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« Cazeneuve veut l’assurance de pouvoir gouverner »
Pour le politologue bordelais Ludovic Renard, l’ancien Premier
ministre socialiste attend du président une clarification sur
la répartition des rôles avant d’accepter les clés de Matignon
Recueilli par Pascal Rabiller
Comment analysez-vous
la séquence politique
actuelle et le scénario
Bernard Cazeneuve
àMatignon ?
Il s’agit potentiellement d’un choix
en partie contraint pour le président.
Contraint, mais pour de
bonnes raisons, compte tenu du
contexte politique. L’avantage de
Cazeneuve, c’est qu’il est sur le
même alignement qu’Emmanuel
Macron s’agissant du refus du RN et
de LFI. C’est devenu l’alignement
premier de notre espace politique.
Par rapport à Lucie Castets, Bernard
Cazeneuve a l’avantage de respecter
cette règle numéro 1 du refus
des extrêmes tout en jouant le jeu
de la cohabitation et en réanimant
le clivage gauche-droite.
Bernard Cazeneuve reçu ce matin
àl’Élysée, qu’est-ce qui se joue ?
Je pense que Bernard Cazeneuve,
qui a eu tous les mandats électifs
possibles, qui connaît l’État, qui a
des cartes à jouer concernant l’égalité,
la justice sociale, le budget, la
réforme des retraites, la fin de vie…
veut obtenir du président l’assurance
qu’il pourra gouverner. Et
c’est sur cette question précise que
cela pourrait « coincer ».
C’est-à-dire ?
Bernard Cazenave connaît très
bien le fonctionnement de l’État. Il
sait que le Premier ministre et le
président de la République ont
beaucoup de pouvoirs partagés.
Sur la répartition des rôles entre
eux, je pense qu’il peut y avoir un
choc des cultures et des pratiques
du pouvoir. Bernard Cazeneuve
n’acceptera pas que le secrétaire
général de l’Élysée Alexis Kohler et
les cabinets de consulting décident
pour lui, qu’ils gardent les pleins
pouvoirs. Ce ne sera pas négociable,
à mon avis. Bernard Cazeneuve
n’acceptera la mission que si
une vraie cohabitation s’installe.
En clair, il doit attendre du président
qu’il accepte de prendre le
recul qui s’impose en période de
cohabitation. Il attend, du président,
l’assurance de pouvoir décider,
gouverner. Il ne veut pas d’un
couple exécutif en guerre permanente.
Pensez-vous que le président est
prêt à prendre ce recul ?
C’est la question. Emmanuel Macron
est-il prêt à trouver un modus
operandi avec Cazeneuve, sur la façon
dont ils vont piloter l’État ? Ils
doivent en discuter très sérieusement,
car si Cazeneuve a le sentiment
de se faire expliquer comment
gouverner, au mieux par le
secrétaire général de l’Élysée, au
pire par des cabinets de consultants…
ce ne sera pas possible pour
lui, à mon sens. Cazeneuve veut
avoir la certitude qu’il apparaîtra
comme un cohabitant, avec une
orientation politique différente et
la possibilité de faire marcher le
gouvernement et l’État comme il
l’entend.
Que cherche Emmanuel Macron
en recevant aussi Nicolas Sarkozy
et François Hollande ?
Il veut sans doute s’assurer de la
« gouvernementabilité » totale de
Bernard Cazeneuve. Le président
de la République veut être sûr que
celui-ci pourra faire des coalitions,
qu’il pourra avancer sur les différents
dossiers.
S’il accepte la mission, Bernard
Cazeneuve ne signe-t-il pas le retour
d’une certaine forme de hollandisme
?
Certains observateurs, notamment
de gauche, vont sans doute parler
d’un retour du hollandisme et évoquer
le souvenir qu’il a laissé, mais
Cazeneuve n’est resté que six mois
à Matignon sous Hollande, il peut
toujours dire qu’il n’est pas comptable
de toutes les casseroles du
mandat. Il va pouvoir mettre en
avant son bilan personnel et estimer
qu’il n’est pas mauvais…
Même si du côté de LFI, on lui reproche
toujours une mauvaise gestion
de l’affaire Fraisse [militant
écologiste tué par l’explosion d’une
grenade de désencerclement dans
la nuit du 25 au 26 octobre 2014, lors
d’une manifestation sur la ZAD de
Sivens dans le Tarn. Le 23 mars
2021, un non-lieu a été confirmé
pour le gendarme qui avait lancé la
grenade qui s’était coincée entre le
dos et le sac à dos de Rémi Fraisse,
NDLR].
Certaines voix assurent à gauche,
au sein du NFP, que Bernard Cazeneuve,
s’il acceptait Matignon, aurait
beaucoup de mal à former un
gouvernement… Qu’en pensez vous
?
Il trouvera à gauche des hommes et
des femmes qui s’affichent comme
des humanistes.
Avec sa fibre sociale, l’apaisement
qu’il peut incarner, je pense que
Bernard Cazeneuve a une carte à jouer