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Gérald Darmanin, suite et pas fin
Lundi, après sa passation de pouvoir avec Bruno Retailleau Place Beauvau, Gérald Darmanin avait un déjeuner prévu de longue date. L'ancien ministre de l'Intérieur a retrouvé Laurent Wauquiez. Depuis combien d'années n'avaient-ils pas partagé ainsi un tête-à-tête ? Entre 2014 et 2016, s'ils avaient été les premiers lieutenants de Nicolas Sarkozy lors de la tentative de retour de celui-ci, ils étaient rivaux. Avec l'élection d'Emmanuel Macron, leurs chemins avaient divergé et ils ne s'étaient jamais épargnés. Un septennat plus tard, c'est au printemps qu'entre eux la glace a commencé à fondre. Leurs bras droits respectifs ont pris langue pour discuter de possibles retrouvailles. Cet été, le député du Nord et celui de Haute-Loire se sont envoyé des SMS pour échanger sur la nouvelle situation politique générée par la dissolution. Lundi, leur repas s'est très bien passé.
Dans la foulée, Gérald Darmanin est parti se reposer en province avec son épouse et leurs deux jeunes fils. Après 2 683 jours aux avant-postes du gouvernement, il a complètement coupé avec l'actualité. « Pour lui, il y a forcément un petit choc thermique après quatre années passées à l'Intérieur », confie un de ses amis. « Arrête de dire des bêtises. Je sais très bien ce que tu ressens. Chirac m'a fait le coup deux fois... », lui a glissé Nicolas Sarkozy, qui l'a appelé régulièrement afin de prendre de ses nouvelles. Ce n'est pas un secret : le locataire de Beauvau aurait souhaité demeurer au sein de l'exécutif et s'installer au Quai d'Orsay. Il a toujours été convaincu par ce que lui avait expliqué très tôt l'ex-chef de l'État, qui veille tant sur sa carrière : c'est en étant ministre, dans le quotidien des Français, que l'on s'inscrit dans leurs rétines. Mais Michel Barnier n'a pas voulu de lui dans son équipe. L'entretien que les deux hommes ont eu le 14 septembre a été froid. Par la suite, le quadra n'aura plus aucune nouvelle d'un Premier ministre qui, entre-temps, n'a pas supporté que celui-ci révèle que le nouveau locataire de Matignon s'interrogeait sur une augmentation des impôts.
Pour Gérald Darmanin, c'est une nouvelle vie qui commence. Désormais simple député Renaissance du Nord (il ne briguera pas la présidence de la commission des Affaires étrangères remise en jeu à l'Assemblée, contrairement à certaines rumeurs), il posera un premier jalon aujourd'hui. À Tourcoing, il fera, pour la deuxième année consécutive, sa rentrée politique consacrée de nouveau à la question sociale, sa grande priorité. Édouard Philippe, Gabriel Attal et Élisabeth Borne y assisteront. Xavier Bertrand passera au déjeuner. Des ministres (celui des Armées, Sébastien Lecornu, la porte-parole Maud Bregeon...) et plus d'une cinquantaine de parlementaires Renaissance, Horizons, LR, MoDem, UDI et Liot y seront. Pour l'ex-ministre de l'Intérieur, ce sera le signe de la place centrale qu'il occupe dans le paysage postmacroniste qui se dessine petit à petit. Lors de son discours, qu'il a beaucoup travaillé cet été, il annoncera aussi comment il entend, lui, se structurer.
Dimanche, quand il a reçu pendant une heure et demie Bruno Retailleau, Place Beauvau, afin de lui transmettre les dossiers qu'il aurait en priorité à gérer, Gérald Darmanin lui a indiqué qu'il ne se répandrait pas dans les médias pour commenter son action. Le député du Nord est bien placé pour savoir à quel point elle celle-ci est difficile. Il veut également s'extraire de l'actualité. Dorénavant, il désire prendre le temps de lire (il vient d'achever Humus de Gaspard Koenig), de réfléchir, de défricher, alors que le débat public lui apparaît si pauvre en débat d'idées. Ces prochains mois, il effectuera un tour de France avec son carnet et son stylo afin de percevoir les ultrasons émis par un pays dont il a forcément été un peu coupé, escorté d'officiers de sécurité et de préfets quand il le sillonnait.
Gérald Darmanin veut tenter de trouver des réponses pour réconcilier avec la politique ceux qui se sentent isolés en raison de l'endroit où ils habitent, de discriminations dues à leur prénom, leur genre, ou qui se vivent comme encerclés par l'immigration, la violence de la société... Ces dernières années, il a toujours prévenu de la mauvaise impression que laissait une Macronie aveugle à certaines inégalités et trop sûre d'elle-même. Récemment, il a été très marqué par la fermeture de C8 sur décision de l'Arcom et par ricochet la fin de la diffusion sur cette chaîne de son émission phare, Touche pas à mon poste ! de Cyril Hanouna. Il y a vu une marque de mépris social de la part d'élites jugeant les goûts des gens d'en bas.
Celui qui se revendique d'une droite attentive aux autres trouvera-t-il le fil, comme Jacques Chirac parvint à le tisser avec sa « fracture sociale » ou Nicolas Sarkozy avec son « travailler plus pour gagner plus » ? Avant l'été prochain, il sortira un livre. Par la suite, il entend bien contribuer d'une manière ou d'une autre à l'élection présidentielle. S'il est proche depuis toujours d'Édouard Philippe, ses relations se sont améliorées depuis la rentrée avec Gabriel Attal, qui, après s'être imposé en juillet contre sa volonté président du groupe Ensemble pour la République à l'Assemblée, est soucieux d'apparaître plus collectif. Tous deux se sont heurtés à la raideur de Michel Barnier. Dans l'hémicycle, où ils seront côte à côte, ils manœuvreront ensemble face à lui, afin que leur camp ne soit pas dilué au sein d'une coalition, où Les Républicains ont désormais la part belle. Le 12 septembre, devant le bureau exécutif de Renaissance, la sortie de l'ex-LR mettant en garde contre les désaccords internes que cette alliance allait inévitablement provoquer au sein du parti présidentiel, avait très fortement marqué les esprits.
Mais avant tout, alors que toutes les cartes sont redistribuées, l'ex-ministre se veut d'abord totalement libre. Dans cet avenir qui commence, il s'appuiera sur le réseau étoffé qu'il s'est constitué à Bercy, où il a été trois années chargé des Comptes publics puis à l'Intérieur. Le 9 septembre, il a ainsi réuni tous ses ex-collaborateurs pour un dîner. Une centaine de personnes était présente. Aux yeux des Français, il s'emploiera à se montrer sous un autre jour que premier flic de France. Avec Emmanuel Macron, il cultivera son lien privilégié. Contrairement à Édouard Philippe et Gabriel Attal, il demeure très proche de lui... Il y a quelques années, une phrase que lui a dite François Bayrou a beaucoup marqué Gérald Darmanin, 42 ans bientôt : « J'ai longtemps pensé que c'était le plus intelligent qui gagnait. Je me suis aperçu que c'était celui qui avait le plus de caractère. »