3136-le récit d'une journée de tractations à l'Elysée 6 posts
Nouveau Premier ministre : le récit d'une journée de folles tractations à l'Elysée
Depuis le 23 août, Emmanuel Macron reçoit les représentants politiques. Ce lundi a marqué une intensification des discussions.
Par Isabelle FICEK, Grégoire POUSSIELGUE, Hadrien Valat Les ECHOS
Consultations, suite. Depuis le 23 août, Emmanuel Macron multiplie les rencontres à l'Elysée pour trouver une issue à la crise politique et nommer un nouveau Premier ministre, puis un gouvernement. En fin de semaine dernière, l'hypothèse Bernard Cazeneuve est montée en flèche, puis redescendue, divisant son ancienne famille politique, le PS , réuni à son congrès de Blois, et agaçant le Nouveau Front populaire (NFP) alliance de gauche qui revendique toujours Matignon.
Ce lundi, l'ancien maire de Cherbourg a été le premier à franchir, à 8 h 45, les grilles de l'Elysée pour rencontrer son ancien collègue de gouvernement - Emmanuel Macron était ministre de l'Economie quand il était à l'Intérieur. Mais avant même de voir Emmanuel Macron, Bernard Cazeneuve recevait dans les matinales radio et télévisées un tir de barrage nourri de la gauche, vent debout contre la perspective de sa nomination.
Censure promise par la gauche
« Les quatre formations du Nouveau Front populaire sont alignées pour dire que nous censurions tout autre gouvernement autre que celui de Mme Lucie Castets », lâche dès potron-minet sur France 2 Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI à l'Assemblée. « Bernard Cazeneuve a un parti politique qui s'appelle La Convention. Vous savez combien de députés il a à l'Assemblée nationale ? Un. Je veux bien que notre majorité du NFP soit un peu étriquée, mais faire une majorité avec un député, vous m'excuserez… » enchaîne la députée européenne Manon Aubry sur Europe 1 et CNews.
« Je ne sais pas au nom de quoi Bernard Cazeneuve va parler avec le chef de l'Etat », ajoute sur BFMTV Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste. Il prévient qu'il censurera « toute forme de continuité du macronisme » sans préciser s'il met Bernard Cazeneuve dans cette case. En ajoutant que si ce dernier obtenait l'abrogation de la réforme des retraites, ce serait quand même « un énorme pas en avant ».
Le RN prêt à censurer le budget ?
Au même moment, de l'autre côté du spectre politique, le député RN Jean-Philippe Tanguy voit en l'ancien Premier ministre de François Hollande ainsi qu'en Xavier Bertrand « des macronistes plus ou moins défroqués ». Et si le parti d'extrême droite pourrait ne pas censurer immédiatement un nouveau Premier ministre, il s'y prépare pour le budget.
La présidente du groupe RN à l'Assemblée s'est rappelée au bon souvenir d'Emmanuel Macron comme des autres groupes politiques ce lundi matin. Marine Le Pen demande la tenue d'une session extraordinaire et déplore les tergiversations du chef de l'Etat. Un petit coup de pression.
En visite dans une école pour la rentrée scolaire, le Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal est opportunément interrogé par les élèves - inspirés par les journalistes présents - sur le nom de son successeur. Rires gênés. Prudent, Gabriel Attal, sourire aux lèvres, assure aux enfants que « c'est une vraie question que beaucoup de Français se posent, et je n'ai pas la réponse car c'est le président de la République qui choisit, selon les résultats des élections, la situation au Parlement… »
Quelques instants plus tard, après une heure quinze d'entretien avec Emmanuel Macron, Bernard Cazeneuve sort de l'Elysée sans un mot. Il est raccompagné jusqu'au vestibule par le chef de l'Etat qui lui a fait la bise avant qu'il ne s'engouffre dans la voiture. Un geste qui a ainsi pu être vu par les journalistes de l'AFP.
Les retraites, un des points de désaccords
« L'entretien s'est très bien passé », assure un proche du président de la République, selon lequel ils sont tombés d'accord pour dire que le régalien est un volet essentiel. Mais ce proche se garde bien, en revanche, d'évoquer les points de désaccord, et notamment la réforme des retraites.
« Bernard Cazeneuve a dit à Emmanuel Macron qu'il était disponible pour la France, mais ses conditions étaient d'avoir un programme qui ne soit pas la continuité du macronisme, notamment avec l'abrogation de la réforme des retraites », précise dans l'après-midi en conférence de presse Carole Delga, la présidente de la région Occitanie qui soutient sa nomination. Mais déjà, elle parle de Bernard Cazeneuve au passé.
