Guerre en Ukraine : double front risqué

Même s’il convient de rester prudent sur l’issue de sa percée
en Russie, l’armée ukrainienne prouve qu’elle est loin
d’être résignée. En cela, elle force le respect. Alors que
Kiev résiste depuis deux ans et demi, son état-major a
réussi, au prix d’une audacieuse manoeuvre, à déplacer la guerre chez
son envahisseur. Appliquant à la lettre cette stratégie qui n’est jamais à
l’abri de mal tourner : la meilleure défense, c’est l’attaque.

Certes, depuis plusieurs mois, ses frappes aériennes s’étaient allongées
pour mieux atteindre des installations stratégiques et des bases militaires
russes. Des opérations de sabotage avaient aussi été menées.
Mais début août, l’Ukraine est passée à la vitesse supérieure en lançant
plus d’un millier d’hommes en plein territoire russe.

Deux semaines après le début de cette offensive surprise, celle-ci est
toujours en cours dans la région de Koursk. Selon les estimations,
l’Ukraine tiendrait plus de 1000 km2. Pour Vladimir Poutine,
l’humiliation est cinglante. D’autant qu’à cette percée des
Ukrainiens s’ajoutent des images catastrophiques pour
Moscou. Celles de soldats russes capturés.

Celles de ceux qui ont préféré se rendre. Celles, enfin, de
populations civiles obligées de fuir les combats.

Cependant, ce saisissant miroir inversé de la guerre offre une vision
déformée de la situation. Certes, les Ukrainiens ont ouvert une brèche
significative en Russie, montrant, une fois encore, leur courage, leur
détermination et la désorganisation du Kremlin à mesure que l’on
s’éloigne de Moscou et du pouvoir central. Mais elle n’en reste pas
moins en grande difficulté dans le Donbass. Si l’objectif de cette offensive
était d’obliger les Russes à desserrer leur étau à l’est du pays, ils
n’ont pas mordu à l’hameçon. Bien au contraire. Ils ont même poursuivi
leurs efforts pour enfoncer les défenses ukrainiennes.

Si bien qu’aux images de civils russes fuyant les combats se juxtaposent
celles d’habitants de la région de Pokrovsk, contraints, eux aussi, de
tout laisser derrière eux. Ces deux mouvements d’évacuation sont les
deux faces d’une même pièce : celle d’une guerre sans merci qui
n’épargne rien aux populations, lesquelles, lorsqu’elles ne sont pas
frappées par des drones, doivent éviter les tirs de missiles et d’artillerie.
Si l’offensive de Kiev en Russie a regonflé le moral des troupes,
l’Ukraine est loin d’être tirée d’affaire. Et ce double front reste un pari
d’autant plus risqué qu’il éloigne encore un peu plus les maigres espoirs
de négociations.

                        Jefferson Desport édito Sud-Ouest