Le pire n’étant jamais certain, Nouveau Front populaire et centre, Insoumis et macronistes dans une alliance acrobatique de circonstance, ont déjoué le scénario de l’accession du Rassemblement national au sommet du pouvoir. Pour la gauche qui sort en tête, c’est la divine surprise, et pour le camp présidentiel et la droite républicaine, un résultat inespéré.
La démocratie a senti le vent du boulet et l’arc républicain peut à présent se détendre. Mais ce serait commettre une grossière erreur de considérer que "mission est accomplie", que les tourments dans lesquels la soudaine dissolution de l’Assemblée a plongé le pays après les élections européennes, ne seraient comme auparavant le coup de semonce de 2002, qu’un "détail de notre histoire". Faute d’avoir obtenu la majorité absolue, l’extrême droite ne fera pas son entrée à Matignon. Il sera également épargné à la France de voir sa dette abyssale et les inégalités de toute sorte se creuser davantage puisque selon ses adversaires, c’est ainsi, entre autres conséquences, que se serait traduit le programme du parti de Marine Le Pen.
Nous voudrions croire que nous sommes sauvés, or en vérité, le plus dur reste à faire. Et s’ils l’ignorent, tous ceux qui ont fait échouer le RN portent à présent l’immense responsabilité de l’avenir du pays.
C’est une chose d’avoir dressé avec succès un Front républicain de grande ampleur, c’en est une autre de contourner l’ornière institutionnelle dans laquelle nous nous trouvons. À quelques jours de l’ouverture des Jeux Olympiques et à l’issue d’un processus de clarification dont nous constatons le résultat catastrophique, le pays est ingouvernable, plus encore qu’hier. Il n’est pas certain que les Français pardonneront longtemps à ceux qui ont contrarié les projets de l’extrême droite, de ne pas avoir pensé au coup d’après. Ou qu’ils accepteront, si un Insoumis s’installe à Matignon et agit par décret, que soit perpétuée une "politique du passage en force" qu’ils ont tant reprochée à la précédente majorité. Depuis les accords de désistements de second tour cependant, l’idée d’un gouvernement de coalition fait son chemin, contre les habitudes de notre pays. Et pour cause puisqu’il n’y a pas de solution plus sérieuse pour la France. Un exécutif à large spectre qui réunirait droite modérée, centre et gauche de gouvernement : bon courage, mais on veut y croire.
On veut y croire parce qu’en cas de succès, la démocratie en sortira grandie, et ce ne serait pas le moindre des services à lui rendre.
Défiée par les populistes et les régimes autoritaires un peu partout dans le monde, toisée par des peuples qui ne croient plus beaucoup en elle, elle suffoque sous le poids de la déception citoyenne et des illusions perdues. Le désenchantement qu’elle inspire ne date pas d’hier. Il préexistait à l’apparition du macronisme, version moderne et "high-tech" de la vieille démocratie et qui, se fracassant violemment au mur des espoirs contrariés, n’a fait qu’accélérer le processus de rejet. Et la séquence anxiogène que nous traversons depuis la crise du Covid n’a bien sûr rien arrangé des maux de notre époque.
S’ils le décident, les adversaires de Marine Le Pen peuvent tout à la fois sortir le pays du blocage qui s’annonce, et réhabiliter la démocratie malmenée. Ils n’ont de toute façon pas le choix, alors que dans la perspective de 2027, le RN se tient en embuscade et qu’en cas de crise durable, plus rien ne pourra certainement l’empêcher.
Le Front républicain utilisé dimanche est un fusil à un coup et les munitions sont épuisées…