Jordan Bardella et les vertiges du pouvoir

Il ne l’avouera pas, mais le vertige du pouvoir a saisi Jordan Bardella.
Le jeune président du Rassemblement national, programmé
par ses amis politiques pour occuper l’Hôtel de Matignon sur la
base d’une élection européenne remportée haut la main et de
sondages flatteurs,commence à réaliser ce que peut signifier quitter
le ministère de la parole et plonger les mains dans le cambouis.
Ainsi doit-on interpréter les signaux d’hésitation envoyés par l’héritier
politique d’un homme – Jean-Marie Le Pen – dont les outrances étaient
le plus sûr moyen de ne jamais se voir confier un pouvoir dont il n’aurait
su que faire. À l’inverse du fondateur du Front national, sa fille,
Marine, et Jordan Bardella affichent leur envie de gouverner. Mais
passer de la fonction de tribun à celle de responsable ne se fait pas

d’un claquement de doigts.

Alors que le pays tournait depuis juin 2022 sous le régime chaotique
d’une majorité relative, Bardella demande aux Français de lui
accorder ce qu’ils n’ont pas accordé au Président. Logique,
dira-t-on. Mais offrir sur un plateau à un parfait néophyte
une majorité absolue, n’est-ce pas beaucoup demander d’un
coup aux électeurs qui n’ont encore jamais pu juger sur
pièces le sérieux du parti à la flamme, sauf dans quelques exécutifs
locaux ?

Bardella met en avant l’urgence de « redresser » un pays dont il affirme
qu’il est « au bord de la faillite ». Mais le voilà qui s’abrite déjà derrière
un « audit » des finances publiques : un sûr moyen de différer quelques
promesses de campagne en incriminant les sortants, de justifier des
reculs tactiques et de renvoyer les Français vers l’élection présidentielle
de 2027 censée permettre au RN d’avoir enfin les coudées franches.
Mais le gouvernement de la France n’attend pas. Et s’il l’emportait,
Bardella rencontrera les mêmes problèmes que la majorité sortante.
En effet, les divisions du pays entre trois blocs rivaux ne vont pas se
résorber comme par enchantement. Et ce qui est valable pour la nouvelle
union des gauches et pour l’alliance des macronistes vaut tout
autant pour l’extrême droite : pour se rendre crédible, celle-ci devra
agir en élargissant sa base politique et en proposant des compromis.
Sans cette acceptation des contraintes du pouvoir, sans réalisme des
propositions, sans sérieux budgétaire, le vertige qui a saisi Jordan
Bardella depuis que miroite devant ses yeux un destin national pourrait
s’aggraver chaque jour d'ici au 7 juillet.

                  éditorial Sud-Ouest par Christophe Lucet