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Boris Vallaud : « La politique me fascine autant qu’elle me dégoûte »
Son livre pourrait s'intituler « Journal d'un député de campagne », tant il aime Georges Bernanos et tant il y a d'analogies entre le personnage du jeune curé confronté à la déchristianisation et son parcours de député depuis 2017, percuté par la perte de sens du politique. On lui souhaite que l'histoire finisse mieux. Alors que les esprits s'échauffent au PS en vue du prochain congrès, attendu en 2025, et que des forces centrifuges agitent sa famille politique pour rompre le pacte faustien avec LFI ? de Raphaël Glucksmann à Carole Delga ?, Boris Vallaud raconte son écoeurement de la « politique politicienne » et de la « dictature de l'urgence médiatique où il faut prendre parti ».
Dans son ouvrage En permanence. Ces vies que je fais mienne (Odile Jacob), pause littéraire qu'il s'est offerte pour en revenir « aux choses humaines », il a ces mots, comme un uppercut : « La politique me fascine autant qu'elle me dégoûte. » Il préfère brosser le portrait de ses administrés de la 3e circonscription des Landes, qui fut celle d'Henri Emmanuelli. Il aurait pu devenir écrivain, un « désir ardent » qu'il a abandonné, tant les personnages qu'il croque d'une plume créative et chaleureuse ont la vocation universelle des caricatures de Daumier.
Pas de quoi enchanter ses amis au PS, qui le pressent de se positionner dans la bataille pour la direction du parti face à Olivier Faure, voire pour l'Élysée. Car Vallaud est tiraillé. Il n'a pas tranché ce qu'il souhaitait pour la suite. Qu'on lui laisse le temps, bon sang ! Il le confesse, à la fin de notre café dans son bureau à l'Assemblée, il a songé à tout plaquer en 2022.
« Le sentiment de ne pas avoir prise sur les choses, de pédaler dans la choucroute », tenaillé par l'impuissance du politique, qui promet tant et peut si peu. « La raison d'être de la gauche, c'est d'être utile », insiste-t-il, las du chahut et des guéguerres dont l'Hémicycle est coutumier. Il l'avoue : « J'y participe de temps en temps. » Le « coup de mou » est derrière lui. « On s'en fiche de mes états d'âme. Je ne sors pas de la mine ! »
On a toutes les peines du monde à le faire parler de l'avenir de la gauche, lui qui pilote pourtant le groupe des 66 députés PS, dont les effectifs ont doublé à la faveur de la dissolution. Que faire de cette force ? Ces dernières semaines, le nom de cet ancien élève de la promotion Senghor de l'ENA, celle d'Emmanuel Macron, a été cité comme ministrable. Il n'en dira mot.
Pourtant, tout son livre est un cri, un appel à tout changer au sein de la classe politique, et d'abord à gauche, qui a perdu de vue les catégories populaires ? c'est lui qui l'écrit ?, ces Français qui galèrent, ceux qui poussent chaque vendredi la porte de sa permanence de Saint-Sever (Landes) comme on va à confesse, chez l'assistante sociale ou le toubib. « Des gens dans la difficulté et qui ont honte d'être dans la difficulté. »
Vallaud a grandi dans l'ombre du grand Emmanuelli, sur cette terre de « socialistes Label rouge », comme il dit. Il se souvient de son ombrageux mentor. Il l'avait rencontré gamin. Emmanuelli, taille haute et sourcils broussailleux, l'avait toisé d'un : « C'est pas parce que tu votes pas encore que je te serre pas la main ! » Il conserve dans son bureau un portrait de lui, jauni par le temps, comme une relique. L'ancien député des Landes a longtemps cheminé avec un certain Mélenchon.
Talonné par le RN
Le PS ne s'est-il pas égaré avec la Nupes, puis avec le Nouveau Front populaire, en s'alliant avec des Insoumis qui font primer les débats sociétaux et communautaires sur les problèmes sociaux qu'il affronte, lui, chaque semaine en « circo », lui demande-t-on ? L'heure de la rupture n'est-elle pas venue pour le PS afin de renouer avec les Français les plus modestes, ceux qui ont trouvé refuge dans le vote RN ? « Je recommande un retour aux sources à la gauche », répond-il, alors qu'il parle dans son livre de « fracture » avec cet électorat acquis autrefois à son camp.
« Il faut créer un espoir, on ne peut pas être les révolutionnaires du statu quo », énonce-t-il. Nouvelle pirouette. Il sait pourtant que la sanction populaire n'est jamais loin. Il y a du mea culpa qui ne dit pas son nom dans ce livre. Lui parle de « sérieux examen de conscience ». Il l'avoue, il a vécu comme une gifle ? « une blessure narcissique, presque une désillusion amoureuse », écrit-il ? que la candidate RN le talonne de 1 070 voix chez lui au premier tour des dernières législatives, menaçant de le passer par-dessus bord. « Dans les fermes et les villages des Landes, une grande part de ce que je défends depuis Paris est à côté de la plaque, à côté de leurs vies, à côté de leurs exigences, bon à être mis de côté pour de bon. » Boris, comme l'appellent ses électeurs avec affection, n'est pas tendre avec Vallaud. Salutaire introspection.
Et l'aventure présidentielle ?
Pour en savoir plus sur ses ambitions, mieux vaut donc se plonger dans ses écrits. Et ils sont éloquents. Cet ancien comparse d'Arnaud Montebourg, qu'il épaula au conseil général de Saône-et-Loire, puis à son cabinet au ministère du Redressement productif, à Bercy, fait partie des personnalités socialistes qui pourraient un jour tenter l'aventure présidentielle, estiment nombre de ses pairs.
Le vertige de la représentation comme député, c'est déjà pas mal.Boris Vallaud
« On en parle, de la page 64 de votre bouquin ? » le pique-t-on à dessein. Il y cite un prélat de son fief, qui raffole de politique et lui lance un jour, tout de go : « Et vous ? Président ? Ça vous dit rien ? » « Une boutade de curé de campagne, esquive-t-il. Je ne me pose pas cette question ni maintenant, ni en ces termes. Le vertige de la représentation comme député, c'est déjà pas mal. »
Pour la suite, il ne « s'interdit rien » par principe, mais se dit « plus encombré de questions que de réponses ». Velléitaire, s'agacent ses amis politiques, qui constatent pourtant que le groupe socialiste qu'il dirige fonctionne mieux que le parti. Lui qui déteste les conflits de personnes semble appliquer avec un art consommé l'adage cher à François Hollande, dont il a été le bras droit à l'Élysée après un certain Emmanuel Macron : « Il faut laisser dégorger les escargots. »