retrait vers des positions plus sûres. "En cas de capitulation à Kherson, il est fort possible que le moral de l’armée russe soit brisé et que le pouvoir de Vladimir Poutine sur la Crimée soit menacé", rapportait alors le directeur de la CIA, Bill Burns. Les inquiétudes sont aussi confirmées par le fait que la doctrine nucléaire russe justifie l’utilisation de cette arme en cas de défaite catastrophique sur le champ de bataille ou de menace existentielle pour la Russie.

"Nous devons ouvrir un canal de communication"

Joe Biden est mis au courant et ne prend pas ces rapports à la légère. "Nous devons ouvrir un canal de communication", aurait-il réagi. "Non pas pour des négociations sur l’Ukraine, mais pour que les États-Unis et la Russie puissent éviter un cataclysme". Le président américain a ensuite contacté directement Vladimir Poutine pour offrir une possibilité de discuter afin d’éviter l’escalade. Le message de Joe Biden était alors clair : "Je souhaite envoyer un représentant discuter plus en détail de nos préoccupations avec un de vos représentants".

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Mais le 30 septembre 2022, Vladimir Poutine organise une cérémonie pour annexer plusieurs régions ukrainiennes, affirmant qu’elles seront défendues par tous les moyens. "Les Etats-Unis sont le seul pays au monde à avoir eu recours à l’arme nucléaire à deux reprises", déclare-t-il alors. "Ils ont créé un précédent". La situation ne semble pas se calmer et quelques jours plus tard en octobre, Joe Biden déclare publiquement qu’il n’a pas vu de menace nucléaire aussi grave depuis la crise des missiles de Cuba, évoquant un risque d'"apocalypse" : "J’ai passé beaucoup de temps avec lui. Il ne plaisante pas lorsqu’il parle de l’utilisation possible d’armes nucléaires tactiques", a-t-il dit à propos de Vladimir Poutine avant d’ajouter : "Nous essayons de comprendre : quelle est la voie de sortie pour Poutine ?"

Les discussions ont alors commencé entre les deux pays pour éviter la catastrophe nucléaire. Bob Woodward relate plusieurs entretiens entre différents représentants des deux États. Parmi ceux-ci, deux semblent avoir été décisifs. Premièrement, un échange entre le secrétaire à la Défense américain Lloyd Austin et le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgou. Il est notifié à ce dernier que toute utilisation d’armes nucléaires changerait le monde et qu’une ligne rouge serait franchie pour les États-Unis. Lloyd Austin aurait alors indirectement menacé d’isoler la Russie internationalement en rappelant la puissance militaire américaine. "Je n’aime pas être menacé", aurait répondu Sergueï Choïgou.

Une rencontre décisive à Ankara

Mais une rencontre a permis la désescalade. Le 14 novembre 2022, le patron de la CIA, Bill Burns aurait rencontré son homologue russe Sergueï Narychkine à Ankara en Turquie. Un échange un peu plus musclé durant lequel Bill Burns aurait expliqué en détails les "conséquences catastrophiques" si la Russie utilisait des armes nucléaires tactiques, brisant ainsi le tabou sur leur utilisation. "Cela n’isolerait pas seulement la Russie mais la transformerait en État voyou", aurait-il prévenu, "mais cela aurait également des conséquences très pratiques sous la forme de dommages que nous causerions à l’armée russe".

En réponse Sergueï Narychkine aurait juré que le Kremlin n’avait aucune intention d’utiliser l’arme nucléaire. Il aurait même affirmé parler au nom de Vladimir Poutine. Dans son rapport au président Biden, Bill Burns affirmait alors être convaincu que la Russie avait reçu le message. Le risque d’une frappe nucléaire semblait alors s’éloigner.