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Michel Barnier parie sur l’enlisement plutôt que sur le 49.3
Le Premier ministre a réuni mardi matin à Matignon les chefs de groupe de son « socle commun » parlementaire. Il s’y est montré défavorable à un recours rapide au 49.3, misant sur l’incapacité des députés à finir leurs travaux avant mardi prochain.
Michel Barnier n’a pas envie de devenir « monsieur 49.3 ». Alors que le recours à cette arme constitutionnelle paraît inéluctable en l’absence de majorité stable à l’Assemblée nationale et au vu de la confusion des débats sur le projet de loi de finances pour 2025, le Premier ministre est enclin à y renoncer — aussi longtemps que possible. Et fait plutôt le pari de l’enlisement.
Le chef du gouvernement a réuni mardi matin les chefs de groupe de sa majorité relative à Matignon en présence du ministre des Comptes publics Laurent Saint-Martin et de celui des Finances, Antoine Armand, pour évoquer les débats budgétaires. Il s’oriente « clairement sur une stratégie sans 49.3 », selon une source parlementaire. « Visiblement, il a en tête de laisser le débat se développer », confirme un responsable du Sénat.
Pour recourir à la procédure de l’adoption sans vote, le chef du gouvernement doit au préalable solliciter une délibération du conseil des ministres, comme la Constitution l’y oblige. Si on ignore si le sujet sera demain au menu du conseil, l’heure n’est pas, à Matignon, au déclenchement rapide de cette arme fatale des gouvernements confrontés à des députés rétifs. « Toutes les options sont sur la table encore », dit-on dans l’entourage du chef du gouvernement, qui « a envie que le débat ait lieu, comme depuis le début ».
Scénario. Le projet de loi de finances élaboré par le gouvernement risque pourtant de sortir en lambeaux des débats au palais Bourbon. La partie « recettes » du budget a déjà été rejetée par les députés en commission des finances après avoir été profondément remaniée par les élus du Nouveau Front populaire (NFP), avec 60 milliards d’euros de recettes fiscales nouvelles. Ce scénario risque fort de se reproduire cette semaine en séance plénière, le gouvernement ne pouvant s’appuyer que sur une majorité relative, impuissante à faire barrage à la coalition des oppositions.
Avec plus de 3 700 amendements déposés sur le texte, il semble toutefois peu probable que les députés parviennent à achever leurs débats dans le délai imparti, d’ici à vendredi minuit. Si le gouvernement envisage de leur demander de siéger ce week-end, cela ne devrait pas suffire, le vote solennel sur le texte étant prévu mardi prochain.
Même en ouvrant le samedi (...) il faudra un rythme d’examen de 70 amendements à l’heure pour les examiner tous
D’ici à la fin de semaine, Michel Barnier va donc guetter un enlisement des débats qui lui faciliterait la tâche. En l’absence de vote de la chambre basse dans les temps, le projet de loi serait en effet renvoyé au Sénat comme le prévoit l’article 47-1 de la Constitution, dans la version initiale déposée par le gouvernement. Exit, donc, tous les amendements adoptés cette semaine par les députés.
Cette menace a été parfaitement identifiée par le rapporteur général (Liot) du budget, Charles de Courson, qui a mis en garde lundi soir ses collègues parlementaires. « Il est clair que nous ne pourrons pas terminer notre examen » d’ici à vendredi soir, a-t-il souligné. « Même en ouvrant le samedi (...) il faudra un rythme d’examen de 70 amendements à l’heure pour les examiner tous. » Autant dire, mission impossible.
Engagés dans une course de vitesse avec l’exécutif, les députés pourraient décider de renoncer à une partie de leurs amendements pour accélérer les débats. A gauche, il n’en est pour l’heure pas question.
Blocage. En conférence des présidents, mardi matin, le président de la commission des finances Eric Coquerel (LFI) a fait passer le message à Nathalie Delattre, nouvelle ministre des Relations avec le Parlement : le blocage ne se situe pas du côté du Nouveau Front populaire (NFP) qui a soumis nettement moins d’amendements que lors du précédent budget. Les responsables de l’allongement des débats sont à recherche du côté du « socle commun » d’après l’insoumis, puisque 45 % des amendements émanent des groupes Ensemble pour la république (EPR) et de la Droite républicaine (DR).
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De là à penser que les soutiens du gouvernement jouent la montre pour s’éviter un vote, il n’y a qu’un pas que franchit aisément Eric Coquerel. Pour gagner du temps, il a demandé à la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, que les amendements ayant un objet identique ne soient défendus qu’une seule fois. Pas sûr que cela suffise.
Si elle se concrétisait, une accélération des débats pourrait de toute façon conduire Michel Barnier à changer d’avis et à dégainer le 49.3 in extremis pour éviter l’adoption d’un texte contraire à ses orientations budgétaires. « Je ne pense pas que l’idée soit de laisser l’Assemblée voter », glisse un sénateur du bloc central, qui évoque une évaluation de la situation « au jour le jour ».