François Hollande veut « une solution politique »
François Hollande franchit à son tour les grilles du Palais pour rencontrer son successeur. L'ancien président de la République plaide pour une « solution politique » en rupture avec « un programme politique différent de la politique menée jusqu'à présent ». François Hollande semble favorable au retour à Matignon de son dernier Premier ministre. Quoique… S'il soutient Bernard Cazeneuve, cela signifie qu'il soutient aussi une sortie politique pour Emmanuel Macron, alors qu'il est revenu au Palais-Bourbon, où il a été élu en juillet dernier après douze d'absence, pour refaire de la politique en première ligne et se positionner pour 2027.
S'il ne le soutient pas, cela revient aussi à censurer un homme qui incarne parfaitement le hollandisme entre 2012 et 2017 : Bernard Cazeneuve est l'un des rares à avoir été ministre (aux Affaires européennes, au Budget, à l'Intérieur et à Matignon) tout au long du quinquennat du dernier président socialiste. Un choix difficile pour le nouveau député de Corrèze.
Petit coup de théâtre : un nouveau nom court
Pendant l'entretien de François Hollande avec Emmanuel Macron, petit coup de théâtre : un nom court, soutenu notamment par le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler : celui de Thierry Beaudet, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) depuis 2021. Plus affirmative, sa page Wikipédia annonce qu'il a été nommé Premier ministre par Emmanuel Macron le 2 septembre ! Mais l'encyclopédie en ligne rétropédale dans la foulée et se contente de dire « que son nom circule ».
L'hypothèse Beaudet crée la surprise. « Il a une sensibilité de gauche, sait parler aux patrons, syndicats et associations, mais le Cese ce n'est pas Matignon. Il n'aura aucun poids politique face à Emmanuel Macron », note un responsable parlementaire de gauche. L'hypothèse ne semble pas susciter de rejet particulier auprès du ministre de l'Intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin, de Gabriel Attal ou encore du président d'Horizons, Edouard Philippe, « car elle ne met personne en selle pour 2027 », lâche un familier du pouvoir.
Et d'aucuns veulent croire, aussi, avec un Thierry Beaudet qui serait davantage un Premier ministre technique, à un schéma qui verrait quelques poids lourds arriver ou… rester.
Levée de boucliers
Dans la journée, la perspective de voir Thierry Beaudet à Matignon, regardée avec bienveillance chez certains partenaires sociaux et mutualistes, commence toutefois à susciter une levée de boucliers chez une partie des grognards et politiques qui gravitent autour d'Emmanuel Macron. Comme en 2022 lorsqu'Emmanuel Macron a voulu nommer Catherine Vautrin, avant de renoncer sous la pression de son camp et de désigner Elisabeth Borne.
Difficile en effet pour l'ancien président Nicolas Sarkozy de l'envisager favorablement alors même qu'il vient publiquement, dans « Le Figaro » samedi, d'appeler LR à oeuvrer pour « faire nommer un Premier ministre de droite ». Il n'aurait pas abandonné l'idée, qui revient régulièrement, d'un François Baroin.
L'hypothèse ne ravit pas non plus le président du Modem, François Bayrou, à nouveau reçu ce lundi à l'Elysée par le chef de l'Etat, tout comme Gabriel Attal. Cet allié de la première heure a encore plaidé dimanche sur LCI pour un profil « qui remplit deux conditions […] : expérimenté, qui a un crédit dans l'opinion », estimant d'ailleurs que Bernard Cazeneuve correspond à ce profil.
L'exaspération monte
Si l'impatience, voire l'exaspération, monte au sein des oppositions, elles n'épargnent pas le camp présidentiel… « Qu'importe le nom, celui de Thierry Beaudet comme d'autres. C'est surtout le programme du gouvernement et les orientations de ce dernier qui comptent à mes yeux », s'agace un responsable de l'ancienne majorité, qui considère que « le cycle de consultations est trop long ». « On est dans une situation qui exige un dénouement assez rapide mais qui n'est pas facile car totalement inédite », rappelait dimanche François Bayrou.
A chaque solution évoquée, la situation semble en effet à chaque fois un peu plus insoluble. Mais, une fois de plus, l'Elysée promet une réponse rapide…