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Tout le monde s’est encore trompé sur Trump
L’élection devait se jouer dans un mouchoir. Celui-ci est devenu
un drap. Donald Trump a balayé Kamala Harris qui, après le
retrait de Joe Biden le 21 juillet, a dû s’aligner sur un 200 mètres
alors que le républicain était déjà lancé sur son 100 mètres.
La vice-présidente eût-elle fait mieux si elle avait été désignée plus tôt ?
On ne le saura jamais et cela n’a plus aucune importance.
Observateurs, médias, sondages, tout le monde s’est encore trompé sur
Trump qui effectue un retour triomphal à la Maison-Blanche et qui,
victime presque indemne d’un attentat, le 13 juillet, va aussi échapper
aux lourds nuages judiciaires menaçant son avenir. Grand chelem du
milliardaire puisque le Sénat s’est de nouveau coloré de rouge. Entouré
d’encenseurs et d’illuminés, Donald Trump aura les pleins pouvoirs.
Son profil psychologique, son imprévisibilité politique, ses
mensonges et son outrance laissent redouter le pire pour les
institutions, l’Europe, l’Ukraine, les migrants, le climat. Et pour
les anti-Trump.
Mais il est élu parce qu’une majorité de ses concitoyens l’a
voulu au pouvoir et, n’ayant rien à perdre,
le revenant ne voudra pas les décevoir, quitte à élargir la fracture
qui déchire l’Amérique. Au moins ce succès indéniable écarte-t-il
le risque d’une guerre civile (du moins aujourd’hui), preuve qu’on ne
dénonce une supposée tricherie que quand on est battu.
On peut se demander pourquoi des femmes, des Latinos et des musulmans
choisissent un homme qui les méprise plus qu’il ne les considère.
On peut gloser sur ce système inondé de millions de dollars où il vaut
mieux compter plus de grands électeurs que de votes populaires, si ce
n’est que Kamala Harris a parfois reçu plus d’argent que le vainqueur
et qu’à l’inverse de 2016, Trump a également remporté le scrutin dans
les urnes.
Même s’il n’entre en fonction qu’en janvier prochain, même s’il faut
attendre, sans trop d’illusions, de juger Trump sur ses actes et non plus
sur sa campagne, nous voici projetés dans un monde anxiogène où le
club florissant des autocrates pourrait, triste première, accueillir un
pensionnaire américain, pressé de son propre aveu d’y prendre
sa carte.
Et puisqu’on en revient aux innombrables questions que pose le tonitruant
come-back de Trump, pourquoi Emmanuel Macron l’a-t-il félicité
sans attendre l’officialisation du résultat ? S’il croit que cela amadouera
Trump à l’égard de la France, lui aussi se trompe.
Éditorial Sud-Ouest Benoît Lasserre
Il est élu parce qu’une majorité de ses concitoyens l’a voulu au pouvoir et, n’ayant rien à perdre, le revenant ne voudra pas les décevoir
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Rarement une élection américaine aura autant exacerbé les passions et suscité autant de fascination et d'appréhension. Alexis de Tocqueville, dans son essai De la démocratie en Amérique, publié en 1835, spéculait sur les dangers de la démocratie, qui pourrait dégénérer en despotisme. La campagne pour élire le 47e président des États-Unis semble confirmer cette terrible prédiction.
Il y a cinquante ans se déroulait le combat de légende entre les boxeurs Mohamed Ali et George Foreman à Kinshasa. Cet affrontement entre les deux poids lourds constituerait presque un échange d'amabilités et une discussion de salon au regard de la violence et des insultes qui ont caractérisé les dernières semaines du duel entre Kamala Harris et Donald Trump. L'un qualifie sa rivale d'« handicapée mentale » et l'autre son opposant de « dérangé ».
Pour la candidate démocrate, les clés de la Maison-Blanche passent par une surmobilisation de l'électorat féminin, qui selon les sondages lui est pour les deux tiers acquis. Elle devra faire mieux que Hillary Clinton, dont l'échec en 2016 s'explique en partie par l'incapacité à entraîner un vote féminin massif en sa faveur. Paradoxalement, Kamala Harris, née dans un milieu modeste d'un père d'origine jamaïcaine et d'une mère venue d'Inde, apparaît comme la candidate des élites.
Pas sûr que l'appui tapageur de Taylor Swift, Beyoncé et autres stars de Hollywood soit décisif et rende populaire l'ex-sénatrice de Californie. Tandis que Donald Trump, le milliardaire, l'homme de la Trump Tower, à New York, le fils d'un richissime promoteur immobilier, se veut le héraut et le défenseur des gens ordinaires, des habitants des moyennes et petites villes, souvent oubliées de la croissance et du rêve américain.
D'ailleurs cette élection de tous les paradoxes révèle les clivages entre tenants des traditions et partisans de l'émancipation, entre féministes et virilistes... Ces fractures dans la société ne manquent pas de réjouir dirigeants russes et chinois, trop heureux de voir une démocratie américaine en lambeaux. Incapables de donner au monde l'exemple d'un État apaisé, uni et accueillant, les dirigeants politiques américains risquent de voir le rôle de conscience et de gendarme du monde leur échapper.
L'Amérique, qui s'apprête donc à vivre des heures cruciales, avec un vote très serré et probablement contesté, va devoir vite tourner la page de cette campagne haineuse. Le pourra-t-elle ? Make American Democracy Great Again, voilà pourtant le défi de la première puissance mondiale. À moins que l'élection de Donald Trump ne la fasse basculer dans le monde des régimes autoritaires, comme l'a laissé entendre celui qui a déjà été président. En 2021, il a quitté le pouvoir sans avoir reconnu sa défaite et après avoir incité ses partisans à envahir le Capitole. Près de quatre ans plus tard, l'esprit de vengeance n'est pas compatible avec la démocratie.