Thierry Breton tire sa révérence à la Commission européenne
La démission du commissaire européen ce lundi fait l’effet d’une bombe à Bruxelles et complique la rentrée politique de la Commission européenne, et notamment de sa présidente Ursula von der Leyen. Emmanuel Macron propose le nom de Stéphane Séjourné, ministre des affaires étrangères démissionnaire, pour le remplacer.
Une toile rectangulaire. Toute blanche. Dans un cadre doré. Sur fond rouge sang. Et cette légende, publiée par Thierry Breton, lundi 16 septembre au matin, sur le réseau social X : « Mon portrait officiel pour le mandat de la Commission européenne. » En démissionnant de son poste de commissaire européen, le Français a pris tout le monde par surprise. L’une des figures de proue de l’institution jette l’éponge.
Avec le marché intérieur, le numérique, l’industrie (dont l’industrie de défense, qu’il avait à cœur de faire monter en puissance) et l’espace sous sa houlette, ce poids lourd bénéficiait, depuis 2019, d’un portefeuille massif.
Mais aujourd’hui, Thierry Breton est furieux. Alors que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, reconduite à son poste pour cinq ans, planche actuellement sur la composition de son prochain collège des commissaires, rien ne s’est passé comme prévu pour le Français. Un temps, des rumeurs le donnaient « vice-président » de l’exécutif européen, mais il n’en a rien été.
« Pour des raisons personnelles »
Dans sa lettre de démission adressée à son ancienne cheffe Ursula von der Leyen et rendue publique, Thierry Breton reproche à cette dernière d’avoir « demandé à la France de retirer (son) nom – pour des raisons personnelles qu’en aucun cas vous n’avez discutées directement avec moi ». Ursula von der Leyen cherchait à construire un collège paritaire, et avait donc demandé à chaque État de l’Union européenne (UE) de soumettre le nom d’un candidat et d’une candidate.
Sauf si le commissaire sortant était celui reconduit – comme cela était le cas pour Thierry Breton ou son collègue letton Valdis Dombrovskis. Le président Emmanuel Macron avait en effet transmis le nom de l’ancien ministre de l’économie (sous Jacques Chirac) dès la fin juillet. Paris avait donc, a priori, respecté les « règles du jeu » imposées par l’Allemande.
Rares sont ceux qui ne saluent pas son bilan
Selon Thierry Breton, elle aurait « proposé, en guise de compromis politique, un portefeuille prétendument plus influent pour la France au sein du futur collège ». Il se dit « honoré » d’avoir tenté de « défendre et faire progresser le bien commun européen », et en effet, à Bruxelles, rares sont ceux qui ne saluent pas le bilan du commissaire français, qui a lancé des chantiers de taille comme les législations sur les services numériques (DSA), sur les marchés numériques (DMA) ou sur l’encadrement de l’intelligence artificielle (IA) dans l’UE.
Autoproclamé « shérif » prêt à remettre d’équerre le « Far West » du secteur du numérique, Thierry Breton s’est aussi démarqué en tenant en joue des mastodontes comme Elon Musk à la tête de X. Cet été, c’est également lui qui a annoncé le « retrait définitif » du programme de récompenses « TikTok Lite » dans l’UE.
La « gouvernance questionnable » d’Ursula von der Leyen
Mais l’ex-patron d’Atos Thierry Breton pointe surtout du doigt la méthode de « gouvernance questionnable » d’Ursula von der Leyen. Souvent, il avait laissé entendre que le « micromanagement » opéré au sein de la Commission par sa présidente n’aidait pas l’UE à avancer vers une meilleure version d’elle-même. Cette fois, le commissaire qui n’a plus rien à perdre attaque frontalement son ex-patronne. « Vous vouliez un autre candidat ? Vous l’aurez », lui écrit-il peu ou prou, sans prendre de pincettes.
Car Thierry Breton n’a jamais été homme de compromis. En cinq ans, il a sans relâche tenté d’imposer ses vues, notamment face à son homologue danoise Margrethe Vestager, pourtant surnommée « la Dame de fer » à Bruxelles. Une source témoigne des innombrables « passes d’armes » entre ces deux grands noms du collège, notamment à l’occasion de réunions dites « de trilogues » réunissant le Français et la Danoise responsable de la politique de concurrence.
« Ça faisait des étincelles, et cela pouvait être fatiguant », poursuit la source, qui juge Thierry Breton « trop arrogant » et « trop pédant » : « À l’entendre ces dernières années, s’il faisait beau à Bruxelles, c’était grâce à lui. »
Compte-t-il maintenant faire la pluie et le beau temps à Paris ? D’aucuns prêtent à Thierry Breton des ambitions ministérielles. L’eurodéputée Stéphanie Yon-Courtin (Renew Europe) estime du reste (c’est l’expression favorite de l’ex-commissaire) que « l’arrivée de Michel Barnier à Matignon rebat les cartes et a nécessairement pesé dans la balance ». À ses yeux, « Thierry Breton est “MatYsée” compatible (Matignon et Élysée, NDLR) et à Bercy, il est crédible sur les finances publiques étant donné qu’il a toujours dit qu’il fallait réduire la dette ».
Un avis tranché sur tout
Budget, défense, politique commerciale… À Bruxelles, Thierry Breton avait un avis – tranché – sur tout. Il laisse derrière lui un chantier qui n’est qu’à l’état d’embryon : celui de l’Europe de la défense. Il avait commencé l’année 2024 en proposant un fonds de 100 milliards d’euros, pas moins, pour stimuler la production de l’industrie de la défense de l’UE. Puis il avait levé le voile sur une stratégie industrielle de défense européenne (Edis) inédite, qui doit encore être négociée par les législateurs.
Mais sans son principal architecte, l’exercice s’annonce périlleux tant le sujet est sensible et peu consensuel d’une capitale européenne à l’autre, et d’un bord politique à l’autre. Rien ne dit que le projet « survivra » d’ailleurs au passage de relais entre l’ancienne et la nouvelle Commission européenne.
Stéphane Séjourné proposé par Macron
Quelques heures après l’annonce de Thierry Breton, Emmanuel Macron a proposé son ministre démissionnaire des affaires étrangères Stéphane Séjourné comme commissaire « centré sur les enjeux de souveraineté industrielle, technologique et de compétitivité européenne ». Il a été « président du groupe Renew (centristes et libéraux, NDLR) au Parlement européen au cours de la précédente législature et répond à l’ensemble des critères requis. Son engagement européen lui permettra de porter pleinement cet agenda de souveraineté », souligne la présidence.
Ursula von der Leyen devra, à partir de là, réfléchir à la répartition des portefeuilles entre les 26 candidats désignés. Elle compte notamment consacrer un poste rien qu’à la défense. De nombreuses spéculations entouraient ce portefeuille. Au premier rang desquelles la question de savoir s’il reviendrait à Thierry Breton.
« Je pense que nous devons nous parler davantage et être plus à l’écoute les uns des autres, en commençant au sein même de la Commission », écrivait Ursula von der Leyen dans la « lettre de mission » adressée à Thierry Breton en décembre 2019, quand la Commission européenne sortante se mettait en branle. En énonçant à la présidente ses quatre vérités, le Français l’a prise au mot.