Il est bien amer, cette année, le jus de la treille. Il a un sale goût de temps pourri et de malchance. Et les vendanges s’annoncent maigres et tristes. On imagine qu’en 2024, les vignerons se sont levés chaque matin en interrogeant le ciel. Va-t-il pleuvoir aujourd’hui, pour détremper des ceps déjà gorgés d’eau ? La grêle va-t-elle s’abattre sur telle ou telle parcelle, qui déjà dans le passé avait été hachée menu ? Les fleurs vont-elles tomber trop tôt ou trop tard ? Est-ce que l’on doit redouter un coup de gel alors que les saints de glace sont dépassés ? Et faudra-t-il encore subir le mildiou qui vient en douce cramer les feuilles vertes ? Les vignerons ont vécu une saison en enfer, avec une météo en yo-yo qui jouait avec leurs nerfs.
Cela tombe dans un contexte qui n’a rien de réjouissant pour la profession. La consommation n’a cessé de baisser dans l’Hexagone, ces 60 dernières années. La filière a su s’adapter en se débarrassant des « piquettes » et en misant sur une qualité qui s’améliore constamment. En revanche, depuis quelques années, les exportations sont en berne. Nos principaux clients, États-Unis et Chine notamment, boudent nos bordeaux et nos bourgognes, et se rabattent sur leur propre production. Enfin, les crises successives, Covid puis inflation, ont perturbé des circuits déjà bien fragilisés, en faisant exploser les coûts de production. Combien de vignerons se sont retrouvés acculés, ces derniers mois. Faillites, déprimes, et même suicides, le malheur est arrivé aussi en grappes.
Cette crise affecte bien entendu tout particulièrement le Grand Sud, traditionnelle terre de vignes. Certes, le Languedoc n’est plus tout à fait la plus grande région viticole au monde, dépassée il y a peu par la Chine. Mais l’Occitanie est forte de valeurs sûres. Les vins des Corbières se sont réinventés, entre Fitou, Faugères ou Minervois. Les gaillacs tiennent toujours la corde. Le fronton s’est jeté dans le rosé-piscine. Le cahors reste un « must ». Un peu partout, on trouve des passionnés qui expérimentent des nouveaux cépages, de nouvelles méthodes, riches de l’expérience de leurs ancêtres, et forts des technologies modernes, qui élargissent la gamme des possibles.
Voilà pourquoi il est indispensable de soutenir, en ces instants où elle est la plus vulnérable, notre filière viticole. Car, si elle ne maîtrise pas les caprices du ciel et les férocités des champignons, elle dispose d’un savoir faire unique au monde. Elle a connu par le passé des crises terribles, qui parfois se sont réglées dans le sang. Elle a les moyens aujourd’hui de revivre et de faire savourer l’essence même de son terroir. Il s’agit de montrer qu’elle aussi mérite la médaille d’or.